Pouvoir refuser le vaccin, se battre contre la «dictature sanitaire» et sa «pensée unique», manifester contre les mesures anti-Covid et leurs (semi-)confinements, ... Sur les pancartes des antivax et des coronasceptiques, sur Facebook, dans les messages qui tournent sur Whatsapp ou lors des repas en famille, voire entre amis: le mot «liberté» est à la mode.
Or une liberté individuelle peut paradoxalement menacer les libertés du plus grand nombre, avertit le philosophe Jacques de Coulon, spécialiste de Kant et auteur d'une chronique à ce sujet dans le quotidien... «La Liberté». C'est le cas de la liberté vaccinale, estime cet ancien recteur du Collège Saint-Michel de Fribourg aujourd'hui à la retraite. Radical, l'écrivain, auteur de nombreux livres sur le yoga et la méditation à l'école, prône la vaccination obligatoire pour toutes et tous à partir de 12 ans, sauf exception médicale. La logique du pédagogue? Sans couverture vaccinale suffisante, pas d'immunité collective. Sans immunité collective, de nouveaux confinements. Et donc de graves atteintes aux libertés de tout le monde.
C'est paradoxal de défendre une obligation au nom de la liberté, non?
Jacques de Coulon: Je suis un libéral, au sens philosophique du terme. Être libéral, c'est être en faveur de certaines contraintes pour sauvegarder les libertés fondamentales de toutes et tous. En ce sens, les bénéfices de la vaccination obligatoire sont plus importants que les risques de la liberté vaccinale, qui pourrait provoquer de nouveaux semi-confinements et mettre à mal les libertés de déplacement ou de se réunir et mettre en danger la santé d'autrui. Je n'ai pas vu de manifestations contre les feux rouges. Or le principe est le même: je dois m'arrêter au feu rouge pour préserver les autres. Ma liberté s'arrête ou commence celle des autres, c'est la pensée des penseurs libéraux à la base de nos démocraties. Aux yeux de Kant, il faut se poser cette question: si tout le monde faisait comme moi, quelles en seraient les conséquences? En outre, l'obligation vaccinale permettrait d'éviter d'étendre le pass sanitaire à tous les lieux clos, mesure qui peut être discriminatoire car elle crée deux catégories de personnes: celles qui disposent du précieux sésame et les autres qui sont recalées.
«Dictature sanitaire», «dictature de la pensée unique»: qu'en pense le philosophe?
Le simple fait que les personnes qui dénoncent une soi-disant dictature sanitaire puissent manifester prouve qu'elles vivent en démocratie, où le débat est possible. Concernant la «pensée unique», il suffit de lire les différents titres de presse pour se rendre compte qu'elle n'existe pas. Ce sont plutôt les complotistes qui s'enferment dans une bulle et sont les défenseurs d'une pensée unique. Je doute qu'ils pensent par eux-mêmes, comme ils aiment le dire souvent. Or ils dépendent de sites Internet mensongers à sens unique qui leur servent toujours les mêmes points de vue.
Les personnes les mieux éduquées sont plus favorables au vaccin. L'école a-t-elle failli?
Peut-être. Il faudrait enseigner la philosophie aux plus jeunes. Le rôle de l'école doit précisément être d'apprendre aux enfants à penser par eux-mêmes, à comparer les opinions, à les confronter. A développer leur esprit critique. Pour cela, il faut savoir prendre du recul, «monter au sommet de sa montagne intérieure pour avoir un regard panoramique sur différents points de vue», comme l’a écrit Simone Weil. Tel est le rôle de la méditation et de la philosophie.