Intrigues au Conseil fédéral
Comment la rupture avec Viola Amherd s'est-elle produite?

Que s'est-il passé au sein du Conseil fédéral pour que Viola Amherd en vienne à démissionner? La cheffe du DDPS parle d'une véritable «campagne» menée contre elle. Les médias l'auraient également déçue. Analyse d'une chute politique.
Publié: 18:01 heures
Le point de rupture au sein du gouvernement: photo du Conseil fédéral en 2025.
Photo: Montage: Claude Sturzenegger
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Reza Rafi

Le vendredi 20 décembre au matin, la présidente de la Confédération reçoit deux journalistes de Blick dans son bureau pour une interview. L'apparition tout en retenue de la ministre laisse perplexe, d'autant plus qu'elle fêtera quelques jours plus tard son grand triomphe de fin d'année présidentielle: l'accord passé avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Ce que nos journalistes ne savent pas encore, c'est que Viola Amherd vient de subir, lors de sa dernière séance en tant que présidente de la Confédération, une nouvelle humiliation de la part de ses collègues.

En effet, elle n'a pas assisté au rendez-vous médiatique de l'après-midi, au cours duquel le gouvernement a présenté le résultat des négociations avec Bruxelles. L'opinion publique l'a alors cataloguée de «lâche», se prélassant sous les flashs des appareils photo avec sa comparse de Bruxelles et laissant les dernières broutilles à trois collègues de la commission des affaires européennes: Ignazio Cassis, ministre des Affaires étrangères, Guy Parmelin, ministre de l'Economie et Beat Jans, ministre de la Justice.

Viola Amherd souriante face à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.
Photo: Keystone

Pantalonnade au Centre

Une semaine plus tard, le président de l'UDC Marcel Dettling a qualifié cette séance photo de «cochonnerie» et exprimé le fond de sa pensée: «Elle est montée brièvement sur scène pour serrer la main de l'Européenne, a fait sa star et a finalement envoyé ses trois collègues devant les médias.»

Mais selon nos informations, les choses se sont passées différemment: Viola Amherd a même insisté pour participer à la conférence de presse, arguant que les quatre partis du Conseil fédéral y seraient présents. Un signal important pour la population en vue de la votation populaire attendue. Mais le trio Cassis, Parmelin et Jans a demandé que la présidente de la Confédération ne soit pas présente, et l'ensemble du Conseil fédéral a approuvé cette demande. Il s'agit peut-être d'un retour de bâton pour la mise en scène flamboyante de Viola Amherd et d'Ursula von der Leyen. La lutte pour le pouvoir est toujours une lutte pour l'attention.

Il reste encore un mois et demi à son parti avant l'élection de remplacement du Conseil fédéral, une pantalonnade en termes d'organisation. Lundi, la direction du Centre se réunira pour mettre en place une commission de recherche et définir une feuille de route. Parallèlement, il faut aussi trouver un nouveau président ou une nouvelle présidente du parti, car Gerhard Pfister a annoncé sa démission pour juin.

Elu aussi avec des voix de la gauche et des Verts

De nombreux éléments ont d'abord laissé penser que le Zougois se positionnait en successeur de Viola Amherd. Selon les informations, lui aussi a été pris au dépourvu. La rumeur persistante veut qu'il ait même forcé la main de Viola Amherd, qui lui aurait préféré que le Grison Martin Candinas. En renonçant à sa candidature, ce qu'il a fait savoir via les journaux Tamedia, Gerhard Pfister laisse le champ libre aux prétendants.

Gerhard Pfister, président du Centre, que certains appellent "le Cicéron zougois".
Photo: Keystone

Après plusieurs entretiens menés par Blick avec des compagnons de route de Viola Amherd au Parlement et au DDPS, il se dégage l'image d'une politicienne brisée d'avoir dû assister à son démantèlement public. Elue au Conseil fédéral en 2018 avec le soutien de la gauche et des Vert-e-s, elle a commencé à se heurter de plus en plus à la tendance conservatrice. Dans son cercle de confiance, elle se serait plainte à plusieurs reprises que depuis le début de son année présidentielle en 2024, une véritable «campagne» était menée contre elle. Mais le problème ne s'arrête pas là: elle aurait aussi senti la présence de pharisiens parmi ses propres collègues du gouvernement.

Les médias «ne font pas leur devoir»

Depuis l'arrivée de Karin Keller-Sutter au Département des finances et l'élection d'Albert Rösti, un quatuor puissant composé des deux PLR et des deux représentants de l'Union démocratique du centre (UDC) s'est établi au Conseil fédéral et y donne le la. Le terme de «bloc des quatre» revient régulièrement. Il est mené par le duo Keller-Sutter/Rösti, deux camarades qui se concertent avant chaque séance du Conseil fédéral. Ce qui a pour effet, pour la cheffe du DDPS, que le match est déjà joué d'avance.

Ainsi, ce fut un choc pour Viola Amherd que le Conseil fédéral, sous la direction d'Albert Rösti, ouvre à nouveau la possibilité de nouvelles centrales nucléaires dans le pays, jetant ainsi par-dessus bord l'héritage de sa collègue de parti, Doris Leuthard. L'année présidentielle qu'elle avait commencée avec des mots pleins d'espoir comme «renouveau» et «confiance» s'est transformée en un rude voyage hivernal et chaque nouvelle défaite a rendu la ministre de plus en plus frileuse. Sa méfiance envers les médias, par lesquels elle se sentait «abandonnée», a également augmenté.

Au début de son année présidentielle, Viola Amherd s'était déjà fâchée avec la SSR à cause de rapports critiques sur les finances de l'armée. En décembre, elle aurait annulé une interview avec les journaux de CH-Media après que ceux-ci ont relaté sa défaite contre Karin Keller-Sutter dans la dispute sur le budget militaire. S'ensuit le dénigrement médiatique de la conférence du Bürgenstock, qu'elle n'a jamais compris. A ses yeux, cela ne fait aucun doute: la plus grande conférence internationale au sommet jamais organisée en Suisse n'aurait pas eu lieu sans elle.

Selon Viola Amherd, la conférence du Bürgenstock n'aurait jamais vu le jour sans son travail.
Photo: Keystone

Viola Amherd s'offusque aussi du fait que les journalistes suisses ne s'opposent pas plus résolument à la montée en puissance des forces populistes de droite au niveau international. Elle se dit «déçue» par les médias qui «ne font pas leur devoir», rapportent des intimes. La montée de partis comme le FPÖ en Autriche, l'AfD en Allemagne ou le Rassemblement national en France la frustrent profondément. Le succès du président américain Donald Trump et du gourou de la technologie Elon Musk, qui s'immisce sans vergogne dans la politique européenne et l'attaque même indirectement en tant qu'acheteur de l'avion de combat F-35, lui donne particulièrement du fil à retordre: «Seuls les idiots les construisent encore», avait tweeté le multimilliardaire américain.

Elle veut supprimer X, Keller-Sutter ouvre son compte

Il était donc logique pour Viola Amherd d'insister en interne pour que la Confédération se retire de la plateforme X. Et voilà que son adversaire Karin Keller-Sutter ouvre un compte personnel. Et bien que la nouvelle présidente de la Confédération n'en ait pas vraiment eu envie, cet épisode en dit long sur les tensions au sein du Conseil fédéral.

Autre exemple: lors de la première séance du Conseil fédéral de l'année, mercredi dernier, la cheffe du DDPS voulait fusionner la protection civile et le service civil dans une nouvelle organisation. Elle s'est faite aussitôt rembarrer par quatre collègues, dont le socialiste Beat Jans. Comme par magie, la rumeur de ce nouvel échec est arrivée directement à la rédaction de la SRF.

Qui pour lui succéder?

La question est désormais de savoir qui, au sein du parti du Centre, est susceptible d'être le successeur idéal pour tenir tête au bloc des quatre. Avec la démission de Gerhard Pfister, l'option la plus évidente disparaît. Le président du Centre est en effet un politicien pur-sang d'une incorruptibilité farouche parfois, un tacticien d'une remarquable endurance.

Contrairement au président de son parti, le conseiller national du Centre Martin Candinas est surtout un homme de réseaux.
Photo: Keystone

En revanche, Martin Candinas est surtout un homme de réseaux, qui préfère s'arranger avec ses adversaires plutôt que de s'y opposer frontalement, de quoi en rassurer plus d'un au sein de l'UDC. L'idée de Gerhard Pfister au Conseil fédéral leur aurait causé de sérieux maux de tête.

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