Tamara Jenni ne regrette pas ses chefs et ses cheffes. «Je trouve cela agréable d'organiser ma propre journée et d'assumer parfois la responsabilité quotidienne de l'équipe», explique l'assistante en soins et santé communautaire.
Depuis quatre ans, c'est une petite révolution qui a touché les 150 soignants de Spitex Coire. Les employés de ce centre médical ont troqué la hiérarchie traditionnelle contre une organisation autogérée. Ils élaborent leurs propres emplois du temps, prennent des décisions de recrutement et déterminent eux-mêmes le temps consacré à chaque patient.
Alors que la Suisse manque de personnel soignant et que les coûts de la santé augmentent. De telles équipes auto-gérées pourraient apporter un nouveau souffle au secteur.
Un modèle de réussite venu des Pays-Bas
Inspiré par un modèle néerlandais baptisé «Buurtzorg» (soin de proximité en français), ce système pourrait bien tracer la voie à suivre. Aux Pays-Bas, plus de 14'000 professionnels ont adopté ce mode de fonctionnement, sans supérieur hiérarchique. La bureaucratie s'en trouve réduite – et les coûts de la santé y ont drastiquement baissé: une économie annuelle estimée à 660 millions d'euros, d'après Jos de Blok, l'instigateur du modèle.
C'est sur cet exemple que s'organisent les soignants de Spitex Coire. Ils se répartissent les tâches comme le contrôle de la qualité et les finances. Tamara Jenni rédige par exemple régulièrement le planning des interventions. En cas de mérite particulier, les soignants peuvent même se verser spontanément un salaire sous forme de prime.
Pas d'importation facile en Suisse
Cependant, l'adoption de ce modèle en Suisse n'est pas sans embûches. «On espérait que le nouveau modèle permettrait également d'augmenter l'efficacité», explique Daniel Jörg, co-directeur de Spitex Coire. Mais jusqu'à présent, les coûts des soins n'ont pas baissé.
Daniel Jörg attribue cela aux différents rôles: la nouvelle diversité des rôles enrichit certes l'expérience professionnelle, mais peut impacter la productivité.
De plus, Spitex Coire opère toujours dans les méandres du système de santé suisse – la charge administrative ne peut pas être réduite autant qu'aux Pays-Bas. Daniel Jörg est par exemple responsable de la gestion opérationnelle globale et les soignants sont soutenus par des collaborateurs RH – ces derniers ne sont plus nécessaires aux Pays-Bas.
Attractif pour les jeunes soignants
Le travail sans chef peut néanmoins marquer des points, en particulier chez les jeunes soignants: «Les jeunes veulent participer eux-mêmes aux décisions. Cela correspond à l'esprit du climat actuel», explique Daniel Jörg.
Bien qu'en Suisse, environ 300 soignants quittent la profession chaque mois, Spitex Coire n'a pas de problème de recrutement: «L'année dernière, nous avons augmenté notre effectif de près de cinquante personnes. Nous avons également suffisamment de soignants diplômés. Ce n'est pas évident pour la branche actuellement», déclare Daniel Jörg.
Un modèle d'avenir?
Pour certaines collaboratrices de longue date, le changement n'a toutefois pas été facile, raconte Tamara Jenni. «Elles étaient habituées à avoir une personne de direction.» Malgré tout, Daniel Jörg voit dans les soins sans chef un modèle d'avenir: il espère que cela rendra à nouveau plus attractif pour les jeunes de se lancer dans les soins. Et d'y rester par la suite. Tamara Jenni, elle, confie ne plus pouvoir s'imaginer exercer un autre métier.