C'est du jamais vu: une initiative populaire pourrait avoir de graves conséquences avant même d'avoir été votée. De vives critiques s'élèvent depuis plusieurs jours, et ce, depuis tous les bords politiques.
En cause, une initiative des Jeunes socialistes (JS): quiconque léguera plus de 50 millions de francs de fortune devra en verser 50% à l'Etat, pour une économie respectueuse du climat. Ce qui rend l'initiative encore plus explosive, c'est qu'elle aurait en plus un effet rétroactif. Cela signifie que les riches ne pourront pas attendre le résultat de la votation pour décider ensuite de déménager leur domicile à l'étranger, ceci afin de mettre leur héritage à l'abri du fisc suisse. Ils devront sauter le pas avant.
L'entrepreneur thurgovien Peter Spuhler a de ce fait déclaré dans la Sonntagszeitung: «Les Jeunes socialistes me forcent à émigrer.» S'il restait en Suisse et que l'initiative était acceptée, le patron de Stadler Rail devrait, selon ses propres dires, vendre une partie de ses entreprises. De nombreux autres entrepreneurs envisagent de transférer rapidement leur domicile à l'étranger.
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Large vague d'indignation contre l'initiative
Dans la sphère politique, presque tout le monde critique l'initiative radicale de la JS. Le président du PLR Thierry Burkart s'exclame: «Cette initiative met en danger nos entreprises familiales. Elle démantèle l'entrepreneuriat suisse et fait fuir les entrepreneurs qui créent des emplois ici et paient une grande partie des impôts. C'est la classe moyenne qui paie l'addition – avec des impôts plus élevés et toujours plus de taxes.» Même au sein du parti-mère, le PS, l'initiative suscite des critiques: elle serait «dévastatrice pour les emplois», selon Franziska Roth, ou «allant trop loin», d'après Gabriela Suter.
Les chefs du PS eux-mêmes sont restés remarquablement discrets jusqu'à présent. Après la première vague d'indignation, la coprésidente Mattea Meyer a invité Spuhler & Co. via le «Tages-Anzeiger» à travailler sur un contre-projet. Le coprésident Cédric Wermuth a également laissé entendre sur les réseaux sociaux qu'il tiendrait compte des «préoccupations légitimes» des entrepreneurs. Il n'a pas encore pris officiellement position sur cette initiative.
«Ce n'est pas une initiative de la JS, mais bien du PS»
«La direction du PS doit assumer, demande fermement le président du PLR Thierry Burkart. Si elle argumente qu'il s'agit d'une initiative des Jeunes socialistes, c'est hypocrite au vu de sa représentation dans le comité d'initiative.»
En effet, la direction du PS est très présente dans le comité de l'initiative des Jeunes socialistes. En premier lieu Cédric Wermuth et Mattea Meyer en tant que coprésidents du PS Suisse, mais aussi la coprésidence du groupe parlementaire du PS au Parlement fédéral avec Samira Marti et Samuel Bendahan. Thierry Burkart déclare à Blick: «Il ne s'agit pas d'une initiative des Jeunes socialistes, mais d'une initiative du PS.»
Le PS réagit aux accusations
Cédric Wermuth ne veut pas commenter personnellement le reproche d'hypocrisie et renvoie à la centrale du parti. Celle-ci répond ainsi à l'attaque de Thierry Burkhart: «Le PS Suisse soutient officiellement l'initiative des Jeunes socialistes pour une politique climatique sociale et est logiquement représenté de manière importante dans le comité d'initiative.» Le PS salue le fait que des discussions soient maintenant menées sur un contre-projet efficace. «Nous invitons le PLR à y participer de manière constructive.»
Le PS ne veut pas toucher à la clause controversée de rétroactivité. Elle est un instrument approprié dans le cas d'évasion fiscale. Il ne faudrait en effet pas que les super-riches puissent se soustraire à la décision populaire en changeant de domicile juste après la votation.
La votation populaire sur l'«initiative d'expropriation», comme Thierry Burkart l'appelle, aura lieu au plus tôt en 2025. Mais le président du PLR annonce d'ores et déjà que son parti sera alors en première ligne pour s'y opposer.
En attendant, les juristes s'activent. Des expertises juridiques doivent déterminer si l'effet rétroactif de l'initiative de la Jeunesse socialiste est autorisé. Indépendamment des résultats, il est clair pour Thierry Burkart que des règles clairement définies doivent être établies pour encadrer les initiatives populaires à l'avenir. Le simple fait de lancer une initiative populaire ne devrait pas avoir d'effet avant la votation.
Le passeport suisse sera-t-il retiré?
Ce qui n'est pas clair non plus, c'est la rigueur avec laquelle l'Etat empêcherait les riches de transférer leur héritage à l'étranger. Ce point ne figure pas dans l'initiative. «Pour mettre fin à cette phase d'incertitude préjudiciable à l'économie, le Conseil fédéral devrait clarifier la situation», estime la conseillère nationale PLR Daniela Schneeberger. Elle se demande surtout si les personnes concernées doivent craindre un impôt de départ ou une restriction de la circulation des capitaux. La crainte d'un retrait du passeport suisse semble même se répandre. Daniela Schneeberger veut savoir si de telles «mesures extrêmes» sont envisageables.
Dans tous les cas, le Conseil fédéral rejette l'initiative de la JS. Il ne s'est cependant pas encore prononcé sur les détails de la question. D'ici là, Peter Spuhler et consorts vont trembler – et continuer à planifier leurs déménagements.