Et la fuite des grosses fortunes
L'initiative sur les successions pourrait causer une hausse d'impôt générale

Un impôt sur les successions pourrait faire fuir les riches et entraîner une hausse de l'impôt sur le revenu pour tous. C'est ce que montre une étude de l'UBS.
Publié: 17.07.2024 à 06:02 heures
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Dernière mise à jour: 17.07.2024 à 06:31 heures
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Les Jeunes socialistes veulent introduire un impôt sur les successions.
Photo: Keystone
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Holger Alich

L'introduction d'un impôt sur les successions pour les fortunes de plus de 50 millions de francs pourrait rapporter à la Suisse – même en cas de départ d'environ 50% des personnes concernées – une augmentation nette des recettes fiscales. Une bonne nouvelle à première vue qu'il convient de nuancer. D'une part car l'initiative affectera tout de même les recettes de l'impôt sur les successions et d'autre part car les recettes de l'impôt sur le revenu et la fortune pourraient significativement diminuer suite aux nombreux départs potentiels. Cela pourrait finalement entraîner des hausses d'impôts pour tous, jugent les économistes d'UBS dans une récente étude.

«Si les recettes de l'impôt sur le revenu et la fortune qui seront perdues ne peuvent pas être entièrement remplacées en raison de l'affectation des recettes de l'impôt sur les successions, des augmentations d'impôts ou des réductions, des prestations de la Confédération et des cantons pourraient être nécessaires malgré un effet net positif», écrivent les experts de l'UBS.

Plus de 50% des entrepreneurs familiaux veulent partir

L'initiative pour un impôt sur les successions des Jeunes socialistes a abouti en mars. Elle prévoit un «impôt sur l'avenir» de 50% sur les successions et les donations à partir de 50 millions de francs. Les héritages inférieurs à ce seuil resteront exonérés d'impôt.

L'initiative a certes peu de chances d'aboutir, mais si tel était le cas, elle risquerait de causer de gros dégâts. En effet, de nombreux entrepreneurs voient déjà une intention dangereuse. Ainsi, des entrepreneurs comme Peter Spuhler ou la famille Michel, fondatrice d'Ypsomed, envisagent de quitter la Suisse pour échapper à un éventuel nouvel impôt. Car pour pouvoir payer l'impôt exigé de 50%, leurs descendants devraient très probablement vendre leurs parts respectives de l'entreprise.

Selon une étude du cabinet de conseil PwC, 57% des entrepreneurs familiaux interrogés envisagent de quitter la Suisse afin de protéger leur entreprise et 66% envisagent de transmettre les actifs de manière anticipée par donation à la génération suivante.

3400 personnes seraient concernées en Suisse

Les économistes de l'UBS ont tenté d'évaluer les conséquences de l'introduction de cet impôt sur les successions sur les recettes fiscales globales. Comme il n'existe pas de données sur la fortune des ménages privés au niveau national, les experts se sont aidés d'estimations. Selon le «UBS Global Wealth Report 2023», on estime que 3400 personnes en Suisse possèdent une fortune de plus de 50 millions de francs. Leur fortune cumulée est estimée à environ 550 milliards de francs.

«En supposant qu'environ un cinquième des personnes concernées décède dans les dix prochaines années, les recettes fiscales annuelles moyennes sur la base de ces chiffres s'élèveraient à environ 4 milliards de francs pour les dix prochaines années», indique l'étude.

Ce chiffre présuppose toutefois qu'aucune des personnes concernées ne quitte le pays. Or, des études menées aux Etats-Unis montrent que ce sont justement les personnes particulièrement fortunées qui réagissent très fortement aux modifications de l'impôt sur les successions, «et ce de manière plus marquée à mesure qu'elles vieillissent», précise l'étude d'UBS. A cela s'ajoute le fait qu'environ la moitié des habitants les plus riches de Suisse sont nés à l'étranger. Leur lien avec la Suisse serait donc plus faible.

Les personnes concernées paient 2,7 milliards d'autres impôts

Les éventuelles recettes supplémentaires issues de l'impôt sur les successions pourraient être compensées par des pertes au niveau de l'impôt sur le revenu et la fortune. Les données du canton de Schwytz montrent que les 0,31% de contribuables disposant d'une fortune de plus de 50 millions de francs assument environ 53% des recettes de l'impôt sur la fortune.

Sur la base de ces données et des hypothèses retenues, les économistes de l'UBS estiment que ceux qui seraient concernés par l'impôt sur les successions paient environ 2,7 milliards de francs d'impôts par an aux communes, aux cantons et à la Confédération. «Contrairement aux impôts sur les successions, ces recettes fiscales ne seraient pas uniques en cas de départ, mais plus faibles pour toutes les années (...)», écrivent les experts.

Il n'est pas possible aujourd'hui de répondre clairement à la question de savoir combien de personnes concernées quitteraient effectivement le pays en raison de l'introduction d'un impôt sur les successions. C'est pourquoi les économistes de l'UBS travaillent avec des scénarios. Un scénario prévoit que 75% des personnes disposant d'une fortune de plus d'un milliard de francs partiraient. Parmi les personnes fortunées qui possèdent moins de 100 millions, l'UBS estime le taux de départ à 25%, respectivement à 50% pour les autres personnes fortunées. «Dans ce cas, l'effet net serait nul – les recettes et les pertes seraient équivalentes», estime-t-elle.

Mais même en cas de solde net positif, un problème subsiste: selon l'initiative, les recettes de l'impôt sur les successions ne sont pas censée alimenter le budget normal, mais être utilisées pour la lutte contre le changement climatique. «Si, par exemple, 50% décident de partir, sur la base de nos estimations, environ 2 milliards de francs nouveaux par an seraient alors disponibles pour lutter contre le changement climatique, mais 1,1 milliard de recettes d'impôts sur le revenu et la fortune seraient perdues chaque année.» Et ce poste devrait être remplacé par des économies ou par des augmentations d'impôts.

Pour simplifier, l'introduction d'un impôt sur les successions ne concernerait pas seulement les super-riches. Comme les départs menacent de provoquer des pertes au niveau de l'impôt sur le revenu et sur la fortune, cela pourrait signifier des augmentations d'impôts pour tous.

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