Où que j'aille, je reçois du thé sucré. Le patron d'un garage de luxe à Idlib me l'a servi sur un plateau doré. La fille du camp de réfugiés le sert, elle, dans un thermos. Je suis assise dans la poussière entre les tentes. Elle me tend un gobelet en carton tandis qu'une autre femme glisse un coussin sous mes fesses.
L'hospitalité est quelque chose d'important en Syrie. Je le savais déjà avant mon voyage. Pourtant, le pays sort d'une guerre civile. Près de 3% de la population a perdu la vie. La famille Assad a régné pendant 53 ans. Une vie de peur et de pauvreté, sous une dictature sans partage.
Je viens d'un pays riche et paisible, je ne porte pas de foulard, mais une caméra et un micro. Et je suis arrivée ici seule, en tant que jeune femme de 26 ans. Je m'attendais à de la méfiance, à des regards étranges, à des contrôles fréquents et à quelques interdictions d'accès. J'imaginais aussi de la violence dans les rues et un véritable désir de vengeance. Dans les régions en guerre, on ne sait jamais ce qui nous attend.
«J'étais encore une fille quand la famille Assad a pris le pouvoir»
«Viens, je veux que tu fasses la connaissance de ma grand-mère», me dit Ahmed, 33 ans, qui m'accompagne en tant que chauffeur et traducteur. Nous venons de déjeuner avec sa femme et sa fille, assis sur la terrasse, à quelques kilomètres de la ville de Homs. Ahmed n'a pas vu sa grand-mère depuis plus de dix ans. Elle est restée ici pendant qu'il fuyait vers Idlib.
Elle raconte: «J'avais perdu tout espoir après la mort de trois de mes fils à la guerre ou en prison. Lorsque les rebelles se sont approchés le week-end dernier, nous avons été bombardés toute la nuit. J'étais encore une fille quand la famille Assad a pris le pouvoir. Après tant de temps, je suis enfin libre!»
Des cités fantômes à perte de vue
Je passe ma première nuit en Syrie avec la famille d'Ahmed. Je dors dans une chambre d'enfant, sous une montagne de couvertures que sa tante a empilée sur moi. D'Homs, nous prenons la direction d'Idlib, où l'alliance de milices islamistes Hayat Tahrir al-Cham règne depuis sept ans.
En chemin, nous traversons d'innombrables cités fantômes. Des murs nus entre lesquels des civils ont planté leurs tentes. A certains endroits, les gens se réchauffent autour d'un feu, entourés de cratères et de maisons effondrées.
Devant les villes, des blocs de béton viennent entraver le passage des véhicules. Il s'agit de postes de contrôle mis en place sous le régime d'Assad. Le nouveau gouvernement rebelle ne les a pas encore réaffectés. Nous devons tout de même nous arrêter une fois. Un homme jette alors un regard dans la voiture par la fenêtre ouverte et me voit assise avec les deux hommes. Je fouille dans mon sac à dos pour trouver mon passeport. Mais l'homme nous a déjà fait signe de passer.
Des voiles, des niqab... et parfois rien
«La communauté internationale craint que les droits des femmes soient restreints par le groupe HTS. Je comprends cela. Mais je me demande: où était la communauté internationale lorsque nos femmes ont été bombardées, torturées en prison et abusées par les soldats d'Assad?», dit Ahmed.
En Syrie, et plus particulièrement à Idlib, les femmes ont le droit de conduire, d'étudier et de travailler. C'était le cas sous Assad, ça l'est encore avec le groupe HTS. La plupart portent un voile classique, certaines un niqab – c'est-à-dire un voile intégral couvrant tout le visage à l'exception des yeux. D'autres en revanche ne portent ni l'un ni l'autre.
Mais quand je leur tends la main, les hommes se montrent irrités. «Chez nous, il n'est pas d'usage de serrer la main d'une femme», explique Mohannad. La grande majorité de ceux que je rencontre le font quand même.
«Dis aux gens de ton pays que nous allons bien»
Nous passons la deuxième nuit à trois dans l'appartement de Mohannad. Sa femme et ses enfants sont à Homs, et Ahmed ne cesse de me demander si nous ne devrions pas plutôt rentrer dormir là-bas. Je réponds par la négative, car il est tard et je suis fatiguée. Le lendemain, Ahmed m'explique: «J'avais peur que tu ne te sentes pas en sécurité avec nous sans d'autres femmes. Mais je n'ai pas osé aborder le sujet directement.»
Nous repartons en direction de Damas. Dans la capitale, des journalistes du monde entier sont de sortie. Pour le voyage aller depuis la frontière jordanienne, j'ai payé 500 dollars. «Une arnaque», estime Mohannad. «Cela me dérange quand des gens profitent d'une telle situation pour s'enrichir», renchérit Ahmed.
Les deux hommes me ramènent finalement à la frontière jordanienne. Avant de me quitter, Ahmed me demande une faveur: «Dis aux gens de ton pays que nous allons bien et que nous sommes forts. Et que nous ne permettrons pas d'être à nouveau autant opprimés.»