Les travailleurs du bâtiment en Suisse sont en colère. Depuis des semaines, ils descendent dans la rue pour protester contre les revendications de la Société suisse des entrepreneurs (SSE). Plusieurs événements du genre ont déjà eu lieu, notamment à Genève et Lausanne, où les maçons ont paralysé les rues. Une grande action de protestation aura lieu ce vendredi à Zurich, cette fois.
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Six séances de négociations ont déjà eu lieu pour tenter d'aboutir à une nouvelle convention nationale pour le secteur principal de la construction, sans succès. La 7e, et dernière, commencera lundi prochain. En cause des troubles: à l'avenir, les ouvriers du bâtiment devront travailler au maximum 48 heures par semaine, sans compter les heures supplémentaires. C'est trois heures de plus qu'auparavant. Dix heures de trajet aller-retour entre le lieu de domicile et le chantier peuvent s'ajouter au temps de travail maximal par semaine. Par conséquent, en contrepartie, les syndicats demandent une augmentation de salaire de 4,3%.
Si les négociations sont fructueuses, une nouvelle convention nationale devrait entrer en vigueur dès l'année prochaine. Mais les fronts se sont durcis, ces derniers mois. Malgré tout, Blick a réussi à réunir, autour d'une table, le directeur de la SSE, Bernhard Salzmann, et Nico Lutz, chef du secteur de la construction chez le syndicat Unia.
A la Brasserie Fédérale de la gare centrale de Zurich, les deux belligérants se saluent amicalement d'une poignée de main. Quelques minutes plus tard, pourtant, ils s'enverront des piques sans détours. Entretien.
Les syndicats sortent l'artillerie lourde, avec toutes ces manifestations. Pourquoi ne parviennent-ils pas à se faire entendre pacifiquement?
Nico Lutz: L'enjeu est de taille pour les ouvriers du bâtiment. Leurs journées de travail sont déjà trop longues actuellement, pendant l'été. Leur santé et leur famille en souffrent. Et les entrepreneurs réclament désormais des journées estivales encore plus longues.
D'autres organisations et entreprises comme Swiss ont trouvé des solutions à la table des négociations, sans faire grève! Vous cherchez la bagarre?
Nico Lutz: Dans le bâtiment, nous avons eu des conflits très intenses lors des négociations par le passé. C'est une tradition pour les travailleurs du bâtiment de descendre ensemble dans la rue, lorsque les négociations sont complètement bloquées.
Bernhard Salzmann: Contrairement à Monsieur Lutz, je trouve que les négociations sont tout à fait constructives. Nous discutons des sujets importants. Pourtant, les syndicats organisent actuellement des grèves préventives. A Bâle, Unia a envoyé des troupes cagoulées sur les chantiers, qui ont rapidement menacé des ouvriers. De telles méthodes sont inacceptables et contre-productives pour la cause.
Nico Lutz: C'est un manque de respect pour les ouvriers du bâtiment qui se battent pour leurs conditions de travail. Peut-être ne veulent-ils pas être reconnaissables parce que leur employeur a voulu leur interdire de participer. Vos reproches sont un nouveau prétexte pour ne pas négocier.
L'ancienne Convention nationale (CN) est encore en vigueur jusqu'à la fin de l'année, et avec elle, l'obligation de paix. Les syndicats doivent donc s'abstenir de faire grève, officiellement. Vous avez porté plainte à Genève pour violation de l'obligation de paix et avez perdu, Monsieur Salzmann. C'est un sacré revers, n'est-ce pas?
Bernhard Salzmann: Le tribunal genevois ne s'est pas prononcé sur le fond. L'obligation de paix est clairement stipulée dans la convention, et les syndicats la violent. Par leur comportement, les syndicats envoient des signaux comme s'ils ne voulaient pas de nouvelle convention. Les entrepreneurs veulent un contrat, mais celui-ci doit être respecté.
Nico Lutz: La situation actuelle est certainement regrettable. Dès le début des négociations, les entrepreneurs ont misé sur une tactique dilatoire. Ils n'étaient pas prêts à discuter de contenus concrets lors des quatre premiers tours de négociations. Nous, en revanche, avons clairement mis nos revendications sur la table. Maintenant, les discussions doivent enfin se concrétiser. Si nous ne trouvons pas de solution d'ici à la fin de l'année, nous risquons de déclencher une grève à l'échelle nationale.
Bernhard Salzmann: Il était très important que nous puissions définir ensemble des intérêts communs comme la protection de la santé, la promotion de la relève et le maintien de la main-d'œuvre qualifiée et âgée. Ce n'est pas une perte de temps! Nous voulons être un secteur attractif.
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Vous évoquez la santé, et dans le même temps vous souhaitez que les ouvriers du bâtiment travaillent à l'avenir 48 heures par semaine, au lieu de 45 heures. Sans compter le temps de déplacement.
Bernhard Salzmann: Aujourd'hui déjà, la CN autorise 48 heures par semaine en cas de besoin. Nous ne voulons pas travailler plus longtemps qu'aujourd'hui, ni dans la semaine, ni sur l'année. Et nous ne voulons pas non plus de journées de travail trop longues. Nous proposons ici des freins concrets, qui empêcheraient les abus. Mais il va de soi que, dans le bâtiment, il y a des périodes où l'on travaille davantage.
Nico Lutz: Aujourd'hui, légalement, travailler 48 heures n'est possible que dans des cas exceptionnels. Selon la proposition des entrepreneurs, ce serait dorénavant la norme. Et cette nouvelle norme représenterait 9,6 heures par jour. Ajoutez à cela, en été surtout, un travail physique difficile par forte chaleur. Si c'était possible, les entreprises feraient travailler tout le monde de la sorte, vu la pression des délais dans notre domaine. A cela s'ajouteraient encore des heures supplémentaires, et une à deux heures de déplacement par jour. Ce n'est pas possible. En été, nous avons besoin de journées de travail plus courtes, pas plus longues, justement.
Bernhard Salzmann: C'est précisément pour cette raison que les entreprises de construction ont besoin d'une plus grande marge de manœuvre en matière de temps de travail. Elles doivent pouvoir arrêter le travail l'après-midi en cas de forte chaleur, et rattraper ce temps un autre jour. Voilà à quoi ressemble une protection concrète de la santé des travailleurs.
Nico Lutz: Vous savez très bien que c'est déjà possible avec la réglementation actuelle. Mais ce dont nous avons besoin à l'avenir, c'est d'une protection qui permette d'arrêter automatiquement les travaux à partir d'une certaine température, par exemple.
Bernhard Salzmann: Cela ne permet pas de tenir compte des différentes situations sur le chantier. En cas de températures élevées, il est souvent possible de travailler sans problème à l'ombre au rez-de-chaussée, alors que cela n'a aucun sens sur un chantier exposé au soleil. Dans ce cas, les entreprises doivent pouvoir réagir de manière spécifique au chantier, et ce, sans risquer de prendre du retard en termes de délais et de coûts.
Deux ouvriers du bâtiment ont récemment raconté à Blick à quel point il est difficile de concilier travail et famille. Les entrepreneurs ne veulent-ils pas être des employeurs attractifs?
Bernhard Salzmann: Bien sûr que si. C'est précisément pour cela que nous devons pouvoir planifier le temps de travail de manière plus simple et plus flexible. Nous avons besoin de réglementations simples à grande échelle pour que les ouvriers du bâtiment les plus âgés, ou même les jeunes générations, puissent travailler à temps partiel. Les «journées de papa» sont également de plus en plus demandées. Nous devons pouvoir proposer des solutions dans ce domaine.
Nico Lutz: Ce sont des contes de fées, et les ouvriers du bâtiment ne sont pas idiots. Le travail à temps partiel est possible sans problème avec la convention nationale actuelle. Votre proposition signifie simplement des journées d'été plus longues. C'est pourquoi les travailleurs de la construction descendent dans la rue.
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Le président de la Société soleuroise des entrepreneurs a réclamé, dans le journal local, des salaires plus bas pour les travailleurs âgés. Voulez-vous déclasser les plus âgés?
Bernhard Salzmann: Lors de la dernière séance de négociations, nous avons clairement indiqué aux syndicats que nous ne demandions pas de baisse de salaire pour les travailleurs âgés. Si les syndicats continuent à le prétendre, lors de la grève de ce vendredi, c'est tout simplement faux.
Nico Lutz: Les possibilités de classer les collaborateurs plus âgés à un niveau inférieur en cas de changement d'emploi, et de réduire leur protection contre le licenciement étaient clairement à l'ordre du jour des négociations. Si vous n'exigez plus cela désormais, nous nous en réjouissons, bien sûr.