Grand Conseil neuchâtelois
Seule contre tous, la PLR Armelle von Allmen-Benoit n'a pas voulu interdire les thérapies de conversion

Mardi, Neuchâtel est devenu le premier canton à interdire les thérapies de conversion, qui prétendent «guérir» l'homosexualité. Au Grand Conseil, la libérale-radicale Armelle von Allmen-Benoit, candidate au Conseil national, est la seule à avoir voté non. Interview.
Publié: 03.05.2023 à 15:32 heures
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Dernière mise à jour: 03.05.2023 à 15:36 heures
La jeune trentenaire «pense que c'est aux juges d'appliquer les règles déjà en vigueur pour ensuite créer une jurisprudence et arriver au même résultat».
Photo: KEYSTONE/MARTIAL TREZZINI/DR
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Amit JuillardJournaliste Blick

Nonante-neuf voix contre une, zéro abstention. Mardi après-midi, le Grand Conseil neuchâtelois, à majorité de droite, a décidé d’interdire les thérapies de conversion, qui visent à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. A la quasi-unanimité, donc. Seule la libérale-radicale (PLR) Armelle von Allmen-Benoit s’y est opposée.

En plénum, l’agricultrice ne s’est pas exprimée, laissant les autres argumenter avant de fanfaronner. Comme la conseillère d’Etat Florence Nater, en charge de la cohésion sociale: «C’est un véritable signal fort. Ces pratiques, que nous espérons les plus rares possible, sont extrêmement destructrices pour les personnes concernées. Elles ont des effets ravageurs, car elles sont basées sur l’idée erronée que l’homosexualité ou la transidentité sont une maladie qui doit être soignée.»

Une première en Suisse

La ministre socialiste peut se réjouir: son projet, né d’une motion des partis de gauche en janvier 2022, a convaincu jusque dans les rangs conservateurs de l’Union démocratique du centre (UDC). Résultat, Neuchâtel est devenu le premier canton à légiférer sur la question — dans d’autres cantons et au Conseil national, des motions en ce sens ont été acceptées, mais aucune loi n’a encore été édictée.

Candidate au Conseil national, Armelle von Allmen-Benoit n’a pas peur d’aller à contre-courant, mais prend des pincettes au moment d’aborder ce sujet sensible. Pour Blick, la Locloise revient sur les raisons qui l’ont poussée à «fronder». La jeune trentenaire dénonce un texte «à la portée limitée» et préfère «protéger l’ensemble de la population que d’édicter des règles qui créent des distinctions entre différentes catégories de personnes».

Armelle von Allmen-Benoit, les thérapies de conversion, qui prétendent guérir l’homosexualité ou la transidentité, font des ravages en Suisse. Au Grand Conseil neuchâtelois, vous êtes la seule à avoir voté contre leur interdiction. Pourquoi?
La première chose que je tiens à dire, c’est que je n’ai pas pris la parole dans l’hémicycle parce que mon but n’est ni de blesser ni de minimiser les conséquences psychologiques de ces mesures de conversion, qui ne fonctionnent pas. Je suis convaincue de leurs effets néfastes.

Mais alors pourquoi vous être opposée à cette nouvelle loi?
De manière générale, je m’oppose aux nouvelles lois à la portée limitée. Il vaut mieux protéger l’ensemble de la population que d’édicter des règles qui ne concernent qu’une partie des citoyennes et citoyens et qui créent des distinctions entre différentes catégories de personnes. Il y a énormément de choses qui font l’identité d’une personne, au-delà de son identité de genre ou de son orientation sexuelle.

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«Je pense que forcer quelqu'un à changer de couleur de cheveux devrait aussi être interdit»
Armelle von Allmen-Benoit, députée PLR neuchâteloise
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À quoi pensez-vous?
À la couleur de cheveux, par exemple avec le harcèlement des personnes rousses. Je pense que forcer quelqu’un à changer de couleur de cheveux devrait aussi être interdit. Heureusement, ce genre de contraintes psychologiques ou de violences physiques sont déjà réglementées.

Est-ce suffisant?
Oui. C’est d’ailleurs ce que dit le Conseil fédéral: les personnes mineures sont clairement protégées contre ces mesures de conversion et que, pour les adultes, qui sont capables de s’y opposer, elles tombent sous le coup des lois interdisant les violences psychologiques et la contrainte.

Les dispositions en vigueur ne sont visiblement pas satisfaisantes aux yeux du Conseil d’État et des 99 autres députées et députés… Comment interprétez-vous leur vote?
Aujourd’hui, tout ce qui touche la communauté LGBTQIA + (ndlr: pour lesbienne, gay, bi, trans, queer, intersexe et agenre) fait l’actualité et il y a un courant très fort qui pousse à voter dans un sens. Les difficultés rencontrées par cette minorité sont mises en lumière et je pense que, des fois, c’est davantage une question de projecteur que de problèmes sur le terrain.

Vous voulez dire que cette minorité ne rencontre pas de problèmes au quotidien?
Non. Je ne veux pas être mal comprise. Ce que je dis, c’est que, aujourd’hui, il y a un souhait de vouloir empoigner les problématiques qui concernent cette minorité et que c’est pour cela que le Grand Conseil a voté pour. Dans mon groupe politique, beaucoup avaient l’impression qu’il était important d’avoir une règle spécifiquement destinée à cette minorité. Mon désaccord est là: je pense que c’est aux juges d’appliquer les règles déjà en vigueur pour ensuite créer une jurisprudence et arriver au même résultat.

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«Je ne suis pas sûre que ça rende service à cette minorité qui aspire à vivre comme tout le monde»
Armelle von Allmen-Benoit, députée PLR neuchâteloise
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Vous parlez de «coups de projecteur» sur la minorité arc-en-ciel: ça vous agace qu’on légifère souvent pour la protéger?
Je ne suis pas sûre que ça rende service à cette minorité qui aspire à vivre comme tout le monde. Et je ne suis pas certaine que remettre constamment nos différences et de nouvelles exigences sur le tapis soit positif pour le bien commun. Prenons par exemple une autre demande, en cours de traitement au Grand Conseil: les toilettes non genrées (ndlr: fin de la séparation entre les hommes et les femmes). Une telle mesure pourrait poser un problème à une autre minorité: les personnes d’origine musulmane. Nous, au législatif, devons parler au plus grand nombre. Il est important que les lois que nous faisons s’adressent à l’ensemble de la population et que les cas spécifiques soient réglés par les tribunaux.

Vous dites qu’interdire les thérapies de conversions ne rend pas service à cette minorité. Ça ne semble pourtant pas être l’avis de cette communauté.
Je ne connais pas l’agenda des personnes et des associations qui défendent cette minorité-là. Sur la scène politique, chaque groupe d’intérêt essaie de mettre en avant les thèmes qui lui sont chers, mais l’ensemble d’une minorité ne se sent pas forcément proche de cette façon de faire.

Est-ce qu’au sein de votre parti, on a essayé de vous mettre des bâtons dans les roues avant le vote?
Pas du tout. On m’a dit que c’était important que je les avertisse de mon vote en séance de préparation et que je parle en mon nom et pas au nom du parti, mais que j’étais libre.

Sur ces thèmes de société, le PLR neuchâtelois a plutôt tendance à adopter une ligne dite humaniste ou progressiste. Vous vous sentez toujours en phase avec vos collègues?
Oui. Je ne crois pas que mon «non» représente un courant non progressiste ou non humaniste. D’autre part, mon parti s’oppose en général à toute nouvelle loi à la portée limitée. Le PLR Neuchâtel avait par exemple proposé que pour chaque nouvelle loi, on en enlève une autre. Donc les raisons qui m’ont poussée à voter différemment ne sont pas en porte-à-faux avec la ligne de mon groupe. J’ai simplement fait une pesée d’intérêts.

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