«Personnellement, je ne conseillerais cette formation à personne.» Le constat est grave… et partagé par plusieurs étudiants en Gestion de la nature (GN) à la Haute école du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève (HEPIA). Guidés par Jean*, élève passionné mais déçu, ils ont pris leur plume le 3 mai. Leur lettre de huit pages a été envoyée à leur institution, ainsi qu’aux directions de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) et à sa branche genevoise.
Ces étudiants dénoncent des problèmes d’organisation et une lourde surcharge de travail. Plus alarmant encore, ils pointent du doigt des comportements sexistes de la part d’enseignants, un manque d’inclusivité envers les élèves vivant avec un handicap et ceux aux «conditions physiques moindres». En effet, la formation est divisée entre cours théoriques et sorties pratiques, par exemple pour observer des plantes.
Les initiateurs de ce courrier souhaitent rester anonymes, par «manque de confiance» en leur institution, et par peur de représailles. Ils partagent leurs revendications à Blick et à la «Tribune de Genève», persuadés que les dysfonctionnements d’une formation financée par des fonds publics concernent toute la société.
Sexisme à la sauce «blague»
Une étudiante évoque «un impact profond sur [sa] confiance en [elle]». L’excuse de la «bonne blague» serait ainsi régulièrement utilisée pour justifier des commentaires dégradants. En mars dernier, une de ces «vannes» ne passe pas pour les étudiantes du cours de Gestion et suivi des espèces aquatiques. «Un professeur expliquait que les silures était une espèce de poisson à niveau intellectuel réduit comparé à d’autres, rapporte une élève. Il a ajouté, ‘un peu comme les femmes’.»
Les étudiantes rapportent aussi des regards déplacés, des commentaires quant à leur «fertilité». Hommes comme femmes déplorent un favoritisme pour les élèves masculins. Jean mentionne d’ailleurs une ambiance «masculiniste», notamment lors d’ateliers en lien avec des chantiers. Une étudiante se souvient d’un «nous les garçons, on aime beaucoup les grosses machines», lancée par un prof en cours de Projet d’aménagements. Elle regrette ces «idées préconçues».
La Haute école «condamne fermement toutes remarques sexistes ou à caractère sexuel, intolérables», assure sa chargée de communication, Barbara Lalou, contactée par Blick. Une enquête contre le harcèlement a été lancée le 13 mai auprès de toute la communauté HES-SO. Une étude similaire avait déjà été menée, il y a plus de trois ans.
Tenues féminines critiquées
Plusieurs jeunes femmes se plaignent également de remarques sur leurs vêtements. Contactée par Blick, une ancienne élève, Eva*, se souvient d’un oral passé en juin 2022. «J’ai eu le malheur de porter un t-shirt qui révélait deux centimètres de mon ventre. Tout l’examen, j’ai trouvé le professeur étrange.» Plus tard, elle apprend que l’enseignant a publiquement jasé sur sa tenue, précisant que «forcément, devant des filles comme ça, on est déconcentrés. On est quand même des hommes avec des hormones!»
Ce professeur, se rappelle Eva, avait auparavant été suivi, «pour voir comment il fonctionnait. C’était un essai de la part de l’HEPIA pour faire changer les choses. Une année avant mon oral, les élèves étaient anonymisés lors de son examen final, pour éviter le favoritisme.» Elle déplore un retour à la case départ, une fois le suivi terminé.
Barbara Lalou confirme le suivi pédagogique mis en place. «Depuis, les évaluations d’enseignement sont bonnes. À ce jour, aucun des propos cités lors de cet oral de juin 2022 n’ont été reportés», souligne-t-elle.
La communicante ajoute que plusieurs dispositifs existent pour dénoncer ces comportements, y compris la présence sur les sites de l’HEPIA d'une «répondante égalité des chances». Quant à savoir comment se vêtir pour aller en cours, se rendre en sortie dans la nature ou passer un oral, la porte-parole de l’institution affirme qu’il n’y a aucun code vestimentaire.
Temps additionnel pas toujours respecté
Ce que les élèves de l’HEPIA nomment «tiers-temps» sont des minutes supplémentaires accordées lors d’examens aux personnes ayant des besoins particuliers. Un exemple commun de ces besoins est la dyslexie. Jean parle d’un «droit, pas un privilège». Il serait souvent ignoré, au point que des étudiants surnomment la filière GN «la fabrique de l’injuste».
Un professeur «arrache avec antipathie les copies des mains des élèves pendant son examen, et ne donne pas leur temps supplémentaire aux personnes qui en ont besoin», témoignent des élèves. Jean confirme l’incident des copies arrachées, survenu en novembre dernier.
Le 24 janvier, l’examen de «Diagnostic des milieux» a été la goutte de trop pour une autre étudiante. Se voyant refuser son temps additionnel, elle s’est énervée, élevant la voix pour obtenir son délai. «C’est décourageant, alors que le contenu des cours est passionnant», se désole un témoin de la scène.
L’HEPIA reconnaît que le système en place est perfectible, et «s’y attelle». Mais si leur droit n’est pas respecté, ce sont aux étudiants de se plaindre auprès des répondants prévus à cet effet. «Les tiers-temps sont octroyés sur la base de certificats médicaux et peuvent donc ne pas concerner tous les types d’évaluations, aux modalités propres, explique Barbara Lalou. La dimension logistique n’est pas négligeable.»
Filière pas inclusive
Posons d’abord le contexte. En filière GN, les excursions sur le terrain sont centrales au bon déroulement du cursus, rapporte l’HEPIA. Les élèves doivent connaitre la flore sur le bout des doigts et posent notamment des «diagnostics écologiques». Un article du règlement indique ainsi que «l’étudiant·e doit jouir d’un état de santé compatible avec la formation». L’article est valable pour toutes les filières bachelors des six écoles de la HES-SO Genève.
Pour Jean et ses camarades critiques, ce concept n’est pas compatible avec la mission d’une école financée par l’argent public. Tout le monde, même une personne en chaise roulante, doit pouvoir suivre le cursus. Selon lui, proposer des aménagements est au bon vouloir des enseignants. Certains le font très bien, d’autres pas du tout. Il ajoute qu’étudier les plantes peut aussi se faire avec des outils comme les herbiers. Il souligne enfin que les débouchés de la formation ne sont pas tous pratiques. «On peut travailler dans le conseil ou dans un musée.»
«En cas d’éligibilité et d’intérêt à faire une formation avec des besoins éducatifs particuliers, les aménagements possibles sont étudiés au cas par cas, par la coordination de l’enseignement et les responsables de filière», rapporte Barbara Lalou. Les demandes augmentent fortement et les procédures sont actuellement en révision au bout du Léman. Un nouvel «Espace Santé» va être mis en place, indique l'institution.
Sorties pas adaptées
Deux sorties restent en travers de la gorge de Jean, lui qui, féru de montagne, a pourtant un bon niveau sportif. La première, «Botanique avancée», date de juin dernier. Il critique fermement l’aspect sécuritaire, sachant que le chef de filière «a fait passer une classe complète sur des pentes avoisinant les 30 degrés». La deuxième, «Lichen», a eu lieu trois mois plus tard, à la cabane Brunet en Valais. «Deux amies n’ont pas été attendues alors que le dénivelé est de 800 mètres», s’indigne Jean. L’une des deux s’est blessée au genou.
Dans les deux cas, les étudiants affirment n’avoir reçu aucune information préalable quant aux distances ou aux dénivelés de ces sorties optionnelles. De son côté, le responsable de filière confirme que la sortie de juin «n’avait rien de compliqué ni de dangereux, explique Barbara Lalou. Aucune remarque ne lui est remontée, ni sur la sortie, ni sur le reste d’ailleurs». En septembre, «la marche s’est déroulée avec des arrêts fréquents pour observer les lichens ; rien d’anormal n’a été rapporté», communique-t-elle. Elle ajoute qu’en 29 années d’enseignement sur divers terrains, «aucun accident grave» n’a été rapporté.
De leur côté, les signataires de la missive sont las de se plaindre et de n’observer aucun changement. «Les mêmes problèmes basiques sont relevés par les étudiants plus ou moins à chaque séance des délégués, et aucune communication sur des changements concrets n’est apportée», s’attriste Jean.
Le 23 mai, les élèves sont convoqués à une séance pour présenter les principales conclusions de l’autoévaluation externe de la filière, ainsi que le plan d’étude de la rentrée 2024-2025. Une réponse à la lettre de Jean et des autres? Ces derniers n'en sont pas sûrs, et espèrent «mieux que de la pure démagogie».
En 2022, une lettre ouverte avait déjà été envoyée aux enseignants de la filière GN, concernant la charge de travail. Pour les étudiants, rien n’a changé, si ce n’est qu’une semaine d’ateliers et leur voyage d’étude ont été supprimés.
Ils dénoncent notamment un nombre de cours, d’ateliers et d’heures d’apprentissage bien plus élevé que ce que prévoient les accords de Bologne. «Soit les Universités accordent trop allègrement leurs crédits ECTS, soit les Hautes Écoles les dispensent avec trop de parcimonie», écrivent Jean et ses collègues en 2024. Plusieurs s'étonnent d'à quel point les enseignants insistent pour finir la formation en quatre ans, plutôt que trois. «Ils savent que c'est extrêmement compliqué, ils en parlent dès la première séance d'information», rapporte Jean.
Erreurs dans les notes
Les élèves déplorent aussi des problèmes d’organisation, comme des erreurs dans le report des notes par le secrétariat. Une étudiante s’est ainsi vue remettre un 3,5, mi-avril, pour un examen qu’elle avait en réalité bien réussi.
«Tout est fait pour limiter l’erreur dans la saisie des notes mais cela reste possible, reconnaît Barbara Lalou, chargée de communication de l’HEPIA. La consultation des copies est toujours possible et permet des rectifications. Néanmoins, il est attendu de l’étudiant·e un suivi attentif de ses évaluations. Il/elle peut d’ailleurs à leur réception interpeller l’enseignant·e ou le responsable de filière, voire faire réclamation auprès de la direction de l’école.»
En 2022, une lettre ouverte avait déjà été envoyée aux enseignants de la filière GN, concernant la charge de travail. Pour les étudiants, rien n’a changé, si ce n’est qu’une semaine d’ateliers et leur voyage d’étude ont été supprimés.
Ils dénoncent notamment un nombre de cours, d’ateliers et d’heures d’apprentissage bien plus élevé que ce que prévoient les accords de Bologne. «Soit les Universités accordent trop allègrement leurs crédits ECTS, soit les Hautes Écoles les dispensent avec trop de parcimonie», écrivent Jean et ses collègues en 2024. Plusieurs s'étonnent d'à quel point les enseignants insistent pour finir la formation en quatre ans, plutôt que trois. «Ils savent que c'est extrêmement compliqué, ils en parlent dès la première séance d'information», rapporte Jean.
Erreurs dans les notes
Les élèves déplorent aussi des problèmes d’organisation, comme des erreurs dans le report des notes par le secrétariat. Une étudiante s’est ainsi vue remettre un 3,5, mi-avril, pour un examen qu’elle avait en réalité bien réussi.
«Tout est fait pour limiter l’erreur dans la saisie des notes mais cela reste possible, reconnaît Barbara Lalou, chargée de communication de l’HEPIA. La consultation des copies est toujours possible et permet des rectifications. Néanmoins, il est attendu de l’étudiant·e un suivi attentif de ses évaluations. Il/elle peut d’ailleurs à leur réception interpeller l’enseignant·e ou le responsable de filière, voire faire réclamation auprès de la direction de l’école.»
*Noms d'emprunts