Le timing ne pourrait pas être pire: jeudi, le chancelier allemand Olaf Scholz recevra l'émir du Qatar, Tamim bin Hamid al Thani. Quelques jours après l'attaque du Hamas contre Israël, l'un des principaux donateurs des combattants pour la cause palestinienne se voit dérouler le tapis rouge à Berlin. Les médias allemands ont d'ailleurs titré: «Scholz reçoit le meilleur sponsor de la terreur».
Des questions similaires se posent également en Suisse. Certes, le Conseil fédéral a décidé mercredi d'interdire le Hamas, qualifié d'«organisation terroriste», une mesure réclamée par les représentants d'Israël et les politiques de tous les partis.
Mais la Suisse entretient depuis des décennies de bonnes relations avec les investisseurs de la bande de Gaza et du Hamas, en particulier le Qatar et l'Iran qui injectent chaque année des centaines de millions de dollars. Les relations de notre pays avec l'Iran sont principalement pour des raisons diplomatiques, en raison du mandat de puissance protectrice. Avec le Qatar, il s'agit davantage d'intérêts économiques.
«La Suisse doit trouver une approche plus claire»
Interdire le Hamas ne signifierait-il donc pas aussi prendre ses distances avec ses investisseurs? Oui, estime Jonathan Kreutner, secrétaire général de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI). Interdire le Hamas est un premier pas. «Mais la Suisse devrait aussi remettre en question son attitude laxiste envers des régimes comme l'Iran, avance-t-il. La Suisse condamne trop prudemment les violations flagrantes des droits de l'homme et l'antisémitisme de ce pays. La Suisse doit adopter une attitude plus claire avec ce régime.»
Hans-Peter Portmann, vice-président de la Commission de politique extérieure du Conseil national, soutient les propos de Jonathan Kreutner. «Nous ne pouvons pas continuer à faire du lèche-vitrine avec des États comme la Syrie, le Liban, le Qatar, qui financent cette terreur», déclare le conseiller national zurichois. Il a fait inscrire cette question à l'ordre du jour de la séance de la commission de lundi.
Utilité du mandat de puissance protectrice?
Le conseiller national PLR estime qu'il faut même remettre en question le mandat de puissance protectrice de la Suisse en Iran. «Si nous ne parvenons pas à utiliser ce mandat pour faire cesser ce financement du terrorisme, nous devrions envisager d'y renoncer.»
Elisabeth Schneider-Schneiter est d'un tout autre avis. «La question de savoir comment traiter avec des pays tiers peut se poser dans de nombreux conflits.» La conseillère nationale du Centre de Bâle-Campagne rejette l'imposition de sanctions ou toute autre mesure similaire. Selon elle, il est plus judicieux et important de soulever régulièrement la question du financement problématique vis-à-vis de l'Iran, également dans le cadre du mandat de puissance protectrice. «Dans le cas du Qatar, il serait plus efficace de concentrer nos efforts sur des relations diplomatiques et économiques.»
Intérêts économiques au Qatar
Les contacts de la Suisse avec le Qatar sont «excellents», comme l'a déclaré l'ambassadeur suisse à Doha, Edgar Döring, il y a un an. Il est possible de faire des affaires lucratives avec cet État du Golfe.
- Avec un volume commercial de 2,3 milliards de francs, le Qatar était déjà en 2022 le troisième plus grand partenaire commercial de la Suisse au Moyen-Orient.
- En 2022, des tableaux d'une valeur de 600 millions de francs ainsi que des bijoux et des montres de luxe d'une valeur de près de 800 millions de francs ont été exportés vers le Qatar.
- Les machines, les médicaments et l'or sont d'autres produits phares destinés à l'exportation.
- Le Qatar est également le plus gros acheteur de biens d'armement suisses. En 2022, des armes et des munitions d'une valeur de 213,4 millions de francs ont été exportées vers l'État du Golfe.
Compte tenu de l'importance économique du Qatar, il n'est guère étonnant que l'ancien ministre des Finances et ancien ministre de la Défense Ueli Maurer ait entretenu des relations particulièrement étroites avec l'État du Golfe. Il s'est rendu à plusieurs reprises dans cet Etat, et son dernier voyage officiel l'a même conduit à Doha, où il a assisté au match de la Coupe du monde de football entre la Suisse et le Brésil.
Ueli Maurer le sauveur du Qatar?
Mais les Qataris sont aussi intéressés par des affaires avec la Suisse. Ils ont investi 5% dans Credit Suisse et détiennent des parts dans le géant des matières premières Glencore. Et la Suisse est en train de négocier l'achat de gaz liquide qatari.
Un autre secteur qui attire les Qataris est le tourisme. Il y a des années déjà, le fonds souverain qatari a acheté des hôtels de luxe comme le Schweizerhof à Berne et le Bürgenstock Resort au bord du lac des Quatre-Cantons pour un total de près d'un milliard de francs. Et là aussi, Ueli Maurer a aidé. Lorsque les Qataris ne pouvaient pas louer leurs appartements au Bürgenstock et voulaient donc les vendre à de riches étrangers, l'ancien conseiller fédéral serait intervenu personnellement pour que le «Bürgenstock» bénéficie d'une exception à la Lex Koller.
En Iran, l'économie n'est pas importante
En Iran, les intérêts économiques de la Suisse sont moins importants. Le volume des échanges commerciaux ne s'élevait qu'à 163 millions de francs en 2022, ce qui est également dû aux sanctions internationales contre le régime des mollahs. Ainsi, il est presque impossible pour une entreprise suisse de trouver une banque prête à financer d'éventuelles activités commerciales en lien avec ce pays.
Le dialogue diplomatique est davantage important. Ainsi, la Suisse détient différents mandats de puissance protectrice auprès de l'Iran. En tant que telle, elle représente, dans le cadre de ses «bons offices», les intérêts d'Etats étrangers, par exemple ceux de l'Iran en Égypte et au Canada ainsi que ceux des États-Unis en Iran.
Ces «bons offices» ne sont pas totalement désintéressés. L'engagement diplomatique de la Suisse doit conduire à une plus grande stabilité au Proche-Orient. Mais la Confédération espère aussi obtenir des accès privilégiés à différents gouvernements, ce qui pourrait un jour s'avérer payant.