Vous rentrez chez vous, tard le soir, après une longue journée, fouillez dans votre sac pour retrouver vos clés. Hélas, mauvaise surprise: un proche les a emportées avec lui, par mégarde, à l’étranger! Vous voilà «enfermé dehors», selon l’expression consacrée. Que faire? En 2022, la réponse est presque toujours la même: demander à Google le contact d’un serrurier d’urgence opérant 24 heures sur 24.
C’est ce qu’a fait Alexandre*, et mal lui en a pris: ce Vaudois est tombé comme bien d’autres avant lui dans les mailles d’un filet fort bien installé par trois malfaiteurs présumés. La liste des lésés, que Blick a pu consulter, est très longue: entre le 1er juillet et le 9 décembre 2021, ce sont 93 personnes dans tous les cantons romands qui auraient été piégées par ces serruriers plus prompts du détroussage que du trousseau.
Parmi les premiers résultats Google
Le mode opératoire était simple. En effectuant une recherche pour trouver un serrurier en urgence, les Romands escroqués tombaient presque systématiquement sur le site de la société S., très bien référencée. À leur arrivée sur les lieux, l’un des collaborateurs de l’entreprise annonçait un premier devis pour l’ouverture de la porte, puis prétextait des travaux complémentaires pour réclamer des montants exorbitants.
«Les prévenus profitaient de l’urgence, de l’heure tardive et de l’inexpérience des clients, voire de leur âge, pour surfacturer leurs interventions», écrit le Ministère public genevois dans l’acte d’accusation daté du 6 septembre dernier. Ces trois individus et leurs «hommes de main» n’hésitaient pas à mettre la pression: les clients devaient régler sur place des sommes à quatre chiffres. Un homme a déboursé plus de 4000 francs à lui tout seul!
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Genève, Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Valais: les serruriers n’ont pas lésiné sur les kilomètres pour amasser un chiffre d’affaires de presque 140’000 francs, selon la reconstitution de leur périple par la justice genevoise. Celle-ci commence à avoir une certaine expérience en la matière, puisqu’un autre trio avait déjà arnaqué 140 clients entre 2016 et 2018: il avait été condamné à des peines allant jusqu’à 30 mois de prison, dont douze avec sursis.
Des amateurs engagés comme serruriers
Cette nouvelle bande n’a rien à voir avec la précédente, si ce n’est le même mode opératoire. Leur profil a été reconstitué avec précision par le procureur Marc Rossier: les deux principaux suspects sont des ressortissants allemands, serruriers de formation. À la suite de la faillite de l’entreprise qui l'employait comme son comparse, un jeune homme de 27 ans — que nous appellerons Kevin* — est devenu administrateur d’une nouvelle société.
L’aubaine de cette nouvelle entreprise active dans le dépannage d’urgence, c’est d’avoir continué à recevoir les bulletins d’intervention via un centre téléphonique au Maroc. En clair, lorsqu’un client en détresse appelait le numéro figurant sur Google pour pouvoir entrer dans son domicile fermé, ses coordonnées étaient ensuite transmises par un téléphoniste dans la combine, via WhatsApp et depuis le Maghreb, à une brigade d’intervention.
L’associé de Kevin était, lui, chargé de recruter des ouvriers afin de mener à bien les «interventions». Les guillemets sont de mise, puisque les deux complices enrôlés n’étaient pas au bénéfice d’une formation de serrurier. Avec des conséquences évidentes pour les clients: non contents d’avoir déboursé des milliers de francs pour leur serrure et les prétendues complications, les victimes de cette escroquerie présumée ont souvent dû engager un second ouvrier, vrai professionnel cette fois, pour réparer les dégâts de ces manoillons formés sur le tas par leurs complices, selon le Ministère public.
Douze mois de prison requis
C’est au tour de la justice genevoise de faire sa facture. Elle requiert la condamnation de Kevin*, pour escroquerie par métier et emploi d’étrangers sans autorisation, à un an de prison avec sursis. L’Allemand, qui a déjà passé 115 jours en détention préventive en attendant son jugement, devrait également être expulsé du territoire suisse pour cinq ans, demande le Parquet.
Ses deux principaux associés, interpellés quelques jours avant Kevin, devraient pour leur part être condamnés à huit mois de réclusion avec sursis et également être expulsés pour cinq ans. Une peine un peu moins importante puisqu’ils ne sont accusés «que» d’exercice d’activité lucrative et non d’emploi d’étrangers sans autorisation.
Les trois escrocs présumés ont été détenus jusqu’en avril, Kevin étant désormais placé sous mesure de substitution. Contactés par l’intermédiaire de leurs avocats respectifs, les serruriers n’ont pas voulu faire de commentaire.
*Noms connus de la rédaction