Entretien avec le socialiste Pierre-Yves Maillard
«La réforme de la santé est un fiascos»

Le conseiller aux États et président de l'Union syndicale suisse, Pierre-Yves Maillard, s'oppose à la réforme de la santé Efas, sur laquelle le peuple devra se prononcer en novembre 2024. Santé, Europe, Blick a sondé le socialiste sur les dossiers brûlants. Interview.
Publié: 21.10.2024 à 10:59 heures
Le conseiller aux États et président de l'Union syndicale suisse, Pierre-Yves Maillard, s'oppose à la dernière réforme de la santé proposée au peuple. (Image d'archives)
Photo: keystone-sda.ch
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Raphael Rauch

Contrairement aux fois précédentes, le conseiller aux États socialiste (PS) Pierre-Yves Maillard ne va pas pouvoir compter sur une gauche unie pour la votation populaire sur la modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal), aussi appelée votation pour le financement uniforme des prestations de santé (Efas). Les Vert-e-s ont décidé de laisser la liberté de vote à leurs membres, pour cette échéance du 24 novembre prochain.

Les sections cantonales du PS des Grisons, d'Argovie et de Bâle-Campagne ont l'intention de voter pour, contrairement au parti au niveau national. C'est l'une des raisons qui a poussé Blick à s'entretenir avec le grand patron des syndicats. Le vaudois prend par ailleurs, à cette occasion, position sur le dossier européen – pour la première fois depuis longtemps. Interview. 

Pierre-Yves Maillard, quelle note donnez-vous à la ministre de la Santé Elisabeth Baume-Schneider?
J'ai certes été enseignant, mais je ne donne pas de notes aux conseillers fédéraux. Je respecte Elisabeth Baume-Schneider, même si nous ne sommes pas d'accord au sujet de la modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie. 

La conseillère fédérale le promet: si cette modification de la loi est acceptée, elle éliminera les mécanismes qui faussent le bon fonctionnement du système de santé...
Cette modification ne change rien à la question centrale de savoir qui peut facturer combien. Elle ne supprime pas les mauvaises incitations. Il s'agit surtout d'un transfert de la gestion de 13 milliards d'argent du contribuable des cantons vers les caisses maladie. L'idée de l'Efas vient d'ailleurs des lobbies des assurances maladie. Alain Berset (PS) et Elisabeth Baume-Schneider (PS) ont tenté de rendre cette réforme moins nuisible. Mais, malgré tout, cette Efas est un fiasco.

C'est-à-dire?
Depuis des décennies, toutes les réformes de la santé ont renforcé le pouvoir des lobbies, et donc augmenté les coûts pour les citoyens. Cela va continuer, avec Efas. Le Conseil fédéral dit lui-même que ce texte entraînera une augmentation des primes: de 3% à Bâle, de 1,9% à Berne et de 1,6% à Zurich par exemple. Avec l'introduction des soins de longue durée dans le système, les primes augmenteront encore plus et le contrôle démocratique que l'on peut avoir dessus diminuera.

Si la politique de santé cantonale fonctionne si bien, pourquoi y a-t-il tant de scandales dans les hôpitaux? Et pourquoi les primes augmentent-elles constamment?
Parce que la dernière réforme quant au financement des hôpitaux a affaibli la responsabilité des cantons en la matière. L'Efas va l'affaiblir encore, pour ce qui est des maisons de retraite et aux soins à domicile cette fois. 

Alors pourquoi la majorité des socialistes au Parlement ont-ils accepté ce texte?
Les cantons comptent de nombreux directeurs de la santé issus de l'Union démocratique du centre (UDC). Certains socialistes ne leur font pas confiance, et espèrent qu'une solution au niveau nationale serait meilleure pour tous. Mais à chaque fois que l'on transfère du pouvoir des cantons à la Confédération, ce sont toujours les lobbyistes de Berne qui finissent gagnants. Ce ne sont pas les payeurs de primes et les hôpitaux cantonaux qui profiteront d'un nouveau financement des hôpitaux, mais les caisses maladie et les cliniques privées.

Les médecins de famille se disent eux aussi favorables à Efas. Travailsuisse et l'association du personnel soignant ne se sont pas prononcés. Tous ces acteurs sont aveuglés, d'après vous?

Vous savez ce qui est incroyable? En 2025, nous paierons au total, tous ensemble, environ 7 milliards de primes d'assurance de plus qu'en 2022. Nous aurions urgemment besoin de plus de pédiatres ou de médecins de famille, à l'heure actuelle, mais ces 7 milliards ne résoudront pas ce problème. Car les soi-disant «partenaires tarifaires» gèrent mal l'argent.

Que proposez-vous?
Nous devons par exemple limiter le nombre de points tarifaires par médecin et par jour. La journée d'un médecin ne compte que 24 heures. Les spécialistes ne devraient pas pouvoir facturer 27 heures de travail! Et il doit y avoir plus de transparence. Les médecins qui facturent trop doivent être réfrénés. Mais les partenaires tarifaires ne participeront pas à une telle mesure. 

Passons à l'Europe (UE). Le conseiller fédéral Beat Jans (PS) s'exprime souvent à ce sujet, mais il ne critique jamais les syndicats dans ce contexte. Avez-vous passé un accord?
Non, il n'y a pas d'accord. Mais le conseiller fédéral Beat Jans sait peut-être que les syndicats ne sont pas le problème.

Mais ils semblent pourtant freiner l'avancée du dossier européen...
Notre position est connue depuis des années. Nous exigeons de la sécurité, en matière de protection des salaires: à travail égal, salaire égal. Et nous n'acceptons pas que les secteurs de l'électricité et du rail soient libéralisés. Tout le monde en Europe sait que le transport ferroviaire fonctionne très bien en Suisse.

Que pensez-vous des milliardaires qui se cachent derrière l'initiative Boussole Europe, très critique envers l'UE ?
Les partisans de l'UE en Suisse doivent eux aussi compter des milliardaires. Le conseiller national libéral-radical (PLR) Simon Michel n'est en tout cas pas pauvre (rires). Nous sommes en contact avec tous, mais nous définissons notre position de manière indépendante.

Si les négociations avec Bruxelles n'aboutissent pas dans le sens voulu par les syndicats, envisageriez-vous de faire cause commune avec l'initiative Boussole?
Non. Si un mauvais résultat est soumis au peuple, nous ferons, comme toujours, notre propre campagne.

Le Conseil fédéral vous invite régulièrement à des discussions au sujet de l'Europe. Est-ce que vous avancez dans ce dossier, lors de ce «Sounding Board»?
Il n'y a pas de négociations lors de ces réunions. Le Sounding Board sert à faire circuler les informations. Mais je n'y ai encore rien entendu qui me satisfasse. Il me manque des garanties quant à la préservation des acquis des travailleurs suisses, et quant au fait que notre service public ne sera pas remis en question.

Les Bilatérales III ont donc déjà échoué?
Non, de mon point de vue, la question de l'UE est encore tout à fait ouverte. Mais nous ne céderons pas sur nos principales revendications. Nous avons fait de nombreuses propositions, pour trouver une solution avec Bruxelles. Contrairement à l'UDC, nous ne rejetons pas l'accord en bloc. Le Conseil fédéral et Bruxelles devraient saisir cette chance.

Que pensez-vous de la réserve dont fait preuve la conseillère fédérale libérale-radicale Karin Keller-Sutter quant au dossier européen ?
Nous ne connaissons que la position de l'ensemble du Conseil fédéral. Et nous avons le sentiment qu'il souhaite, cette fois-ci, déléguer la responsabilité au Parlement. Le problème, c'est que les partis ont toujours les prochaines élections en tête, et donc le risque de perdre un pourcent de ses voix est jugé plus important que la perspective d'une solution sur le difficile dossier européen.

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