Du marketing sous la Coupole
Les titres des initiatives sont-ils trompeurs?

Depuis quelques années, les intitulés des initiatives populaires commencent à ressembler à des slogans publicitaires. Détournement marketing ou marge de manoeuvre légitime? Damien Cottier (PLR/NE), qui voudrait légiférer, et un linguiste éclairent notre lanterne.
Publié: 24.10.2021 à 06:11 heures
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Dernière mise à jour: 24.10.2021 à 07:53 heures
La rentrée politique de Damien Cottier, Conseiller national PLR, a justement été marquée par une initiative parlementaire... sur les initiatives. La semaine passée, son projet "Un titre neutre pour les initiatives populaires afin d’assurer la libre formation de l’opinion" a connu un gros flop à la Commissions des institutions politiques.
Photo: keystone-sda.ch
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Les titres des initiatives ne sont-ils plus que des slogans marketing mensongers? C’est le débat qu’a tenté d’initier Damien Cottier, conseiller national PLR, à Berne; sans grand succès.

En effet, son initiative parlementaire «Un titre neutre pour les initiatives populaires afin d’assurer la libre formation de l’opinion» a connu un gros flop à la Commissions des institutions politiques. Et pour cause, selon l'explication fournie par cette dernière: «Il n’y pas lieu de charger la Chancellerie fédérale d’attribuer un titre neutre - voire un numéro en lieu et place d’un titre - aux initiatives populaires. La définition des titres doit rester du ressort des comités d’initiative, dans les limites des dispositions légales.»

Mais que reproche précisément le Neuchâtelois aux intitulés de cet outil démocratique propre à notre pays? «Les titres sont parfois utilisés comme des instruments de marketing politique par les comités d’initiative. Cela alors même qu’ils figurent sur le bulletin de vote, qui est un document officiel et qui par conséquent devrait être le plus neutre possible.»

Dans la zone grise

Les initiatives se laisseraient donc aller à un langage trop familier… jusqu’au mensonge? «Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il y a des titres d’initiative trompeurs. Car la législation actuelle prévoit déjà qu’un titre jugé mensonger doive être corrigé. Le problème est que, dans la réalité, l’on est souvent dans la zone grise. Concrètement, l’on simplifie trop - jusqu’à caricaturer sa propre proposition - à des fins publicitaires.»

Pour étayer sa position, le conseiller national donne quelques exemples en réponse à un internaute sur Facebook. L’«Initiative de limitation» (UDC, rejetée en 2020) est notamment visée. Selon le politicien, le titre n’est pas adéquat car le texte prêcherait en réalité non pas une limitation, mais une résiliation de la libre circulation.

Dans ce contexte, il serait facile de pointer du doigt l’UDC – spécialiste national en matière de titres et d’affiches qui font jaser. Mais, pour Damien Cottier, la tare est partagée par tout le spectre politique, son propre parti y compris. «Presque tout le monde utilise la marge de manoeuvre dont les comités d’initiative disposent pour placer des titres avant tout accrocheurs, qui contiennent souvent des jugements de valeur, regrette-t-il. Dès que l’on met un adjectif ou un qualificatif dans un titre, on lui donne déjà une orientation subjective. Et c’est là que nous avons un problème.» Et d’ajouter, pour donner un exemple concret: «Lorsque vous proposez une initiative qui s’intitule «Pour une politique raisonnable en matière de chanvre», vous décrivez ce que vous proposez comme étant raisonnable face au reste - qui ne le serait par conséquent pas. Or, celui qui vote non à cette initiative n’est pas forcément déraisonnable.»

Mais n’est-ce pas là tout le jeu de la politique? Les exagérations, les raccourcis et les promesses non-tenues ne datant pas d’hier. «Convaincre à coup de slogan est pour moi le rôle des affiches et des campagnes. Ce n’est pas le rôle d’un intitulé qui figure sur un bulletin de vote officiel», rétorque le Neuchâtelois, regrettant que sa proposition n'aie pas plus retenu l'attention de Berne.

Éduquer la population?

«La proposition de Monsieur Cottier me semble naïve ou utopique, rétorque à cet argumentaire Pascal Signy, professeur de linguistique à l’Université de Lausanne. Si l’on veut être réaliste, et que l’on veut diffuser son opinion, il faut trouver des stratégies pour le faire.» L’académicien ne partage pas l’avis du libéral-radical. Pour lui, en politique, il faut faire plutôt faire preuve de pragmatisme: «Aujourd’hui, nous vivons dans un monde dit communicationite - où les flux d’information sont présents partout tout le temps. Et cela grâce aux nouveaux moyens techniques qui permettent aux discours de circuler; je parle évidemment des réseaux sociaux.»

Ainsi, nos cerveaux étant constamment asphyxiés d’images et de sons, les départements de marketing et de communication des groupes politiques doivent redoubler d’efforts pour faire réagir ne serait-ce que l'une de nos cellules grises. «Désormais, il faut vraiment être frappant pour retenir l’attention des gens, confirme le linguiste. C’est là que les stratégies inventées en marketing peuvent être opérantes en politique.»

Et existe-t-il des formulations magiques pour attirer les signatures? En fait… oui. «Il faut un énoncé très court, de préférence sans verbes, ou avec des verbes conjugués à l’impératif (Donnez vos organes!). Ou encore mieux: juste une copule (un élément linguistique servant à lier, ndlr): Mon ennemi, c’est la finance; Le changement, c’est maintenant; Étrangers, dehors! par exemple…».

«Les mots ont tous au moins trois sens»

Les mots, il faut s’en méfier. Surtout des grands; comme «liberté», «étranger» ou encore «justice». L’on s’en rend difficilement compte sur le moment, en les lisant à travers d’un poste Instagram ou d’un programme politique, mais ce sont en réalité de véritables pots pourris de significations. «Ces grands mots ont un sens dénotatif, qui rend compte d’une réalité, mais aussi un sens connotatif – c’est à dire affectif, explique Pascal Singy. Et il y a certains mots qui, au niveau émotionnel, ont plus d’impact que d’autres. Il faut y faire attention.»

Plus que cela, ces termes très généraux – auxquels l’on peut encore ajouter «nature» ou «humanité», par exemple – sont extrêmement polysémiques; c’est à dire qu’ils peuvent revêtir plusieurs sens selon le contexte dans lequel ils sont énoncés. Et c’est d’ailleurs le cas de la plupart des mots, dans une moindre mesure: «En linguistique, nous savons désormais que les mots ont au moins trois sens, affirme le linguiste. Il y a justement le sens dénotatif, le sens connotatif et finalement le sens indiciaire, qui lui donne des informations sur la personne ou le groupe qui énonce.»

Les mots, il faut s’en méfier. Surtout des grands; comme «liberté», «étranger» ou encore «justice». L’on s’en rend difficilement compte sur le moment, en les lisant à travers d’un poste Instagram ou d’un programme politique, mais ce sont en réalité de véritables pots pourris de significations. «Ces grands mots ont un sens dénotatif, qui rend compte d’une réalité, mais aussi un sens connotatif – c’est à dire affectif, explique Pascal Singy. Et il y a certains mots qui, au niveau émotionnel, ont plus d’impact que d’autres. Il faut y faire attention.»

Plus que cela, ces termes très généraux – auxquels l’on peut encore ajouter «nature» ou «humanité», par exemple – sont extrêmement polysémiques; c’est à dire qu’ils peuvent revêtir plusieurs sens selon le contexte dans lequel ils sont énoncés. Et c’est d’ailleurs le cas de la plupart des mots, dans une moindre mesure: «En linguistique, nous savons désormais que les mots ont au moins trois sens, affirme le linguiste. Il y a justement le sens dénotatif, le sens connotatif et finalement le sens indiciaire, qui lui donne des informations sur la personne ou le groupe qui énonce.»

En somme, pour Pascal Signy, Damien Cottier s’empare du problème par le mauvais bout: «Ce qu’il faut réellement, c’est éduquer la population à ce langage marketing. Et cela passe avant tout par l’école. Il faudrait des cours de réthorique obligatoires, qui présenteraient les mécaniques qu’il y a derrière les slogans et les messages politiques.» Pour l’heure, il faut attendre d’être au moins en première année universitaire de Lettres ou de Sciences humaines pour apprendre à décortiquer ce genre de phénomènes… Les plus chanceux d’entre nous ayant peut-être eu un cours sur la publicité ou une introduction au discours politique lors de nos études post-obligatoires.

Pour aller plus loin: Une explication animée du post-structuralisme, l’une des théories qui a permis d’expliquer la polysémie des mots, et d’étudier les différents niveaux de langage.

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