Le coronavirus est aussi une pandémie de chiffres. Cas, valeurs, incidences, jamais le monde n'a produit autant de graphiques et de courbes. Mais les statistiques ne servent pas seulement la science, elles sont aussi un instrument pour guider la politique.
La dernière preuve en date est fournie par le canton de Berne: début juillet, le directeur de la santé de l'UDC Pierre Alain Schnegg a annoncé qu'il n'autoriserait dans un premier temps le dépistage des écoliers que pendant trois semaines après les vacances d'été: «Avec ce tableau, nous pourrons prendre une décision définitive sur la poursuite des tests de masse ou d'autres méthodes».
Taux de positivité initial de 0,09%
Au début, la situation semblait radieuse. La première semaine d'école après les vacances a révélé des valeurs très basses, de même que la deuxième: 84'624 tests ont permis de découvrir 81 cas; le taux de positivité était de 0,09%, soit un taux plus bas que dans tout autre canton. Pierre Alain Schnegg était sur la bonne voie: pourquoi tester en masse si les chiffres sont si faibles?
L'OFSP a toutefois posé une autre question: comment est-ce possible que les chiffres des contaminations au Covid soient si bas? Jusqu'alors, les tests scolaires du canton de Berne étaient analysés par un laboratoire de Münsingen (BE). Or, l'OFSP a exigé que pour la fin de la phase de test de trois semaines, les échantillons de salive des élèves soient analysés par deux autres laboratoires, par mesure de précaution.
Correction à la hausse
Le jeudi et le vendredi de l'avant-dernière semaine, ces laboratoires ont prélevé les échantillons... et les valeurs sont montées en flèche. Lundi, Berne recensait trois cas d'infection chez environ 18'000 élèves, soit un taux de positivité de 0,01%. Jeudi, les nouveaux laboratoires ont enregistré 70 cas chez environ 20'000 élèves. Le taux de positivité a donc soudainement pris l'ascenseur, pour atteindre 0,33%. Vendredi, dix cas ont été recensés parmi les quelque 2200 personnes testées et le taux a encore augmenté, passant à 0,44%.
Il est ainsi apparu que les chiffres publiés jusqu'alors pour les tests scolaires dans le canton de Berne ne correspondaient pas à la réalité. Le laboratoire de Münsingen a signalé des échantillons positifs comme étant négatifs. À ce jour, personne ne sait combien il y en avait réellement et ce qui s'est passé exactement. Mais l'augmentation rapide après les ajustements opérés par les laboratoires supplémentaires suscite des craintes, au moment même où Berne terminait les tests scolaire en assurant qu'au vu des résultats exemplaires, ce n'était pas nécessaire.
Au vu des nouvelles données fournies par les laboratoires, Pierre Alain Schnegg n'a rien fait du tout, sans doute dans l'espoir que cette hausse désagréable resterait cachée dans la masse des moyennes hebdomadaires. En effet, c'est la seule donnée que le canton publie.
Pure fiction?
Après la troisième semaine d'école, Berne annonce un taux de positivité de 0,12%. Bien que le chiffre soit supérieur à celui de la semaine précédente, le Canton l'a estimé suffisamment bas pour mettre un terme aux tests de masse dans les écoles.
Ce chiffre est toutefois une pure fiction. Il devrait être beaucoup plus élevé, comme le prouve un document que le public ne devait jamais avoir sous les yeux, et que nous nous sommes procurés.
Le document est une vue d'ensemble sur les trois semaines de tests. Il montre que le taux de positivité moyen du canton pour la dernière semaine n'est basé que sur les valeurs du lundi au mercredi, soit les valeurs incorrectes provenant du laboratoire de Münsingen et avant l'intervention de l'OFSP.
Moyenne réelle de 0,3 pour cent
Si la suite avait également été comprises dans la moyenne hebdomadaire, le taux d'infection serait d'au moins 0,3%, comme ce fut le cas jeudi et vendredi lorsque d'autres laboratoires ont analysé les tests.
Mais le public s'est vu présenter la moyenne hebdomadaire de 0,12%. En comparaison à la période précédant les vacances scolaires, le nombre d'infections dans les écoles a été multiplié par 20, et non pas six comme le soulignait le conseiller d'État Pierre Alain Schnegg le week-end dernier.
Berne avec la plus forte augmentation en Suisse?
Berne chute de bon élève en queue du peloton. Seule l'Argovie présente une augmentation aussi importante des infections.
La population ne savait rien de tout cela jusqu'à aujourd'hui. Au lieu de cela, elle a été témoin des fanfaronnades du canton qui a décidé de mettre fin à ses tests de masse au vu de valeurs prétendument splendides. Jeudi encore, le directeur bernois de la santé déclarait: «Au cours des douze semaines pendant lesquelles le Canton a effectué des tests dans les écoles, seuls quelque 350 cas ont été découverts».
Pierre Alain Schnegg a choisi de garder pour lui le fait que le laboratoire de Münsingen avait effectué des analyses incorrectes et que le canton n'avait pas corrigé ses moyennes hebdomadaires en tenant compte des analyses des laboratoires supplémentaires mandatés par l'OFSP.
Confronté à ces révélations, le département de la Santé bernois balaye l'affaire. Selon son porte-parole Gundekar Giebel, «aucune communication particulière n'était nécessaire». Le département de Pierre Alain Schnegg estime que si les cas augmentent à présent, c'est uniquement au vu de l'évolution nationale à la hausse.
Manque de transparence
Rien de grave, vraiment? La conseillère nationale socialiste bernoise Flavia Wasserfallen voit les choses d'un autre oeil: «Des erreurs peuvent être commises. Mais il n'est pas acceptable de balayer simplement une chose aussi grave sous la table».
Rudolf Hauri, médecin cantonal de Zoug et président de l'Association des médecins cantonaux, est du même avis: «Bien sûr, les erreurs font partie de la pratique, et il est juste de les examiner. Mais il est tout aussi important de faire connaître ses erreurs par la suite. C'est une question de transparence».
Pierre Alain Schnegg n'est apparemment pas préoccupé par la situation: pour lui, des tests de masse sont encore hors de question. «Le Canton est passé de tests de masse relativement imprécis à un système de tests lors d'apparitions de foyers Covid, ce qui est plus efficace», explique son porte-parole.
Ne tester qu'en cas de crise, voilà qui ne convient pas à Rudolf Hauri à Zoug: «Nous avons eu une très bonne expérience avec les tests scolaires en série», déclare le médecin. «Ils ont apporté le calme dans les salles de classe. La gestion frénétique des apparitions de foyers a tendance à avoir l'effet inverse».
Est-ce que Berne a encore besoin de tests de masse?
Le virologue Andreas Cerny pense également que «le dépistage régulier du personnel enseignant et de soutien, ainsi que des enfants dans les écoles est un instrument reconnu, efficace et également recommandé pour le contrôle des épidémies.»
Selon lui, le passage à la gestion des foyers de contamination n'est recommandé que si quelques cas positifs seulement sont signalés. Il est douteux que ce soit le cas à Berne. C'est pourquoi la politicienne Flavia Wasserfallen l'exige: «Le canton de Berne doit reprendre les tests de masse dans les écoles!»
Pierre Alain Schnegg n'a pas l'intention de dévier de sa route. Il reste fidèle à l'image qu'il a donné de lui-même en juillet: celle de quelqu'un de peu impressionnable. Aux dépens des enfants.