La situation des hôpitaux publics est inconfortable. Les déficits se succèdent et les cantons mettent en place des plans de sauvetage de plusieurs millions pour secourir leurs prestataires de base. Les petits hôpitaux, qui ne sont pas les plus pertinents en matière de prestation de soins, sont de plus en plus souvent laissés pour compte. Il s'agit alors de les fermer ou de les privatiser.
C'est effectivement une tendance qui commence à se dessiner en Suisse. Dans le canton d'Argovie, Swiss Medical Network (SMN) a annoncé en décembre dernier son intention de reprendre l'hôpital de Zofingen, qui était alors profondément endetté. Auparavant, le deuxième groupe hospitalier privé de Suisse avait déjà tenté de racheter l'hôpital de Langenthal (BE), mais les négociations avaient échoué.
Pour instaurer un modèle d'assurance
Pour le groupe hospitalier, l'accord avec l'hôpital de Zofingen permet d'établir son nouveau modèle d'assurance dans la région du Mittelland. En collaboration avec la caisse maladie Visana et le canton de Berne, Swiss Medical Network a lancé il y a un an l'assurance Viva dans le Jura bernois. Le modèle en place est celui des «soins intégrés», où les assurés ne peuvent pas choisir librement leur médecin: ils sont pris en charge de manière coordonnée par une seule personne au sein de la région de soins.
En 2025, Viva sera également disponible au Tessin, mais ce n'est pas tout. SMN et Visana veulent donc conquérir le Mittelland à partir de Zofinguen. Les deux compagnies souhaitent que d'ici 2030, dix régions en «soins intégrés» soient créées en Suisse, avec environ 100'000 assurés. Aujourd'hui, le modèle compte 3000 membres. L'objectif annoncé est de freiner les coûts de la santé.
Les prestataires privés font baisser les coûts
Le fait que des acteurs privés profitent de la crise des hôpitaux publics n'a rien d'étonnant selon Stefan Felder, économiste de la santé à l'Université de Bâle. «Les groupes privés voient un énorme potentiel dans les soins de base, car ils peuvent économiser des coûts grâce à des systèmes et des processus uniformisés», explique-t-il. Si davantage de prestataires non étatiques entrent en jeu, ça sera l'occasion de réduire efficacement les coûts, explique Stefan Felder, et ce «sans aucune perte de qualité».
Les syndicats sont en revanche alarmistes. Ils craignent que le personnel soignant et, en fin de compte, les patients, ne souffrent du diktat des économies imposé par des acteurs axés sur le profit.
Cedric Wermuth interpelle le Conseil fédéral
Le coprésident du Parti socialiste (PS) Cédric Wermuth a fait de la privatisation de l'hôpital de Zofinguen un sujet de discussions pour la Confédération. Cedric Wermuth veut savoir si le Conseil fédéral est conscient «que la situation financière difficile des petits hôpitaux est exploitée par des hôpitaux privés». Le socialiste est révolté contre l'importance croissante de la privatisation des soins de base et contre l'influence grandissante d'investisseurs étrangers.
Le conseiller national argovien fait ainsi allusion à la société d'investissement Aevis Victoria qui possède SMN. Outre les hôpitaux privés, son activité principale reste l'hôtellerie de luxe. Elle possède entre autres le Crans Ambassador à Crans-Montana, le Mont Cervin Palace à Zermatt ou encore le Victoria-Jungfrau Grand Hotel à Interlaken.
Des investisseurs étrangers
Le Medical Properties Trust, Inc. (MPT) américain et le fonds souverain du Koweït sont actionnaires de la société. Les Américains détiennent la moitié des biens immobiliers de Swiss Medical Network par le biais d'une filiale d'Aevis-Victoria.
Cela montre bien que le secteur hospitalier n'est pas exempté des logiques du marché immobilier. En raison de la forte réglementation du secteur, l'immobilier médical est toujours considéré comme un investissement sûr. De plus, le fait que la Suisse soit loin derrière les autres pays en matière de traitements ambulatoires entraîne un énorme besoin d'investissement dans l'infrastructure au cours des prochaines années. Dans ce contexte, les investisseurs à forte capacité financière gagneront encore en importance.
250 millions pour un nouvel hôpital à Bienne
Selon les informations de Blick, Swiss Medical Network est très intéressé par le financement de la construction du nouveau centre hospitalier de Bienne. Pour la somme faramineuse de 250 millions de francs.
Le directeur de l'hôpital de Bienne, Kristian Schneider, se montre «ouvert à toutes les variantes de financement à l'heure actuelle». Kristian Schneider, vice-président de l'association des hôpitaux H+, pense que «si nous voulons changer durablement le système de santé, nous devons penser en termes de partenariats public-privé». Selon lui, l'État n'est pas capable d'assumer seul les investissements à venir.
Kristian Schneider est soutenu par son «patron» politique, le directeur de la santé bernois Pierre Alain Schnegg. Le politicien UDC est considéré comme un accélérateur de la privatisation. Il déclare: «Nous devons enfin nous éloigner de l'idée que seul l'Etat peut faire de la bonne médecine.»
Pour sa part, le Conseil fédéral ne voit pas la nécessité d'intervenir en raison de cette privatisation croissante. D'un point de vue économique, il faut saluer le fait que les hôpitaux de soins primaires examinent les synergies possibles et encouragent la collaboration, écrit-il dans sa réponse à l'intervention de Cedric Wermuth. La question de savoir si d'autres hôpitaux seront vendus à des groupes privés reste toutefois entre les mains des cantons.