Des marges sur le bio trop hautes?
Migros a voulu censurer un rapport du Surveillant des prix

Le géant orange a fait jouer ses muscles pour empêcher une publication indésirable de la Surveillance des prix, l'Office fédéral chargé de relever les abus de prix des biens et services. Ce dernier ne s'est pas laissé marcher dessus, mais a dû faire des concessions.
Publié: 19.03.2023 à 06:00 heures
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Dernière mise à jour: 19.03.2023 à 10:15 heures
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Le surveillant des prix Stefan Meierhans s'est emporté: «Vous exigez pratiquement que le surveillant des prix adopte le point de vue de Migros.»
Photo: Keystone
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Thomas Schlittler

Fin janvier, le Surveillant des prix Stefan Meierhans a publié une enquête préliminaire sur les prix et les marges sur les aliments bio. Conclusion: les produits bio doivent supporter en Suisse «une marge très élevée» et sont donc plus chers que dans d'autres pays.

Monsieur Prix pense cette anormalité due au «contexte peu concurrentiel» en Suisse. Le rapport soulève même la question de savoir s'il existe dans notre pays une «domination collective du marché par Coop et Migros», ce qui «entraverait massivement» une concurrence efficace. En effet, la présence d'une certaine compétition dans un marché est une des garanties pour les consommateurs d'un accès à des prix acceptables.

La version originale restera secrète

Ces déclarations ne manquent pas de sel. Dans la version originale du rapport, le Surveillant des prix avait même fait de nombreuses autres déclarations qui n'étaient pas du tout du goût de Migros et Coop.

Malheureusement, le public ne la verra jamais. En effet, les avocats de Migros ont non seulement réussi, par des menaces juridiques, à retarder la publication du rapport de plus d'un mois, mais ils ont également obtenu du Surveillant des prix qu'il procède à de nombreuses adaptations – à comprendre: des édulcorations.

Migros dénonce un rapport «sans données fondées»

Dans ce contexte, le géant orange n'a pas fait dans la dentelle, comme le montre notre enquête. Dans une lettre datée du 9 décembre 2022, que Blick a pu consulter via la loi sur la transparence, les juristes de Migros ont non seulement fait part de leur «étonnement» face au rapport prévu, mais ont par ailleurs qualifié le travail du surveillant des prix de «fortement tendancieux» et ont critiqué le fait que Migros soit clouée au pilori «sans données fondées».

Ce qui a particulièrement déplu à la chaîne de supermarchés, c'est le choix de dénoncer exclusivement les marges élevées de Migros et de Coop, lorsque celles des fournisseurs comparables comme Spar et Volg ne sont pas mentionnées.

Migros n'était pas du tout d'accord avec l'affirmation selon laquelle elle aurait un «duopole de facto» avec Coop et que les supermarchés Aldi et Lidl n'auraient guère d'importance en Suisse. Les données du commerce de détail montreraient qu'en 2021, trois quarts des ménages suisses auraient aussi fait leurs achats chez ces deux derniers fournisseurs, selon la direction Legal & Compliance de la fédération des coopératives. C'est précisément cela, la concurrence.

Reproche d'illégalité

Les responsables de Migros ont en outre déploré que la raison principale de la hausse des prix bio – les prix de production nettement plus élevés – soit «totalement passée sous silence» dans le rapport.

Enfin, le géant orange a indiqué dans sa lettre qu'il considérait les documents du Surveillant des prix comme «clairement illégaux». Les avocats ont donc exigé qu'il soit indisponible à la publication sous sa forme actuelle.

La publication est retardée

Une semaine plus tard, le 16 décembre 2022, Stefan Meierhans fait savoir qu'il souhaitait en principe tenir compte des «rectifications souhaitées», mais ce, uniquement pour prévenir les litiges et pouvoir publier les résultats de ses investigations «sans plus tarder».

Ce n'était toutefois qu'un vœu pieux: le même jour, une autre lettre est arrivée à Berne, dans laquelle Migros émettait pas moins de 53 demandes de rectification. «Ceci pour le cas où, contre toute attente, vous mainteniez la publication du rapport.» Il n'était alors définitivement plus possible de publier le rapport dans les temps.

Des demandes abusives

Peu avant Noël, le 23 décembre, l'homme de 54 ans s'est à nouveau adressé à Migros et a critiqué la direction Legal & Compliance pour être allée, avec ses demandes, bien au-delà de ce qui était prévu à l'origine, à savoir marquer d'éventuels secrets d'affaires. «Ils demandent pratiquement que le Surveillant des prix adopte le point de vue de Migros», s'est indigné Monsieur Prix.

Celui-ci ne comprend pas la démarche, surtout parce que le rapport est une «enquête préliminaire», dans laquelle il s'agit uniquement de trouver des indices d'une marge excessivement élevée sur les produits (bio). Les exigences en matière de preuves sont réduites.

Néanmoins, Stefan Meierhans fait savoir qu'il a examiné les demandes en détail et qu'il est prêt à faire des concessions à Migros «dans le cadre de ce qui est encore acceptable. Il n'est pas possible d'aller plus loin, sinon je ne remplirais plus suffisamment mon mandat légal de contrôle et d'information.»

Migros pose d'autres exigences

Mais au siège du géant orange, on n'était toujours pas satisfait. Le 12 janvier 2023, les avocats de Migros ont certes adopté un ton plus conciliant dans une nouvelle lettre, mais ils ont encore exigé des adaptations, désormais au nombre de douze.

Ensuite, le Surveillant des prix et Migros ont à nouveau correspondu, cinq fois, jusqu'à ce que le rapport soit enfin publié le 27 janvier 2023.

La correspondance ne permet pas de savoir dans quelle mesure celui-ci a encore un rapport avec la version initiale, car les passages décisifs sont presque entièrement abandonnés. Seul élément clair: Migros est mentionnée à peu près aussi souvent que Coop dans l'enquête préliminaire. Le groupe coopératif bâlois a pourtant accepté «sans difficulté» la version initiale du rapport lorsqu'il l'a reçue du Surveillant des prix en décembre.

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