Des manigances en huis clos
Zoug a fait pression sur la Confédération pour la chasse aux oligarques

Le Conseil d'État de Zoug, canton réputé pour son faible taux d'imposition, a critiqué l'application des sanctions contre les oligarques russes par Berne. Mais après une réunion discrète, les Zougois sont désormais entièrement satisfaits.
Publié: 27.11.2022 à 21:31 heures
Le Conseil d'État du canton de Zoug a critiqué l'application des sanctions contre les Russes de la part de Berne. Une réunion à huis clos entre le canton et le Seco semble toutefois avoir mis tout le monde d'accord.
Thomas Schlittler

La scène à la télévision a rendu Heinz Tännler célèbre malgré lui: «Je n’ai pas besoin de faire des recherches et d’enquêter comme un détective», avait déclaré le directeur des finances zougois fin mars dans l’émission «Reporter» de la SRF.

Il faisait référence à des avoirs russes qui devaient être gelés à cause de sanctions internationales. Peu de temps auparavant, le Conseil fédéral avait décidé de reprendre les mesures énoncées au niveau européen – et l’on soupçonnait déjà Zoug d’abriter un nombre particulièrement élevé d’avoirs russes, le canton ayant attiré pendant des décennies les super-riches et les multinationales grâce à sa politique fiscale avantageuse.

Heinz Tännler n’a pas été seulement passif dans la mise en œuvre des sanctions contre la Russie. Comme l’a révélé cette semaine le «Tages-Anzeiger», il a même aidé le groupe spécialisé dans les engrais Eurochem, visé par les sanctions, à trouver une banque encore prête à effectuer des paiements pour l’entreprise.

Les recherches du SonntagsBlick montrent que le directeur financier Heinz Tännler n’était pas le seul membre du gouvernement zougois à se soucier de la pérennité des activités des entreprises et des hommes d’affaires russes.

La colère contre la Confédération n’a pas diminué

Dans les jours qui ont suivi le début de la guerre, le sujet des sanctions contre la Russie était omniprésent au sein du Conseil d’État. C’est ce que révèlent les procès-verbaux des séances de ce dernier, que le SonntagsBlick a obtenus grâce à la loi sur la transparence.

Ainsi, le Conseil d’État a pris la décision de «communiquer de manière plus proactive» et de «ne pas laisser le champ libre à d’autres»: «Le canton ne doit pas se laisser simplement entraîner par la Confédération, surtout en ce qui concerne les sanctions drastiques imposées par la Confédération», peut-on lire dans le procès-verbal de la séance du 1er mars.

Dans les semaines et les mois qui ont suivi, la guerre et ses conséquences pour le canton de Zoug ont été discutées à plusieurs reprises. Il a notamment été question de comptes bancaires qui avaient été bloqués ou de demandes d’implantation de ressortissants russes.

La colère initiale contre la Confédération n’a pas diminué. Le 23 août, le Conseil d’État s’est finalement prononcé en faveur d’une «démarche engagée vis-à-vis de la Confédération» – sur proposition de Heinz Tännler.

Une lettre enflammée en cause

Une semaine plus tard, une lettre enflammée était envoyée au président de la Confédération Ignazio Cassis et au ministre de l’Économie Guy Parmelin.

La lettre, que le SonntagsBlick a pu également exiger de consulter, a de quoi surprendre. Certes, le Conseil d’État souligne en introduction que le canton de Zoug soutient «expressément et entièrement» la reprise des sanctions. Mais il s’ensuit une avalanche de critiques sur la mise en œuvre de ces dernières.

L’inscription des personnes sur les listes de sanctions était notamment pointée du doigt dans ce courrier. Tout comme le manque de transparence sur la suppression ou l’ajout d’une personne ou entreprise sanctionnée sur ladite liste.

Le Seco est «sous-doté en personnel» et souvent injoignable par téléphone, peut-on encore lire dans la lettre à charge du Conseil d’État zougois. Pour toutes ces raisons, ce dernier appelait le Conseil fédéral à s’engager pour une «amélioration rapide et significative des processus» dans la mise en œuvre de la loi sur les embargos: «C’est la seule façon de mener une politique de sanctions digne de notre État de droit.»

En outre, les représentants de la Suisse centrale ont demandé un débat oral afin que des «exemples de cas individuels tirés de la pratique» puissent également être discutés.

Une réunion a donné satisfaction à Zoug

La réponse de Berne est venue du Seco. La directrice désignée, Helene Budliger Artieda, a souligné que les «questions relatives aux conséquences économiques des sanctions» lui tenaient à cœur. Elle a également souligné que l’État de droit était «pleinement garanti» dans la mise en œuvre des sanctions. Un ensemble de formules toutes faites, en somme.

La directrice du Seco n’a admis de problèmes concrets qu’en ce qui concerne la longue durée de traitement des demandes: «Des mesures correspondantes, tant sur le plan du personnel que de l’organisation, ont déjà été prises», assure-t-elle par écrit.

Le 27 septembre, une rencontre a eu lieu entre les représentants du canton et le ministre de l’Économie Guy Parmelin. Du côté zougois, le président du gouvernement cantonal Martin Pfister, la directrice de l’économie publique Silvia Thalmann-Gut étaient présents – et bien sûr le directeur des finances Heinz Tännler.

Les participants n’ont pas voulu révéler la teneur des discussions. «Nous ne pouvons pas nous prononcer sur le contenu de la réunion», écrit le Seco.

Le canton de Zoug n’a pas non plus souhaité donner de détails, mais s’est montré satisfait: «La plupart des points en suspens ont pu être clarifiés. L’affaire est ainsi réglée pour le canton de Zoug», fait savoir le Conseil d’État.

«Depuis la lettre, beaucoup de choses ont changé»

Interrogé par le SonntagsBlick, le directeur des finances Heinz Tännler explique ce soudain changement d’attitude: «Depuis que nous avons rédigé la lettre, beaucoup de choses ont changé au Seco. Le personnel a été renforcé et, de ce fait, les processus se sont également accélérés.» Selon lui, la situation n’est plus la même que fin août.

Mais qu’en est-il de la critique sur l’inscription d’une personne sur la liste des sanctions en Suisse? Et que le processus par lequel une personne ou une entreprise sanctionnée est inscrite sur la liste ou en est retirée «n’est pas transparent, voire inexistant»?

Heinz Tännler n’a pas souhaité commenter ces remarques concernant des procédures problématiques du point de vue de l’État de droit. De toute façon, les Zougois semblent entre-temps très soucieux de garder la balle à terre. Ils ne veulent pas se retrouver à nouveau sous le feu des projecteurs médiatiques.

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