Les politiciens de droite en charge de la sécurité veulent allouer deux milliards de francs supplémentaires à l'armée afin d'augmenter la capacité de défense de la Suisse. Mais en a-t-elle besoin? Et surtout, en fera-t-elle bon usage?
L'armée aurait en effet quelques ressources supplémentaires de côté si elle économisait un peu plus. Mais force est de constater qu'elle n'est pas très douée pour se serrer la ceinture, comme le montre un récent rapport. Un rapport qui ne vient pas de n'importe qui, mais du Contrôle fédéral des finances (CDF), dont la mission est de surveiller l'administration fédérale de près.
Selon le rapport, l'armée a gaspillé beaucoup d'argent lors de la mise hors-service de certains types d'armes. Il s'agit de millions aux frais du contribuable. L'état-major de l'armée, sous la direction du commandant de corps Thomas Süssli, ne respecte pas assez les principes de rentabilité et d'économie, déplore le CDF. Ce n'est pas tout. Les contrôleurs ont constaté qu'il ne respecte pas non plus la loi.
Cinq avions alloués comme «matériel historique"
Le CDF prend pour exemple l'avion de combat F-5 Tiger, qui doit être remplacé d'ici 2030 par le jet furtif américain F-35. Pour limiter les coûts, les Tiger retirés du service doivent être revendus. Les États-Unis ont notamment prévu de racheter une grande partie de la flotte suisse.
La loi sur les finances prescrit aux fonctionnaires d'utiliser les crédits et les biens qui leur sont confiés de manière économique et parcimonieuse. Mais la direction de l'armée ne semble pas s'en soucier. L'état-major de l'armée a ainsi alloué pas moins de cinq avions de combat en tant que «matériel historique de l'armée», alors que la loi militaire prévoyait deux exemplaires.
Le Parlement et Viola Amherd devant le fait accompli
L'armée l'a également caché au Parlement. En 2014, lors de la mise hors service alors refusée, il était encore question de ne conserver que trois Tiger comme biens culturels. Quatre ans plus tard, le Parlement a été informé dans le message sur l'armée 2018 que quatre jets avaient déjà été alloués. Et ce n'est qu'en 2019 que la conseillère fédérale Viola Amherd a été informée qu'un cinquième avion avait été remis au Musée des transports.
Le Parlement a donc été mis devant le fait accompli, tout comme la conseillère fédérale en charge de l'armée. Le cinquième prêt est également «en contradiction avec le message du Conseil fédéral» et contrevient à la loi sur les finances publiques ainsi qu'à l'ordonnance sur le matériel du Département fédéral de la défense et des sports (DDPS).
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Quatre millions de manque à gagner
En raison de cette procédure arbitraire, 22 F-5 Tiger seront vendus aux États-Unis, alors qu'un nombre initial plus élevé était prévu. Le CDF estime à environ quatre millions de dollars américains le manque à gagner résultant de cette vente.
Mais le contrôle des finances suppose que ce n'est de loin pas tout, «car les prêts s'accompagnent en général de coûts subséquents élevés». Le CDF évoque dans ce contexte le démontage, le transport, la reconstruction, l'espace nécessaire, l'entretien ainsi que le tri et l'élimination.
L'état-major ignore les critiques
Conclusion du Contrôle des finances: la rentabilité ne semble «pas toujours être une priorité» pour l'état-major de l'armée. Le Contrôle des finances recommande donc d'adapter les directives internes afin que les prescriptions légales soient respectées à l'avenir. De plus, l'état-major devrait revoir ses comptes après coup en ce qui concerne les objets prêtés et, si possible, les vendre également.
Mais l'état-major n'a pas réagi à la critique. Dans une prise de position, il rappelle que quatre avions ont été mentionnés dans le message sur l'armée 2018. «Dès que la flotte de Tiger sera mise hors service, le prêt au Musée des transports de Lucerne sera réexaminé.»
Mais le CDF ne se contente pas de cette réponse. Il maintient que le Parlement a été «informé de manière partielle, trop peu transparente et compréhensible». Et rappelle que l'armée n'a pas respecté les prescriptions légales. Par exemple, un prêt interne à l'aérodrome d'Emmen (LU) ne repose sur aucune base légale. «Il manque d'une part un contrat, et d'autre part les Forces aériennes ne sont pas une institution de collection accréditée».
(Adaptation par Alexandre Cudré)