En Chine, des millions de caméras surveillent l'espace public. Si une personne attire l'attention en commettant un pas de travers, elle peut être arrêtée en sept minutes, rapportait déjà la BBC en 2017. Qu'en est-il en Suisse?
Dans plusieurs cantons, la police utilise les nouvelles technologies pour élucider des crimes – mais aussi pour les prévenir. Désormais, la police fédérale s'équipe à son tour. Le système de comparaison des empreintes digitales et palmaires (AFIS) sera renouvelé et complété par un module de comparaison des visages.
Fedpol dispose déjà d'images de 400'000 personnes
Ainsi, les prises de vue des caméras de surveillance pourront à l'avenir être comparées automatiquement avec une banque de données existante et les images d'identification judiciaire qui y sont enregistrées, écrit l'Office fédéral de la police (Fedpol) dans un communiqué. Selon le quotidien zurichois «Neue Zürcher Zeitung», plus d'un million d'images faciales de près de 400'000 personnes sont déjà stockées dans cette base de données.
Son utilisation est toutefois limitée – du moins dans un premier temps. D'autres sources, comme les photos de pièces d'identité ou de réseaux sociaux, ne devraient pas être utilisées pour la comparaison. «L'image faciale des personnes recherchées n'est pas non plus comparée automatiquement et en temps réel avec des caméras de surveillance», précise encore Fedpol. Il n'y a donc pas de surveillance par reconnaissance faciale: «Il n'existe pas de base légale en Suisse pour cela.»
Contrôlé, même si on est innocent
Techniquement, une telle surveillance serait possible sans problème. Plusieurs cantons utilisent déjà des systèmes intelligents avec des caméras haute définition qui scannent les plaques d'immatriculation des voitures passant dans un champ donné. Lorsque la police est à la recherche d'un véhicule et que celui-ci passe devant l'une des caméras, sa localisation est automatiquement communiquée à la centrale d'intervention.
Les conducteurs font également l'objet d'un «enregistrement optique automatisé», comme le stipule par exemple la loi sur la police de Lucerne, adoptée l'année dernière par le parlement cantonal. Cela signifie ni plus ni moins qu'une identification biométrique est effectuée, par exemple par reconnaissance faciale. Et ce, sans qu'il soit prouvé que la personne au volant ait commis une quelconque faute.
Une semaine de prison... pour rien
En théorie, ces images pourraient à l'avenir être passées au crible de la banque de données AFIS et ainsi être comparées, par exemple, à des images prises lors d'un braquage de banque. Plus d'un criminologue se frotte sûrement les mains face à de telles possibilités. Sauf qu'un système pareil constitue non seulement une intrusion massive dans la sphère privée de la population, mais risque aussi de mener à des erreurs. Et les conséquences peuvent être dramatiques.
En mars, le «New York Times» a rapporté le cas d'un homme incarcéré pendant une semaine parce qu'un système de reconnaissance faciale l'avait associé à tort à un vol. En réalité, il se trouvait à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de l'infraction au moment des faits.
Le Tribunal fédéral questionne la proportionnalité
En 2019 déjà, le Tribunal fédéral (TF) a estimé que l'exploitation d'enregistrements par la police dans le cadre de la recherche automatique de véhicules constituait une atteinte «grave» aux droits fondamentaux. Une telle pratique n'est en théorie pas impossible, mais elle requiert une base légale explicite qui en définisse les limites. Et c'est là que le bât blesse pour l'instant.
L'hiver dernier, le TF a publié un arrêt qui l'a clairement montré. Le Canton de Soleure voulait créer une base juridique pour exploiter la surveillance automatique des véhicules, mais il a été rappelé à l'ordre. L'enregistrement d'images des passagers d'un véhicule n'est pas autorisée par la loi soleuroise sur la police cantonale, a écrit le TF à propos de sa décision.
Le problème de la surveillance automatique des véhicules réside notamment dans le fait que, contrairement aux radars, tous les automobilistes sont systématiquement enregistrés. Les caméras ne s'enclenchent donc pas uniquement lorsque le système constate une infraction au code de la route. Que les occupants innocents de véhicules soient systématiquement photographiés est contraire au principe de proportionnalité, estime le TF. La comparaison automatique avec la banque de données AFIS ne respecterait donc pas non plus ce principe fondamental.
La loi sur la police lucernoise sur le banc d'essai
Le TF devra prochainement se pencher plus précisément sur les pratiques de la police lucernoise. Comme l'a rapporté le magazine en ligne Zentralplus, des sympathisants du camp rose-vert ont déposé une plainte auprès du TF contre la nouvelle loi sur la police cantonale de Lucerne. «La protection des données n'est pas une fin en soi, a déclaré à ce sujet la députée écologiste Laura Spring. La Constitution fédérale stipule que 'toute personne a le droit d'être protégée contre l'emploi abusif des données qui la concernent'. Nous voulons une meilleure loi. Car, dans sa forme actuelle, elle ne protège pas assez la population lucernoise contre l'utilisation abusive des données et les atteintes graves aux droits fondamentaux.» La procédure judiciaire est actuellement en cours.
Pour la pénaliste saint-galloise Monika Simmler, interrogée par la «Neue Zürcher Zeitung», il est clair qu'avant que le nouveau logiciel de Fedpol puisse être utilisé, le code de procédure pénale devrait fixer quelles données peuvent être analysées de manière biométrique et avec quelles bases de données elles peuvent être comparées de manière automatisée. De plus, les bases juridiques existantes sont lacunaires, puisqu'elles ne règlent pas la question de savoir si et comment les photographies déjà enregistrées peuvent être utilisées rétroactivement. Selon l'avocate, «l'utilisation de la reconnaissance faciale automatisée par les corps de police cantonaux est certainement illégale – et celle par Fedpol l'est très probablement aussi».