Souriez! Peut-être vous en doutiez-vous: vous êtes filmé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à (presque) tous les coins de rue du centre de Genève — et pas que...
La bonne nouvelle? Vous pouvez désormais découvrir où se situent exactement les yeux de la Cité, grâce à une carte interactive qui répertorie les caméras dans l'espace public. Photos à l'appui. Un travail plus que minutieux, initié par l'institut Edgelands — qui étudie la surveillance physique et numérique de par le monde.
Plus précisément, on doit cette cartographie à un workshop public ouvert à toutes et tous, auquel nous vous avions invité à prendre part en mars, à l'occasion du festival d'innovation Open Geneva. Le but était simple: photographier des caméras de rue en se baladant au bout du Léman, puis transmettre les images aux organisateurs. L'atelier est par ailleurs toujours en cours, en ligne, jusqu'au 30 avril 2023 (consignes pour la participation ci-contre).
En attendant, une bonne dizaine de bénévoles ont déjà répertorié 275 miradors (image ci-dessous) — du centre-ville au Grand Genève. Et l'on constate, par exemple, une concentration particulièrement forte de caméras à la gare Cornavin, dans le quartier des Pâquis et sur les quais de la rive gauche. Ainsi qu'au Grand-Saconnex, où se niche l'Aéroport de Genève.
Une grande part d'ombre persiste cependant: il n'est pas indiqué si les appareils ainsi débusqués appartiennent au secteur privé, ou à l'État. Edgelands n'étant pas parvenu à rassembler assez d'informations à ce sujet.
Qui sont nos «Big Brother»?
Nous le dévoilions dans un précédent article: la Cité de Calvin compte déjà plus de 2749 caméras de surveillance appartenant à des instances publiques, d'après les informations fournies par le canton à Blick.
Mais combien sont-elles à nous pister, du côté du secteur privé? Bien plus encore, si l'on en croit Bernard Rappaz, ancien journaliste à la tête de Edgelands. L'institut est toutefois — on l'a dit — dans l'incapacité de les lister. Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé.
Bernard Rappaz, qui a aussi été l'un des pionniers du numérique à la RTS, explique: «Pour pouvoir placer chacune de ces 275 caméras sur notre carte, c'était déjà une petite enquête à chaque fois...»
À savoir que les propriétaires des lieux où les caméras ont été repérées semblent eux-mêmes un peu perdus. «Très souvent, les systèmes de sécurité des instances privées sont gérés en sous-traitance, par des entreprises qui mandatent encore d'autres entreprises à cet effet... En posant des questions, l'on constate que même à l'intérieur des compagnies concernées, une sorte de flou artistique s'installe. Lorsqu'on tente de remonter le fil, on a très souvent affaire à des gens qui ne savent tout simplement pas comment et grâce à qui tout cela fonctionne!»
«C'est un peu le Far West!»
L'ex-journaliste à la tête d'Edgelands n'y voit pas forcément une volonté de dissimuler. «Mais il y a une certaine légèreté dans la mise en place de ces systèmes de surveillance, qui plus est dans un contexte où les règles ne sont pas bien fixées au niveau légal.»
En bref, on installe d'abord, et la réglementation, on verra plus tard. Pour Bernard Rappaz, tout cela va mal finir: «En résumé, le manque de transparence, la légèreté et l'insouciance vis-à-vis de la surveillance sont les trois grands problèmes que nous avons relevés. C'est un peu le Far West!»
Votre visage leur appartient
En parlant de manque de transparence, l'un des collaborateurs d'Edgelands, Angel Tames de Sousa, a tenté de pousser l'expérience jusqu'au bout. Il a contacté onze organisations (privées et publiques), dont il est sûr que les caméras ont capturé son image. Demandant à chacune de lui restituer les clichés ou vidéos de sa personne, en utilisant les adresses mail ou les numéros de téléphone indiqués sur les sites web des entreprises.
Son bilan est lui aussi préoccupant: seul une «instance» sur onze a accepté de renvoyer sa propre image à Angel Tames de Sousa. Il s'agit de... la Migros. À la question de savoir où précisément leur matériel de vidéosurveillance est stocké, aucune des organisations n'a répondu.
Cinq des interlocuteurs ont cependant affirmé qu'il s'agissait d'un lieu à Genève, ou du moins en Suisse. Les six restants n'ont pas répondu, invoquant leur politique de confidentialité — sans plus d'explications. Dans un billet publié sur le site web de l'institut, Angel Tames de Sousa explique tout le processus.