Parfois, ils sont cinq, parfois vingt. Tous les jeudis, des réfugiés ukrainiens se retrouvent dans une salle de l'Eglise réformée de Dübendorf, près de Zurich. Anna Gribachova, 39 ans, et Maria Machykova, 35 ans, animent les rencontres. Les deux femmes ont, elles aussi, fui l'Ukraine pour la Suisse.
Les deux Ukrainiennes se sont rencontrées lors d'une manifestation en faveur de l'Ukraine à Zurich. «Au début, nous, les réfugiés, étions complètement désorientés et sous le choc», raconte Anna Gribachova, qui vit aujourd'hui à Zurich avec son mari et ses deux fils. Maria Machykova vit de son côté avec sa fille à Lucerne, son mari étant toujours en Ukraine. Les deux femmes voulaient être en contact et échanger avec d'autres réfugiés ukrainiens. Dès avril 2022, elles ont organisé des groupes d'entraide psychologique dans la maison de débats zurichoise «Karl der Grosse».
Durant la première année de guerre, il y a eu une grande vague de soutien parmi la population suisse, qui a accueilli et aidé les nouveaux arrivants. «Mais entre-temps, ce soutien a fortement diminué», regrette Anna Gribachova. Il est désormais plus difficile de trouver un emploi ou un logement en Suisse, ainsi que de nouer des amitiés. «Nous avons encore besoin du soutien des Suisses. Sans eux, notre intégration est impossible.»
Des réunions pour se soutenir
Maria Machykova et Anna Gribachova font partie de l'association «De la migration à l'intégration» et organisent depuis juillet 2022 un groupe de parole hebdomadaire à Dübendorf. Olga Kostenko, 38 ans, assiste régulièrement à ces réunions. Dans les discussions confidentielles de groupe, il y a toujours de nouveaux thèmes qui émergent, mais certaines grosses problématiques sont toujours les mêmes: «Tu es seul avec des enfants. D'autres personnes sont dans la même situation que toi et te comprennent. Elles ont, elles aussi, vécu la perte de leur pays, le fait de quitter leur famille et leurs amis. Elles connaissent aussi les malentendus avec les médecins ou les assistants sociaux et la difficulté de trouver un emploi ici.»
Cela fait maintenant trois ans qu'Olga Kostenko tente de se construire un semblant d'avenir professionnel en Suisse. Elle parle désormais couramment l'allemand, mais l'un des obstacles à la recherche d'un emploi est son statut de protection S, peu sûr, qui reste en vigueur jusqu'à ce que le Conseil fédéral décide de l'abroger.
Le statut S est un obstacle, le fait que les diplômes ukrainiens ne soient pas reconnus en Suisse en est un autre. «Nous ne sommes pas considérées comme psychologues ici», explique Maria Machykova, qui a obtenu son doctorat de psychologue en Ukraine. Elle et sa collègue reçoivent une petite indemnité pour diriger le groupe de discussions à Dübendorf. «Nous nous efforçons activement d'être autonomes et nous travaillons déjà. Mais nous vivons de l'aide sociale, comme toutes les autres participantes», explique Anna Gribachova.
Le dilemme: rester ou partir?
Selon elle, de nombreux réfugiés sont face à un dilemme: rester en Suisse ou retourner en Ukraine? «Le niveau de stress des Ukrainiens a considérablement augmenté en raison du conflit en cours et de l'incertitude du statut de réfugié», explique Maria Machykova. Ils ne peuvent par exemple plus retourner dans des régions comme Marioupol, la ville étant en ruines. «En même temps, nous n'avons pas non plus de véritable permis de séjour en Suisse, donc nous ne pouvons pas vraiment nous installer ici.»
Maria Uspenska, une autre participante de 35 ans, affirme qu'elle n'aurait jamais quitté sa patrie de son plein gré. «J'aime ma ville de Kharkiv, son atmosphère formidable, ses événements culturels, sa nature magnifique.» Mais Kharkiv aussi a été détruite et ne sera plus jamais comme avant. Le bâtiment dans lequel la jeune femme de 35 ans enseignait la danse n'existe plus. Elle donne aujourd'hui bénévolement des cours en Suisse. Celle qui avait travaillé dans le secteur du voyage en Ukraine a également suivi des études de psychologie en ligne en Suisse. Mais elle aussi est à la recherche d'un emploi depuis trois ans et vit actuellement dans un foyer de réfugiés.
Anna Gribachova et Maria Machykova reçoivent de plus en plus de demandes de personnes intéressées à rejoindre leurs groupes de discussion. «Nous prévoyons donc d'autres activités, comme de nouveaux groupes et des rencontres dans d'autres villes», raconte Maria Machykova. Pour cela, les deux femmes ont besoin d'un soutien financier.
Lutter contre l'isolement
Les rencontres de groupe à Dübendorf aident les participants à lutter contre l'isolement. «Le fait d'être avec des personnes qui vivent des choses similaires m'aide à comprendre qu'il est normal d'être parfois frustrée et en colère, notamment les jours de fête», confie Maria Uspenska. Ces jours sont particulièrement difficiles pour elle, qui ne peut pas être avec sa famille, mais aussi parce que c'est souvent à ce moment-là que la Russie lance de nouvelles attaques pour nous «abattre et faire pression».
Le groupe d'entraide de Dübendorf ne parle pas habituellement de politique. Mais on ne semble pas croire à la fin de la guerre. «Je ne crois pas à une solution rapide. Même s'il devait y avoir une longue pause dans la guerre, la Russie n'en profitera que pour se préparer à de nouvelles attaques», déclare Olga Kostenko. Elle souhaite pouvoir rester en Suisse avec son fils de six ans et lui offrir un avenir sûr.