La pandémie et le semi-confinement sont venus bousculer notre vie de couple: d'un coup, nous nous sommes retrouvés en présence de notre partenaire matin, midi et soir. Télétravail, manque de loisirs et de contacts avec les autres: pendant cette crise, nous avons été inévitablement préoccupés plus que d'habitude par l'«intérieur» puisque c’était la seule chose qu'il nous restait. En plus des conséquences sanitaires, financières et psychologiques, quelle influence cette pandémie a-t-elle eu et a-t-elle encore sur nos relations? Quel poids a-t-elle sur notre vie sexuelle?
Des expertes ont accepté de répondre à Blick et de faire le point sur les deux semi-confinements que nous avons vécus. Nous avons analysé avec elles des statistiques et sommes arrivés à une conclusion: la pandémie a bel et bien changé notre vie commune et notre intimité, mais elle a eu des impacts divers selon les couples. Les expertes dressent le portrait des «gagnants» de la crise et des «perdants».
Les gagnants
Commençons par les gagnants de la crise: de nombreux couples, et notamment ceux qui ont pu travailler en télétravail, ont enfin pu prendre le temps dont ils avaient besoin ensemble. Cela signifiait plus de temps pour le plaisir, un sentiment de sécurité et des conversations plus profondes. Ces éléments ont aidé à créer ou solidifier un lien de confiance dans le couple: beaucoup rapportent avoir ressenti moins de jalousie.
«Un couple que je suis en thérapie a déclaré avoir maintenant des rapports sexuels plus spontanés. Cela leur arrive même parfois entre deux appels téléphoniques ou deux visioconférences, juste parce que ça leur passe par la tête», se réjouit la psychothérapeute et sexologue Dania Schiftan. Ceux-là sont souvent ceux qui ont souffert de n’avoir qu’un seul créneau de disponible dans la semaine: le dimanche matin. Mais l’envie n’est pas toujours là sur commande. Pour expliquer cette plus grande fréquence des rapports, Christiane Weinand, conseillère en sexualité dans un cabinet de Berne, fait également état d’un «sentiment d’appartenance» renforcé par cette intimité, qui peut à son tour stimuler la sexualité.
Que disent les résultats des sondages?
Des sondages semblent confirmer cette évolution positive. La plateforme de rencontres «Parship» constate que la relation de trois couples sur quatre s’est renforcée pendant la pandémie. Ces derniers expliquent que la stabilité de leur relation est particulièrement importante pour eux en période d’incertitude. Ainsi, 77% des personnes interrogées sont sûres que leur partenaire les a aidées à traverser les semi-confinements: ils ont pu se concentrer sur les points positifs de leur couple ainsi que sur les qualités de leur partenaire. 52% des hommes et des femmes suisses vivant en couple l’affirment: leur vie sexuelle s’est intensifiée depuis la pandémie.
Une étude récente menée en Allemagne par l’Institut de recherche sur la sexualité du Centre médical universitaire de Hambourg-Eppendorf montre des conclusions similaires. Trois quarts des sondés ont vu des changements qu'ils décrivent comme positifs dans leurs relations personnelles. «La majorité d’entre eux éprouvent un désir sexuel accru. Ils avaient plus précisément envie de proximité, d’intimité et de contacts physiques avec leur partenaire. Ils ont déclaré avoir globalement plus de rapports sexuels et une sexualité plus épanouie. En même temps, ils se masturbent davantage», explique Johanna Schröder, assistante de recherche à l’institut. En général, poursuit-elle, les gens se sont montrés plus intéressés par la sexualité et les relations pendant la pandémie.
Les perdants
Le tableau est bien moins rose pour les personnes célibataires ou qui se sont séparées pendant la crise ou avant. Ils sont les grands perdants de ces deux semi-confinements: l'impossibilité de faire de rencontres a empêché les personnes seules de garder une vie sexualité active. «Elles ont davantage utilisé Internet pour entrer en contact. Des mesures comme la distanciation sociale ont rendu les rencontres et contacts vraiment compliqués», explique Johanna Schröder.
Mais certains couples ont aussi beaucoup souffert des mesures de semi-confinement. Pour certains, tout semblait trop intense: ils ne voulaient, voire ne pouvaient, même plus penser au sexe. Les couples avec enfants, et en particulier les femmes, semblent être les plus concernés par ce cas de figure. Selon une théorie, les femmes auraient moins envie de sexe en période de crise que les hommes. Y aurait-il réellement une différence entre les sexes? «Non, pas au sens génétique. Par contre, c’est quelque chose qui dépend de la façon dont on a appris la sexualité», explique la sexologue Dania Schiftan. Certains experts estiment que les femmes ont besoin d'être dans un bon état émotionnel, de se sentir en sécurité et d'être bien dans leur peau pour pouvoir penser au sexe. Il ne faut pas oublier la charge mentale qui pèse le plus souvent sur leurs épaules et ne laisse parfois que peu de place pour autre chose: pendant les semi-confinements, cette charge s’est encore alourdie selon certaines expertes. Et les hommes? La plupart ont quant à eux plutôt l’habitude de faire l’amour pour réguler leurs émotions ou pour se sentir bien à nouveau, éclaire Dania Schiftan: «Quand ils sont stressés, ils ont plus souvent tendance à se masturber».
Enfin, l’ambiance à la maison a parfois changé entre le premier et le deuxième semi-confinement. Pendant la première phase, une certaine euphorie s’emparait encore des couples: ils pensaient qu’ils allaient pouvoir surmonter la crise ensemble et ont parfois beaucoup apprécié passer du temps ensemble. Mais lors de la deuxième phase, poursuit Dania Schiftan, beaucoup de choses se sont compliquées et des questions sont apparues. Combien de temps va-t-il durer? Est-ce que je peux encore supporter ça? Pour de nombreux couples, la situation a été nettement plus difficile lors de la deuxième vague.
C’est à ce moment-là que les gens se sont tournés vers des thérapeutes, confirme Christiane Weinand, qui ajoute que sa clientèle a à nouveau augmenté pendant la crise. «Après les six premiers mois, les consultations ont repris», raconte la sexologue. Selon elle, les gens sont devenus plus conscients d’eux-mêmes et ont commencé à réfléchir.
Les deux professionnelles sont d’accord: on ne peut pas dire que la pandémie a brisé des couples à elle seule. Ils disent que la pandémie a agi comme un catalyseur. Les couples qui s’en sortaient bien avant pouvaient traverser une crise comme celle-ci sans encombre. À l’inverse, les relations qui prenaient déjà l’eau sont devenues encore plus problématiques.
Les conséquences
Ces couples ont-ils rompu? Dania Schiftan estime que l’on est moins susceptible de se séparer pendant une crise par peur d'être seul. S’ajoutent à cette peur des raisons logistiques, comme le fait de trouver un autre lieu de vie mais aussi des raisons financières. Le futur risque d'être plus cruel: quand les choses seront revenues plus ou moins à la normale, on assistera à un envol des séparations, imagine la psychologue et sexologue, «dans les un à deux ans à venir.»
Et si les choses s’améliorent à nouveau, comment préserver cette nouvelle proximité? La professionnelle est très claire: ne vous précipitez pas. Il ne faut pas risquer de retomber dans ses mauvaises habitudes. Pour cela, il n’y a qu’une seule solution: se remettre en question.
Dania Schiftan suggère d’être un couple actif: choisissez de prendre du temps pour vous, même si la vie à l’extérieur redevient chargée. Des frictions pourraient naître à nouveau si chacun retourne à ses hobbies du jour au lendemain et est constamment à l’extérieur. Sur le long terme, une bonne recette est de se garder une journée fixe juste pour s’occuper de son couple. Pendant la pandémie, de nombreuses personnes ont effectivement réalisé qu’elles avaient vraiment besoin de passer plus de temps ensemble afin de préserver leur relation.