Un drame de plus à Rapperswil, il y a une semaine: Ardit V.* a tué sa femme, Albina*. Leur mariage était marqué du sceau du contrôle et de la violence. Ou encore: Alim F.* devra répondre prochainement devant le tribunal du meurtre de son ex-femme Esma F.* en 2019 à Dietikon, dans la banlieue zurichoise.
À Zurich, un autre drame encore, d’autant plus terrible: Qerim B.* a été condamné à 18 ans de prison pour avoir battu à mort Vana V.*, la mère de ses quatre enfants, et l’avoir presque décapitée avec une hache de cuisine. Elle s’était séparée de lui.
En Suisse, toutes les deux semaines, une femme est tuée par son conjoint ou son ex. On note également une tentative de féminicide par semaine dans le pays.
Une catastrophe, en comparaison internationale
Alors que d’autres types d’homicides, par exemple dans les milieux criminels, ont diminué en Suisse ces dernières années, le taux de féminicides est quant à lui resté stable, ou en très légère baisse.
Selon une étude récente du Bureau fédéral de l’égalité (BFEG), ils représentent aujourd’hui en Suisse environ 40% des homicides. «Dans le contexte international, la Suisse présente une part élevée de ce type d’homicides et, en comparaison européenne, elle est le seul pays dans lequel, au cours des dernières années, plus de femmes que d’hommes ont été victimes d’un homicide», résume l’étude.
Même si les chiffres, au total, sont relativement bas, des études estiment qu’il y a entre 20 et 30 féminicides par an. Cette situation n’a pas changé après la cosignature par la Suisse de la Convention d’Istanbul, entrée en vigueur en avril 2018. Cette convention exige des pays signataires une meilleure protection contre la violence à l’encontre des femmes. D’autres pays ont progressé plus rapidement que la Suisse.
Pas d’emprisonnement à titre préventif
En pratique, les femmes menacées ne trouvent guère d’aide efficace. La Suisse dispose, certes, de suffisamment de places dans les maisons d’accueil pour femmes, mais cette situation est habituellement temporaire et toutes ne veulent pas se cacher pendant des années.
Une chose est sûre: la police ne met pas en prison les personnes dangereuses à titre préventif. «Ce serait problématique, car cela revient à briser le principe de présomption d’innocence», explique Nora Markwalder, professeure assistante de droit pénal à l’université de Saint-Gall. «Il n’est possible d’enfermer quelqu’un de manière préventive qu’à la suite d’un délit concret.»
Interdictions de périmètre et de contact
De même, la présence de violence physique dans le couple suffit rarement à justifier une peine de prison. La police impose toutefois des interdictions de périmètre et de contact. Le non-respect de l’injonction d’éloignement n’est toutefois sanctionné que par une amende. Il ne sera donc pas inhabituel de voir des situations où l’homme décide de suivre la femme à répétition ou se présente devant la porte d’entrée.
Et c’est pour ça que les femmes qui ont réussi à se défaire de relations toxiques doivent se cacher chez des proches ou déménager discrètement. Elles vivent dans la crainte que les agresseurs et harceleurs les retrouvent au travail ou dans leur nouveau lieu de résidence. «L’interdiction de contact et l’injonction d’éloignement restent des instruments utiles: on a au moins un moyen d’action juridique», explique Nora Markwalder.
Les Espagnols sont précurseurs
D’autres pays européens ont toutefois montré qu’ils pouvaient prendre des mesures judicieuses pour les femmes lorsque celles-ci sont en danger. L’Espagne procède par exemple à une analyse complète des risques chez les femmes menacées. Si l’homme représente un danger, il doit porter un bracelet et la femme reçoit un récepteur. S’il entre dans un rayon trop proche, cela déclenche une alarme chez elle et chez la police.
En Allemagne, les discours sur les dangers de la violence conjugale et sur les féminicides sont très répandus. Le Land de Rhénanie-Palatinat mise depuis de nombreuses années sur des réunions au cas par cas: pour chaque homme présentant un risque potentiel pour son couple, différentes autorités se réunissent et discutent de ce qu’il faut faire pour protéger la femme.
Bracelets électroniques à venir en Suisse
En Suisse aussi, le risque que représentent certains hommes est partiellement connu. La police peut confisquer les armes à feu des auteurs de violences. Et pour lutter contre le non-respect des interdictions de périmètre et de contact, le Conseil fédéral a décidé qu’à partir de cette année, il serait possible d’utiliser des bracelets électroniques ou des bracelets de cheville. Leur localisation sera ainsi enregistrée en continu.
«C’est une décision judicieuse», estime Nora Markwalder. «Ainsi, le potentiel agresseur sait que le non-respect des conditions a des conséquences. Il est toutefois difficile d’estimer si cela peut empêcher un délit ou non.»
«Il y aura toujours des cas»
Pour le reste aussi, il y a des progrès, estime Nora Markwalder. «La police, en particulier, a développé sa gestion des menaces. L’échange entre les différents services fonctionne de mieux en mieux.» Des entretiens avec les personnes représentant un danger seraient également organisés. «Cela a déjà eu lieu dans de nombreux cantons.»
Inévitablement, il y aura toutefois toujours des cas où le risque sera mal évalué. Nora Markwalder déplore: «Il n’y a pas de solution simple pour réduire les féminicides. On ne pourra probablement jamais les éviter complètement, car il est extrêmement difficile d’isoler les cas à risque. Et on ne peut pas enfermer préventivement tous les hommes soupçonnés de violence domestique.»
*Noms connus de la rédaction
(Adaptation par Lliana Doudot)