Déni de justice?
Le Vert Marius Diserens dépose plainte pour violence homophobe – la police vaudoise ne la transmet pas au Ministère public

Depuis 2020, la loi suisse condamne le crime de haine ou la discrimination en fonction de l'orientation sexuelle. Or, dénoncer ces délits relève souvent du chemin de croix pour les victimes. L'élu Vert, Marius Diserens, en a fait l'amère expérience. Interview.
Publié: 15.05.2024 à 19:37 heures
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Dernière mise à jour: 16.05.2024 à 09:21 heures
Marius Diserens n'a appris que récemment que la plainte qu'il avait déposée en 2022, après avoir été insulté sur les réseaux sociaux, n'avait pas été transmise par la police vaudoise au Ministère public.
Photo: Les Vert-e-s
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Un soir de mai 2022, Marius Diserens, conseiller communal écologiste à Nyon, a vu déferler sur lui une vague de haine sans précédent. Sur le réseau social X (anciennement Twitter), «3000 ou 4000 personnes ont commencé à me vomir sur le dos, souvent des gens qui n’auraient rien osé me dire en face. Personne n’est préparé à vivre ça, même quand on a l’habitude», avait-il confié à Blick

Un traumatisme qui pousse le militant queer à déposer une plainte auprès de la police cantonale. Or depuis 2022, pas un mot de la police cantonale. Pire, Marius Diserens a appris que sa plainte n’avait pas été transmise au Ministère public vaudois. Ce qui ne l’a pas empêché de déposer une deuxième plainte pour discrimination homophobe lorsqu’il découvre, il y a deux semaines, un nouveau message haineux sur une page Wikipédia à son nom.

Si, depuis 2020 en Suisse, l'article 261bis du Code pénal punit aussi les discriminations et l'incitation à la haine fondées sur l'orientation sexuelle, les dénonciations restent difficiles. Marius Diserens est déterminé à aller jusqu’au bout de ce qui est juridiquement possible pour faire reconnaître le droit des victimes. Interview.

Dans «La Matinale» de la RTS, vous avez appris les raisons pour lesquelles votre plainte, déposée en 2022 pour discrimination homophobe, n’avait pas été transmise au Ministère public par la police. Comment avez-vous réagi?
J’ai eu une réaction mitigée. J’ai éprouvé d’abord de la colère, sachant qu’on ne m’avait donné aucune nouvelle durant deux ans sur le suivi de cette plainte. Pour apprendre finalement que celle-ci n’avait même pas été transmise au Ministère public par la police cantonale...

De la tristesse aussi?
Oui, c’est un exemple parmi tant d’autres de l’absence de prise en compte du vécu et de la parole des victimes de discriminations queerphobes. Je ne suis pas la première personne à qui ça arrive. C’est encore une occasion manquée de faire jurisprudence et de faire évoluer le droit.

Qu’a avancé la police pour classer votre plainte?
Des raisons fallacieuses, et surtout injustes. Elle a prétexté n’être pas parvenue à retrouver l’identité de la personne qui avait publié le message initial sur X (anciennement Twitter) repartagé, liké et commenté des milliers de fois. Ce même message avait provoqué une cascade d’insultes. Pour cela, il aurait fallu que la police fasse une demande d’entraide auprès des GAFAM (ndlr: l’acronyme des géants du web: Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft). 

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«Si moi, personnalité politique et publique, avec une plateforme et une grande visibilité ne fais pas ces démarches, qui va le faire?»
Marius Diserens, conseiller communal vert à Nyon
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Ce qu’elle n’a pas fait?
Elle est même allée jusqu’à dire que, les GAFAM ne se montrant généralement pas coopératifs et refusant souvent de révéler les adresses IP des personnes concernées, elle renonçait à le faire. Cette demande d’entraide doit être faite, selon la loi et la jurisprudence, par un procureur. C’est même à ce dernier de déterminer quels actes d’instruction doivent être conduits ou non, et pas à la police. En l’occurrence, le procureur n’a jamais été impliqué. Et la police s’est concentrée sur l’identité de la personne du tweet initial alors que j’avais porté plainte aussi contre toutes les personnes qui avaient repartagé. Certaines d’entre elles étaient clairement identifiables.

Quelle suite allez-vous donner à cette plainte?
Mon avocate et moi sommes déterminés, et nous nous accrocherons. Nous irons jusqu’au bout de ce qui est juridiquement possible. J’ai déposé une deuxième plainte, il y a une semaine, aussi un cas de cybercriminalité et de violence homophobe.

Pour quelle raison?
Une personne a créé un compte spécifique sur Wikipédia pour pouvoir modifier ma page et me traiter de: «Gros gay qui aiment les bites» (sic.). Ce qui est apparu à côté de mon nom… Aujourd’hui, on peut encore le voir dans l’historique.

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«J’ai construit mon identité à travers l’insulte»
Marius Diserens, conseiller communal vert à Nyon
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Qu’est-ce qui vous a motivé à déposer plainte? Dans un portrait brossé par «24 heures» en 2021, vous déclariez que les insultes ne vous touchaient pas.
Ce n’est pas qu’elle ne me touche pas, mais elles ne me touchent plus. Elles ne me font pas douter de qui je suis, ou questionner mon amour-propre, même si la haine systématique n’est pas anodine. Ce qui m’attriste le plus en revanche, ce sont les mécanismes de défense et de résilience que j’ai dû mettre en place pour me protéger. J’ai construit mon identité à travers l’insulte. Alors pour contrecarrer ce sentiment d’habituation, et pour me réapproprier mon identité, je me dis que c’est mon rôle de porter plainte. Ce n’est pas la violence de l’insulte qui me pousse à le faire, mais la violence du système à laquelle je fais face. Si moi, personnalité politique et publique, avec une plateforme et une grande visibilité et aidée par une avocate, ne fais pas ces démarches, qui va le faire? 

Se construire à travers l’insulte, ce sont des mots très forts…
Je suis allé étudier six mois aux Etats-Unis. Là-bas, j’ai pu expérimenter ce que c’était que de se fondre dans l’espace social. Je n’ai jamais été regardé de travers, ni insulté. Alors qu’ici, en Suisse, je suis dévisagé tous les jours et subis des insultes au moins une fois par semaine. Et ce depuis tout petit. Avant même d’avoir compris qui j’étais, la société semblait l’avoir compris pour moi et m’a rejeté une image négative. Quand on est une personne queer, le cheminement est très compliqué et empreint de violence.

En 2020, la Suisse a plébiscité la pénalisation de l’homophobie (63% des suffrages). L'article 261bis du Code pénal punit désormais aussi les discriminations et l'incitation à la haine fondées sur l'orientation sexuelle. Mais entre le vœu pieu et le mise en œuvre, votre expérience révèle qu’il y a un monde.
On s’est extasié, à raison. En revanche, cette modification de loi a été très affaiblie par les Chambres fédérales qui ont retiré l'identité de genre de la norme anti-raciste et anti-homophobie pour ne garder que l’orientation sexuelle. Or, les personnes trans, non-binaires et queer ne sont pas uniquement insultées en raison de leur orientation sexuelle, mais surtout en raison de leur apparence, de leur expression de genre. Le rejet, la violence, émane de ce que l’on voit. Un phénomène que l’on observe avec la transphobie ambiante dans notre société.

La condamnation du polémiste franco-suisse Alain Soral (condamné en dernière instance à 40 jours de prison pour discrimination et incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle), constitue-t-elle une avancée?
Oui, cet arrêt du Tribunal fédéral fait jurisprudence et est un très bon signal. Mais il faut aller plus loin et inclure l’identité de genre dans le Code pénal. Cela ouvrirait la porte à la reconnaissance des insultes pénalement répréhensibles à l’encontre des personnes trans, non-binaires et queers. 

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«Quand on va déposer plainte pour des violences queerphobes, il existe une peur de ne pas être pris au sérieux par la police»
Marius Diserens, conseiller communal vert à Nyon
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Dans son rapport publié en 2023, Pink Cross, l'organisation faîtière des hommes gays et bisexuels en Suisse, recense 134 crimes de haine en 2022, récoltés grâce à sa helpline. Seuls 15 cas ont été dénoncés à la police. Pourquoi selon vous?
Ce n’est que la pointe de l’iceberg… Beaucoup de choses sont passées sous silence. C’est un phénomène complexe. Il faut déjà conscientiser l’insulte et se dire que la violence dont on fait l’objet n’est pas normale. Aussi, il y a la peur de ne pas être pris au sérieux par la police quand on va déposer plainte. Ou pire, qu’elle nous dissuade de le faire, au motif que ça ne sert à rien. Et puis, il y a la barrière financière aussi. J’ai la chance d’être représenté par une avocate pro bono mais les autres? On reproche sans cesse au mouvement #MeToo de ne pas emprunter le chemin légal pour faire valoir ses revendications. Or, quand on le fait, on nous dissuade de le faire. Je trouve cela extrêmement choquant.

Quel est le quotidien d’une personne LGBTQI+ dans l’espace public?
Les micro-violences sont partout. Dans les regards, les gestes, les insultes. En quantité. Dans le métro, au restaurant, au travail. Dans le mégenrage aussi, même si, à titre personnel, je m’en fiche. Ce sont aussi des barrières d’accès à l’emploi: 20% de taux de chômage chez les personnes trans, contrairement à 3% chez les personnes cis ou hétéro. C’est aussi un taux de suicide cinq fois plus élevé chez les personnes trans et non-binaires, tous âges confondus. Il existe aussi des barrières dans l’accès à la santé, en raison du manque de formation du personnel soignant. Ce sont des violences qui s’empilent les unes sur les autres.

Vous avez peur le soir quand vous marchez dans la rue?
Bien sûr. J’ai un spray au poivre dans la main dès qu’il fait nuit.

En tant que personnalité publique, la violence à votre égard est davantage exacerbée.
J’ai dû m’en défaire et mettre ces questions au second rang. J’essaie de me focaliser sur les combats, les revendications et ma vision politique. Mais des fois, c’est lourd, ça a des impacts sur ma santé mentale et physique à un moment donné. Puis, je remets mon bouclier, je repars au front.

Qu’avez-vous pensé de la victoire de Nemo, chanteur non-binaire à l’Eurovision? Une bonne nouvelle pour la reconnaissance d’un troisième genre en Suisse?
Forcément! Car cela remet la question à l’agenda politique. Nemo incarne et représente l’image de la Suisse au niveau européen, à travers son art qui est disruptif, ambitieux et beau. C'est avant tout son art qui a été plébiscité avant son identité de genre. Je dois dire que je trouve assez cocasse, que cette personne qui est considérée comme une citoyenne de seconde zone aux yeux du droit suisse, en vienne à incarner le pays. 

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«Être reconnu dans son genre et son identité choisie, c’est une reconnaissance de son droit à exister»
Marius Diserens, conseiller communal vert à Nyon
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Pourquoi faut-il légiférer sur la question de la non-binarité? Certains, au sein de l’UDC notamment, pensent qu’il est inutile de bouleverser l’ordre juridique pour 1 à 3% de personnes.
En Allemagne, dont le système juridique et légal est assez similaire au nôtre, ils l’ont fait, pourquoi pas nous? On mentionne, dans nos préambules de la Constitution, qu'on calcule la force d'une démocratie à son respect des droits des minorités. La Suisse doit pouvoir reconnaître et inclure toutes ces populations marginalisées dans son fonctionnement légal, politique et sociétal. On parle de dizaines de milliers de personnes, entre 1,3 et 3% de la population. Ce n'est pas rien. D’ailleurs, cela n’a jamais empêché l'UDC de faire des lois sur des sujets comme le voile intégral qui touchait 30 personnes en Suisse… 

Ne pas reconnaître, c’est dénier le droit d’exister?
Oui, et cela constitue la base fondamentale de la violence et de la discrimination que les personnes non-binaires subissent. Elles ne se sentent pas reconnues par leur propre pays, leurs droits fondamentaux n’étant pas garantis. Être reconnu dans son genre et son identité choisie, c’est une reconnaissance de son droit à exister.

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«Lorsque Nemo a affirmé que la première personne qu’iel appellerait serait Beat Jans, iel a fait un geste politique puissant»
Marius Diserens, conseiller communal vert à Nyon
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Le Conseil fédéral estimait dans un rapport publié fin 2022 que la Suisse n'était pas prête pour inscrire un troisième sexe dans le registre de l'état civil. L’est-elle aujourd’hui?
Cette formulation est ultra infantilisante pour la population suisse. Elle est prête, mais il y a encore du travail à faire dans la société, dans les médias, au niveau de la compréhension et de l’acceptation. Par exemple, Nemo a été mégenré dans l’ensemble de sa couverture médiatique. Très peu ont respecté son identité et n’utilisant pas le pronom iel.

Qu’attendez-vous de la rencontre entre Nemo et le conseiller fédéral Beat Jans?
J’espère qu'elle permettra de remettre le débat à l’ordre du jour et de faire avancer les choses en matière de reconnaissance d’un troisième genre. L’art et la culture ont toujours été de puissants moteurs de transformation sociétale. En conférence de presse, lorsque Nemo a affirmé que la première personne qu’iel appellerait serait Beat Jans, iel a fait un geste politique puissant. C’est un don de soi et un geste fort pour la communauté qu’iel représente. Et même au-delà.

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