De grands enjeux électoraux
Les détracteurs d'Alain Berset ne mordent pas à l'hameçon

Éclaboussé par le scandale des «Corona Leaks», Alain Berset n'est pourtant que peu critiqué. La raison de cette trêve pourrait trouver sa source dans les élections fédérales de cet automne. Analyse.
Publié: 22.01.2023 à 20:52 heures
L'ancien chef de la communication d'Alain Berset, Peter Lauener (à droite), aurait été en contact régulier par mail avec le CEO de Ringier, Marc Walder.
Photo: Keystone
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Peter Aeschlimann

L'année vient à peine de commencer que l'air est déjà lourd dans la salle du Conseil fédéral. Depuis longtemps critiqué, l'arrivée de deux nouvelles recrues aurait pu signé un renouveau favorable pour l'exécutif. Mais le redémarrage espéré s'est transformé en faux départ. Au centre de la tourmente, Alain Berset, fraîchement élu président de la Confédération. Et l'affaire des «Corona Leaks» n'est qu'un dossier parmi ceux qui accablent le conseiler fédéral.

Lors de la séance hebdomadaire du mercredi, le ministre de l'Intérieur doit maintenant faire face à des questions désagréables. Était-il au courant de l'existence d'une «ligne spéciale» que son ancien chef de la communication Peter Lauener aurait entretenue avec Marc Walder, le CEO de la maison d'édition Ringier? Des informations confidentielles sur les mesures Covid ont-elles été systématiquement transmises à la presse afin de faire pression sur l'ensemble du Conseil fédéral? «Nous en parlerons probablement au Conseil fédéral», a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, lors du World Economic Forum (WEF) à Davos.

L'agitation règne à Berne

C'est la «Schweiz am Wochenende» qui a dévoilé l'affaire, il y a une semaine. Le journal citait des mails que Peter Lauener avait échangés avec Marc Walder. Il s'agit d'extraits de la correspondance que l'enquêteur spécial Peter Marti aurait saisie comme «prise accessoire» lors de son enquête sur l'affaire Crypto AG. La manière dont les journalistes sont entrés en possession de ces preuves n'est pas claire et fait donc l'objet elle aussi d'une autre enquête. Quoi qu'il en soit, l'agitation règne depuis lors à Berne – et chez la maison d'édition Ringier à Zurich, qui publie également Blick et le SonntagsBlick.

Alain Berset a souligné à plusieurs reprises qu'il ne souhaitait pas s'exprimer sur la procédure en cours. Le CEO de Ringier, Marc Walder, reste lui aussi silencieux. Seul Christian Dorer, rédacteur en chef du groupe Blick, a pris position mardi dans l'édition alémanique du quotidien imprimé: «Personne n'influence Blick!» Selon lui, l'accusation selon laquelle le département de l'Intérieur d'Alain Berset aurait fourni de manière ciblée au journal des informations internes afin d'obtenir en retour une couverture médiatique bienveillante est fausse.

Les Chambres vont étudier l'affaire

La semaine prochaine, les commissions de gestion des deux Chambres se pencheront sur cette affaire. La plupart des partis estiment qu'il ne faut pas tirer de conclusions hâtives tant que la suite des événements n'est pas connue. Le chef du parti centriste Gerhard Pfister a écrit qu'il renonçait à prendre position, car pour lui, trop de questions restaient sans réponse. Le président des Vert'libéraux Jürg Grossen a aussi fait savoir qu'il n'avait pas envie de jeter de l'huile sur le feu.

Seuls les Jeunes UDC ont publié un communiqué de presse, avec un message clair: «Démissionne, Alain Berset.» Le conseiller national zurichois Alfred Heer (UDC) et son collègue argovien Andreas Glarner salueraient aussi individuellement un départ «avec les honneurs». Ce dernier déclare au «SonntagsBlick»: «Personnellement, je conseillerais à Alain Berset de partir.»

Encouragé à démissionner

Pendant ce temps, la première garde de l'UDC, qui a sorti l'artillerie lourde contre Alain Berset à plusieurs reprises au plus fort de la pandémie, adopte un ton étonnamment diplomatique. Le président du parti, Marco Chiesa, se contente d'affirmer que le conseiller fédéral socialiste, responsable d'une crise institutionnelle au sein du gouvernement, devrait tirer lui-même les conséquences de la situation. Selon lui, Alain Berset devrait reconsidérer seul sa place dans un comité où il ne jouit plus d'une grande crédibilité.

Un choix délicat des termes qui tranche avec le ton utilisé par le chef du groupe parlementaire UDC, Thomas Aeschi, en 2021. Celui-ci avait par exemple déclaré au portail d'information nau.ch: «Après d'innombrables erreurs, le ministre de la Santé n'est plus acceptable.»

Marco Chiesa lui-même avait tweeté 17 février 2021 contre les mesures de luttes contre le coronavirus «Maintenant, il faut résister!», tandis que Christoph Blocher mettait aussi en garde contre la gestion de crise du conseiller fribourgeois: «Il n'y a plus de démocratie. Vous êtes un dictateur (…).»

Bon timing pour Alain Berset

Mardi dernier, l'artiste de cabaret Patti Basler a tweeté : «Si Alain Berset était une femme, cela lui aurait déjà coûté sa place.» L'ancienne conseillère fédérale Elisabeth Kopp a en effet dû démissionner à la fin des années 1980 après avoir transmis des informations confidentielles à son mari.

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Dans le cas d'Alain Berset, l'absence d'appels à la démission n'est pas tant liée à son genre qu'au timing de l'affaire, suppose le géographe politique Michael Hermann. Le conseiller fédéral étant toujours très apprécié du peuple, les partis réfléchissent à deux fois, surtout en année électorale, avant de lancer une attaque contre le président de la Confédération en exercice.

«Lorsque l'UDC a qualifié Alain Berset de dictateur, le coup s'est retourné contre elle, rappelle Michael Hermann. C'est pourquoi on se garde maintenant de sortir l'artillerie lourde.» L'expert est convaincu que si l'ancienne conseillère fédérale Simonetta Sommaruga était au centre de l'attention, l'UDC se montrerait beaucoup plus agressive.

Le duo de tête du parti socialiste veut-il laisser passer la crise?

La retenue de l'UDC face cette situation peut également s'expliquer par une prudence accentuée face à l'opinion publique: «Même si le sujet continue de tourner maintenant sur le plan politique pendant peut-être encore un ou deux mois, la population ne s'y intéressera bientôt plus particulièrement», souligne Michael Hermann.

La semaine dernière, le duo dirigeant du PS, Cédric Wermuth et Mattea Meyer, a donné l'impression de vouloir laisser passer la crise. Les mails sont restés sans réponse, les téléphones ont été coupés. Ce n'est qu'hier que Cédric Wermuth s'est exprimé dans l'émission «Samstagsrundschau» sur SRF1. Le conseiller national argovien a reconnu qu'il y avait eu des indiscrétions: «C'est un problème.» Selon lui, c'est à la justice de juger s'il s'agissait effectivement d'une violation du secret de fonction.

Cédric Wermuth a déploré le caractère polémique d'un cas isolé: «Le gouvernement est une passoire absolue. Celui qui prétend le contraire est un hypocrite.» À la question de savoir si Alain Berset était encore légitime, il a répondu: «Je ne suis ni juge ni prophète.» Selon lui, il est clair qu'à l'heure actuelle, les révélations donnent l'impression qu'il s'agit d'une campagne, en année électorale, contre le conseiller fédéral, très apprécié du peuple. «Cela ne me surprend pas.»

Le président des Verts veut une clarification complète

Le président des Verts Balthasar Glättli attend une clarification complète de l'affaire. Telle que la situation se présente actuellement, il s'agirait d'une violation systématique du secret de fonction: «Si c'est le cas, c'est faux et inacceptable.» Le conseiller national zurichois espère que la Commission de gestion prendra rapidement une décision sur la manière d'enquêter de manière ciblée sur ces incidents. De manière générale, les Verts critiquent l'accumulation récente de fuites au sein du Conseil fédéral, y compris en provenance d'autres départements. «Le Conseil fédéral en tant qu'institution est en crise, la confiance mutuelle fait manifestement défaut», estime Balthasar Glättli. Selon lui, cette situation est désastreuse pour la maîtrise des grands défis à venir, notamment la catastrophe climatique, l'approvisionnement énergétique incertain et la question européenne non résolue.

Le président du PLR Thierry Burkart estime lui aussi que l'affaire doit être examinée en profondeur. Si les accusations de transmission systématique et prolongée d'informations confidentielles sur les affaires du Conseil fédéral s'avéraient fondées, ce comportement saperait le fonctionnement du gouvernement national en général et le principe de collégialité en particulier. «Dans la perspective actuelle, l'explication donnée jusqu'à présent par le président de la Confédération, selon laquelle il n'aurait pas eu connaissance de ce flux d'informations, est peu plausible.»

Thierry Burkart ne demande pas seulement une mise à jour juridique, mais aussi politique. «Si la crédibilité des institutions est sapée, il n'y aura que des perdants.»


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