La scène est hallucinante: Karim P.*, le propriétaire des locaux du peintre-carrossier Mevlüt Koyuncu, entre sans prévenir dans l’atelier de ce dernier à Winterthour-Seen (ZH). Une violente dispute éclate, que Mevlüt filme avec son téléphone portable.
Après avoir été copieusement insulté en turc par son bailleur, Mevlüt lui demande de quitter le garage. Mais le proprio n'en démord pas et hurle: «Je ne sors pas!» Lorsque Mevlüt l'accuse de le menacer, Karim P. conteste et lui arrache son smartphone des mains, qui finit sur le sol. La police doit intervenir.
Comment en est-on arrivé là? «Je ne sais pas si je pourrai encore travailler à la fin de l'année», confie Mevlüt Koyuncu, 50 ans, lorsque Blick le rencontre dans son atelier. Ce Turc travaille en Suisse depuis 25 ans et n'a, selon ses propres dires, «même pas reçu une seule amende de circulation». Il ne veut pas être à la charge de l'Etat, mais craint de perdre son job.
Des factures monstrueuses
Tout a commencé avec l'arrivée d'un nouveau propriétaire en automne 2022, dans le bâtiment où Mevlüt Koyuncu loue son atelier de peinture et carrosserie. Un an plus tard, les premiers problèmes commencent.
Il reçoit une facture sortie de nulle part: «Gaz: utilisation de l'énergie et du réseau.» Coût: 3300 francs. Mais Mevlüt Koyuncu affirme qu'il n'utilise «pas de gaz du tout». Peu après, une autre lettre arrive: «Consommation d'électricité et utilisation du réseau.» Coût: 3500 francs. Les rappels de paiement se succèdent.
Mais Mevlüt Koyuncu sait que tous ces coûts sont faux. Il paie directement aux services municipaux entre 500 et 600 francs mensuels pour son électricité. Il reçoit ensuite une lettre du propriétaire, qui lui met la pression: «Vous êtes libre de résilier le contrat de location avec nous à tout moment.» Le locataire ne souhaite pas trouver un autre local car son contrat, que Blick a pu consulter, est valable jusqu'à fin 2025 au moins.
En automne 2023, il reçoit une «modification unilatérale du contrat». Le loyer est drastiquement augmenté, passant de 3240 francs à 4356 francs! «Nous vous notifions cela parce que vous avez déjà eu de nombreux litiges avec nous depuis que nous avons repris l'immeuble», écrit l'entreprise du propriétaire dans un allemand approximatif. Motif: «Hausse des prix du gaz, de l'électricité et de l'énergie en général.» Mevlüt Koyuncu n'en a que faire et continue à payer son loyer initial.
Sauf qu'un jour, son compresseur tombe en panne. Selon le contrat de location datant de 2017, c'est le bailleur qui en est responsable. Mais il ne donne pas de signe de vie. Mevlüt Koyuncu puise alors 3500 francs dans ses économies pour remplacer la machine. Mais les problèmes ne s'arrêtent pas là: le bailleur a fait couper le chauffage dans le local il y a trois mois. Mevlüt Koyuncu trouve une solution alternative, en achetant à ses frais des radiateurs à gaz pour chauffer l'atelier. L'homme s'insurge de la situation: «Mon bailleur a augmenté le loyer de plus de 1000 francs et a arrêté le chauffage.»
Attaque: le bailleur s'en prend à Mevlüt Koyuncu
De plus, le bailleur a commencé à harceler son locataire. «Il a résilié ma place de parking pour usage personnel, alors qu'il y a beaucoup d'autres places non louées!», déplore Mevlüt Koyuncu. Karim P. décharge aussi du matériel d'échafaudage directement devant son atelier, lui bloquant ainsi l'accès.
Il y a quelques semaines, la querelle s'est envenimée et une dispute a fini par éclater. Blick mené ses recherches et a constaté que le bailleur aurait déjà été dénoncé en 2021 dans un cas similaire pour violation de domicile et menaces.
De grands projets, pas de réalisation
Blick a tenté d'approcher le bailleur. Karim P. est introuvable dans son bureau. Un article de journal datant de janvier 2024 accroché à l'entrée donne le ton: «Transformer les bureaux en appartements.» Il y est précisément question du bâtiment commercial dans lequel Mevlüt Koyuncu est toujours locataire. Mais en réalité, les travaux prévus par Karim P. dans l'immeuble auraient dû commencer il y a longtemps.
Blick est tombé sur une annonce frappante sur la plateforme ImmoScout: «Salon de manucure, boulangerie ou salon de coiffure: réalisez votre rêve. Les travaux de construction devraient être terminés à l'été 2025; les locaux commerciaux pourront probablement être occupés en avril.» Il semble de plus en plus clair pourquoi le propriétaire tente par tous les moyens de mettre Mevlüt Koyuncu à la porte.
L'office de conciliation doit clarifier la situation
Mais Mevlüt Koyuncu refuse de rester les bras croisés: il a pris un avocat et traîne son bailleur en justice. Entre-temps, il est devenu le seul locataire de l'immeuble. D'autres ex-locataires racontent à Blick qu'après avoir pris possession des lieux, Karim P. a soudainement mis fin au nettoyage des toilettes et des couloirs de l'immeuble. Il aurait aussi envoyé des «fausses factures d'électricité». «Il pense qu'il est au-dessus de l'Etat de droit. Je suis très content que nous soyons partis», explique un locataire, qui a souhaité rester anonyme.
Il répond aux demandes de Blick par une lettre d'avocat. «Ces reproches sont sans fondement et sont expressément contestés par notre client», peut-on y lire. «Nous vous demandons expressément de renoncer à la publication d'un article correspondant.»
Quelques jours après, la lettre de résiliation est arrivée. Motif invoqué: des travaux de transformation. Mevlüt Koyuncu doit quitter l'entreprise d'ici à la fin de l'année.
*Nom d'emprunt