Imaginez: vous vous baladez dans un cimetière et tombez sur une tombe affublée d'un QR code. Vous dégainez votre smartphone et une vidéo se lance, où une personne très vivante vous donne des conseils et dévoile sa recette fétiche. Dès lundi prochain, cette scène va passer du fantasme au possible grâce à Good Mourning, l'entreprise créée par une Fribourgeoise et un Neuchâtelois.
Marie Riley et Gianni Maranzano profitent de la Toussaint pour lancer leur société spécialisée dans le «pré-mortel», à savoir anticiper l'héritage — et on ne parle ici d'argent — que vous laisserez à vos proches. Car, contrairement aux idées reçues, il ne faut pas être en fin de vie pour anticiper sa mort. «Des personnes particulièrement prévoyantes pourraient faire évoluer un message vidéo d'année en année, ou préparer des contenus au cas où», anticipe Marie Riley.
«Quand tu donnes la vie, tu donnes la mort avec»
Good Mourning (Mourning signifie «deuil» en anglais) vise aussi l'événementiel, avec l'organisation de «living funerals»; des funérailles de son vivant, où la personne en fin de vie peut dire au revoir elle-même à ses proches. «Tout est sur mesure et part d'une première rencontre avec le client. Les possibilités, presque infinies, évolueront au gré des demandes.» La jeune femme de 37 ans note que les familles dépensent en général beaucoup d'argent car ils ne savent rien de ce que voudrait le défunt: «La personne décédée leur aurait peut-être simplement dit d'économiser de l’énergie et de l’argent!»
Mijoté depuis quatre ans, ce projet a des origines bien plus lointaines et très personnelles. En 2004, Marie Riley doit faire face à la mort de son papa et de son fils ainé, âgé de trois mois. «Quand tu enterres ton bébé à 19 ans, tu te dis que ta vie est foutue...». Sa maman lui souffle alors une phrase marquante: «Quand tu donnes la vie, tu donnes la mort avec». D’un tempérament positif, elle a aujourd’hui fait son deuil. «Je n’ai pas peur d’en parler, mais je regrette beaucoup de n’avoir aucune photo de mon fils et moi», confesse la Fribourgeoise.
Pour mener à bien son projet, celle-ci s'est entourée de Gianni Maranzano. Le trentenaire aux origines napolitaines a eu quelques réticences avant de répondre favorablement. «J’avais une vision catholique et un peu superstitieuse de la mort, l’impression qu’il ne faut pas trop en parler au risque qu'elle ne débarque. Mais qu’est-ce que j’aurais aimé avoir les recettes de ma grand-maman!»
Une première mondiale
«L'événementiel pré-mortem» est-elle une énième tendance venue des États-Unis? Pas du tout: ce business est unique au monde! «Nous venons clairement combler un manque, assure Marie Riley. Les offres se concentrent principalement autour de l’accompagnement des personnes en fin de vie et des groupes de parole autour du deuil pour les survivants. Ce qui se rapproche le plus de ce que l’on fait, c’est la rédaction de biographies. Mais ce processus est cher et de très longue haleine, tout le monde ne peut pas se l’offrir».
Les fondateurs de Good Mourning ne cachent pas avoir été inspirés par des fictions qui thématisent la mort avec humour, notamment les excellentes comédies «After Life» et «Dick Johnson is Dead», toutes deux disponibles sur Netflix. Des fictions qui nous arrachent tant des larmes que du rire et qui nous rappellent surtout à quel point la vie est belle.
Le visuel de Good Mourning, engageant et coloré, joue sur ce paradoxe. «Je ne sais pas comment il a fait, mais Gianni a réussi à rendre la mort cool», plaisante Marie Riley. Certains ne risquent-ils pas de trouver ce business de mauvais goût? «Nous sommes conscients que cela ne parlera pas à tout le monde. Nous visons un public de niche qui s'assume: les personnes qui viendront nous voir auront derrière elles une longue réflexion et seront à l’aise avec leur disparition future», analyse Gianni Maranzano.
Lorsqu’on demande aux deux compères s’ils appréhendent de se retrouver face à des personnes en fin de vie, ils sont unanimes: «Pas du tout. Nous sommes prêts!». La seule crainte de la Fribourgeoise et de son compère? Se retrouver au milieu de querelles familiales. «Pas question de délivrer des secrets posthumes ou que notre offre serve à régler des comptes. Notre démarche est exclusivement bienveillante.»
Marie Riley et Gianni Maranzano font très attention à ne pas se poser en professionnels du deuil. «Notre rôle est d'entourer la création de contenus», relève Marie Riley avec humilité. Les deux associés suivront toutefois une formation de «derniers secours», destinée à l'accompagnement des personnes en fin de vie, tandis que la Fribourgeoise a effectué un stage chez un croque-mort. Le site internet est dans les starting-blocs pour la date hautement symbolique du premier novembre. «Nous sommes curieux de voir la demande initiale. Nous nous adapterons par la suite», expliquent les deux associés.