«Complice d'un nouveau génocide»
La Suisse aurait ignoré les avertissements sur l'opération militaire dans le Haut-Karabakh

Après l'agression menée par l'Azerbaïdjan, l'ambassadeur suisse en Arménie a insisté pour que la Confédération prenne clairement position. Mais le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis n'a pas voulu en entendre parler.
Publié: 19.03.2024 à 19:04 heures
1/5
Plus de 50'000 personnes ont fui en septembre dernier la région caucasienne en conflit du Haut-Karabagh, reconquise par l'Azerbaïdjan, pour se réfugier en Arménie.
Photo: AFP
Raphael_Rauch (1).jpg
Raphael Rauch

Pour l'Arménie, ce fut un événement traumatisant: 108 ans après le génocide perpétré par les Turcs, l'Azerbaïdjan a lancé en septembre 2023 une opération militaire dans le Haut-Karabakh et a chassé la population chrétienne vers l'Arménie. La Russie, ancienne puissance protectrice de l'Arménie, massivement affaiblie par la guerre en Ukraine, n'est pas intervenue. L'allié le plus proche de l'Azerbaïdjan, le président turc Recep Tayyip Erdogan, en ressort d'autant plus fort. Depuis longtemps, Ankara et Bakou se considèrent comme «une nation avec deux États».

Peu après l'agression, la situation en Arménie a été évoquée aux Nations unies à New York. La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock et sa collègue française Catherine Colonna ont tenu des propos saignants. Et la Suisse? Elle n'a pas condamné, mais s'est montrée «profondément préoccupée», comme l'a déclaré l'ambassadrice suisse à l'ONU Pascale Baeriswyl lors d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité, en septembre dernier.

Le DFAE a ignoré les avertissements

Blick a enquêté, sur la base de la loi sur la transparence. Et les conclusions sont claires: le DFAE ne s'est pas alerté des risques pour la population civile. Le Département fédéral des affaires étrangères a délibérément opté pour une déclaration modérée et a ignoré les avertissements de l'ambassade suisse en Arménie.

Celle-ci avait pourtant tiré la sonnette d'alarme en interne et plaidé pour une déclaration plus ferme. Le risque d'expulsions massives aurait dû être abordé directement: «Le risque est vraiment présent.» Blick a pu se procurer la déclaration de la capitale arménienne, Erevan: «D'une manière générale, il nous semble que nous devons durcir le langage après l'attaque d'hier.» Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis a toutefois ignoré l'appel. Il a été vivement critiqué par le conseiller national du Centre Stefan Müller-Altermatt sur cette question. Il est coprésident de l'association Suisse-Arménie et réagit sans détours: «Cassis se prosterne devant l'Azerbaïdjan.»

Selon lui, le DFAE a sciemment minimisé le danger. «La Suisse a donné un Swiss Finish à l'omission de la société mondiale. Que le monde ait détourné le regard lorsque les Arméniens ont été chassés de leur patrie était grave. Le fait que le DFAE ait en plus ignoré les avertissements est impardonnable. Et en même temps un avertissement: l'Arménie est désormais menacée dans son existence, déclare Stefan Müller-Altermatt à Blick. Fermer les yeux une nouvelle fois et ignorer nos avertissements pourrait signifier être complice d'un nouveau génocide.»

«Nous nous prosternons devant l'État pétrolier»

Le politicien du Centre estime que la Confédération a une responsabilité particulière: «La Suisse est un important centre de négoce de matières premières. En ce sens, ce n'est pas seulement Ignazio Cassis qui se prosterne, mais aussi Guy Parmelin et l'ensemble du Conseil fédéral. L'Azerbaïdjan finance sa politique d'agression en Suisse, en collaboration avec la Russie. Et oui: nous nous prosternons devant cet Etat pétrolier.»

Le DFAE tente d'argumenter. Deux jours après le début de l'intervention militaire azerbaïdjanaise, la Suisse s'est concentrée en premier lieu sur l'appel au respect du droit international humanitaire, des droits de l'homme et à la protection de la population civile. «La majorité des autres membres du Conseil de sécurité ne s'est pas non plus exprimée lors de cette réunion d'urgence sur les mouvements de fuite, qui ne se sont manifestés à grande échelle que dans les jours qui ont suivi, indique le DFAE. La Suisse a exprimé quelques jours plus tard, par exemple au sein de l'OSCE, son regret que plus de cent mille personnes aient dû fuir et quitter leur domicile.»

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la