Nous l’avions révélé en exclusivité dans les colonnes de Blick dès la rencontre entre Viola Amherd et Ursula von der Leyen à Genève, le 1er octobre, pour le 70e anniversaire du CERN: la demande helvétique d’une clause de sauvegarde qui permettrait à la Suisse de restreindre l’afflux massif éventuel de travailleurs européens n’est pas acceptable pour nos partenaires de l’Union.
Les ministres des 27 pays membres l’ont à l’unanimité confirmé à Luxembourg, ce mardi 15 octobre. Et dans un compte rendu fait par la Commission européenne le lendemain, que Blick a pu consulter, cette divergence est réaffirmée, et justifiée par la comparaison avec les pays membres de l’Espace Économique Européen (EEE, que la Suisse a refusé de joindre par le référendum de décembre 1992): «Le statut de ces pays ne prévoit pas les nombreuses exceptions au droit communautaire sur lesquelles la Suisse a insisté, peut-on lire dans ce mémo montré à Blick par deux sources au sein des États-membres. La combinaison d’une clause de sauvegarde unilatérale et d’exceptions n’est donc pas acceptable. D’autant que nous l’avions déjà exclue lors des pourparlers exploratoires.»
Isolement helvétique
Comment expliquer cet actuel isolement de la Suisse, où la campagne en cours pour l’initiative «Boussole/Europe pour de bonnes relations, d’égal à égal, entre la Suisse et l’Union européenne» est en train de durcir nettement le climat politique?
Pour Jean Russotto, avocat suisse basé à Bruxelles et spécialiste depuis trente ans du dossier bilatéral, «si on parle de clause de sauvegarde unilatérale en matière de libre circulation des personnes, aucun État membre ne l’accepte. Il faut qu’à Berne on réalise cela. L’heure est à l’unité. Si on parle du nouveau paquet d’accords bilatéraux en négociation en revanche, les États membres sont d’accord pour aller de l’avant, à condition que le paquet final reste équilibré. Or pour l’instant, ce n’est pas le cas. La demande communautaire d’une contribution financière récurrente de la Suisse à la cohésion n’a toujours pas reçu de réponse favorable».
Le rôle du Royaume uni
Qui mène la danse à Bruxelles, du côté des États-membres, sur le dossier suisse? Selon nos informations et plusieurs conversations avec des diplomates, le dossier helvétique est paradoxalement de nouveau prisonnier de celui… du Royaume-Uni.
Le député européen Sandro Gozi, bien connu à Genève où il enseigne à l’université (Centre Dusan Sidjanski), désormais en charge des relations avec Londres a demandé récemment au Premier ministre britannique Keir Starmer de préciser les conditions d’un «reset»: «C’est au gouvernement britannique de préciser ce qu’il entend par réinitialisation. C’est à la partie britannique d’identifier les éléments possibles pour nous dire ce que nous pouvons faire ensemble.»
Est-ce aussi l’heure d’un «reset» pour la Confédération? «Peut-être faut-il en arriver là, reconnaît un diplomate français. La discipline communautaire est stricte. C’est à la Suisse de nous dire ce qu’elle est capable ou pas d’accepter pour accéder au marché européen et participer à nos programmes. Et à nous de répondre si on est intéressé.»
Des demandes qui tombent mal
L’avocat Jean Russotto complète: «Les demandes suisses sur la libre-circulation tombent mal. L’épuisement, mais surtout la lassitude règnent à Bruxelles sur ce dossier helvétique. Vouloir compter sur une division entre États membres est une approche qui ne fonctionne plus vraiment».
Selon nos informations, l’échange sur la Suisse aurait duré près d'une heure mardi 15 octobre à Luxembourg. Et aucune brèche n’est apparue. Huit États membres, dont l’Allemagne, ont d’emblée soutenu la fermeté de la Commission. Plus important encore: huit États membres (dont la France, la Belgique et la Hongrie qui assume la présidence tournante de l’UE jusqu'à fin décembre) ont demandé d’achever ces négociations d’ici la fin 2024.
«Sous entendu: d’une manière ou d’une autre, y compris si cela doit échouer» commente un diplomate. La France, l’Italie et la Suède ont recommandé au négociateur communautaire Maros Sefcovic «d’être extrêmement vigilant» sur la libre circulation, qualifiant ce sujet de «clé de voûte».
Des relations de voisinage pas si bonnes
Mais alors, à quoi cela sert d’avoir de bonnes relations de voisinage et d’employer en Suisse des centaines de milliers de travailleurs frontaliers français, allemands ou italiens? Et quid de la traditionnelle proximité de l’Autriche avec la Suisse? Pour l’universitaire Gilbert Casasus, la victoire électorale récente de l’extrême-droite à Vienne incite au contraire beaucoup de responsables autrichiens, aux mêmes eurosceptiques, à ne pas soutenir un rapprochement entre l’UE et la Confédération. «Les europhobes s’entraident, les proeuropéens beaucoup moins» estime-t-il.
L’Allemagne? «Elle joue toujours double jeu avec la Suisse. Elle se veut vertueuse envers ses partenaires de l’UE, mais s’empresse à défendre ses propres intérêts avec la Suisse, comme ce fut le cas pour le dossier Horizon Europe», poursuit notre interlocuteur. Bien vu: le ministre allemand n’est à aucun moment intervenu à Luxembourg cette semaine pour soutenir les demandes de Berne. Et ce, malgré l’échange avec Ignazio Cassis la veille, dans le cadre d’une réunion des ministres germanophones…
Pas de menu à la carte
La vérité? C’est sans doute le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères Xavier Bettel qui l’a mieux résumée: «L’Europe n’est pas à la carte. On a des règles communes pour tous Je connais les risques en suisse, avec le référendum mais je le répète: l’Union européenne n’offre pas de menu à la carte avec entrée, pas de plat principal, et peut-être un dessert.»
Problème: pour la Suisse, et notamment pour son économie, il n’y a pas vraiment de restaurant alternatif…