Tout commence par des images. Des images qui dérangent le conseiller communal lausannois Ilias Panchard (Les Vert-e-s). Ce 15 septembre encore, la page d’accueil du site internet Thin Blue Line Switzerland montre une voiture de la police lausannoise et une personne portant l’uniforme des forces de l’ordre municipales.
Le hic: celle-ci porte l’insigne interdit depuis le 20 juin au sein des polices vaudoises — comme dans différents pays — parce que récupéré par l’extrême droite, comme l’a révélé Blick ce 14 septembre. En clair, l’image de la police lausannoise est utilisée pour vendre des badges prohibés en son sein. Prix d’un badge: entre 7 et 15 francs. Les couteaux Victorinox édition Thin Blue Line sont affichés à 75 francs.
Pour mémoire, originaire du Royaume-Uni et reprise à l'international, la Thin Blue Line — une fine ligne bleue traversant deux bandes noires — se veut apolitique et représente la solidarité entre les agents du monde entier. Mais au fil du temps, l’emblème s’est retrouvé brandi dans les manifestations prisées par les suprémacistes blancs, de Charlottesville en 2017 à l’assaut du Capitole en 2021, rappelle «Le Monde».
Et là, surprise!
Comment la police lausannoise juge-t-elle l’utilisation de son image dans ce contexte? Est-ce légal? «La police de Lausanne a contacté la personne en charge de ce site à la fin août en lui demandant de supprimer les visuels sur lesquels elle est visible», répond Sébastien Jost, porte-parole, dans un e-mail adressé à Blick le 14 septembre.
Résultat? «À cette occasion, la personne en charge du site s’est engagée à faire supprimer les images où la police de Lausanne est représentée, en précisant que cela demanderait un délai, en lien avec les impératifs techniques liés à cette suppression. Compte tenu de l’interdiction émanant de la Direction opérationnelle des polices vaudoises, une telle utilisation n’est pas acceptée.»
L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais la curiosité journalistique est un bon défaut. Qui est «la personne en charge de ce site»? Quelques recherches sur la Toile — et une plongée dans le Registre du commerce — mènent vers une entreprise, basée dans la campagne vaudoise. Et là, surprise: qui dirige cette boîte depuis six ans? Un policier! Membre de la police de Lausanne!
Pas de sanctions
Selon les informations disponibles en ligne, celui-ci y travaille désormais à temps partiel depuis deux ans, mais y a été enrôlé en 2016, après un passage par la gendarmerie cantonale. Le jeune homme était sorti major de sa promotion à l’académie de police.
Pour Ilias Panchard, les informations obtenues par Blick sont «choquantes». «Je tombe de ma chaise, lance le candidat au Conseil national, contacté ce jeudi après-midi. À mes yeux, c’est grave et la question de savoir si cette personne peut rester en poste au sein de la police de Lausanne se pose. Le Municipal et le commandant doivent prendre leurs responsabilités: un chef, c’est fait pour cheffer! C’est un premier test pour la récente directive qui interdit la Thin Blue Line au sein des polices vaudoises. On peut s’interroger sur les valeurs de cette personne. Je porterai cette affaire devant le Conseil communal.»
L’employé a-t-il été sanctionné? Une procédure interne est-elle en cours? Que prévoit la notice interne dans un tel cas de figure? Contacté, Pierre-Antoine Hildbrand, municipal libéral-radical de la sécurité, botte en touche. «Je ne ferai pas de commentaires et laisse le soin, cas échéant, à la police de vous répondre».
Le policier se distancie des extrémistes
Il est donc temps d’envoyer un nouveau courrier électronique à la police de Lausanne, portant les mêmes interrogations. Premièrement, le policier a le droit d’exercer une activité accessoire, celle-ci ayant été annoncée à son employeur, amorce Sébastien Jost, ce vendredi après-midi. Circulez, il n’y a rien à voir. Le communicant souligne en outre que «la directive réglemente le port de cet insigne ou d’autres symboles distinctifs en service. Elle n’aborde pas d’autres thématiques».
Le policier à la tête du site internet se distancie-t-il des extrémistes de droite qui ont récupéré sa chère Thin Blue Line? Contacté, l’entrepreneur, qui déclare avoir pris acte de l’interdiction, est affirmatif. «Nous nous dissocions et condamnons fermement toute utilisation et récupération de la Thin Blue Line par des groupes radicaux, extrémistes, ainsi que toute manipulation ou amalgame qui ne correspondrait pas aux valeurs qu’elle incarne», martèle-t-il dans un e-mail ce 15 septembre.
Le Vaudois tient toutefois à préciser que ledit symbole est «totalement apolitique» et qu’il «est porté par de nombreux individus qui reconnaissent le travail fondamental de la police et qui expriment leur gratitude envers ceux qui risquent leur vie pour assurer la sécurité de tous».
Et l’agent de développer: «Reconnaître le travail de la police ne signifie pas cautionner de quelconques dérives ou comportements déplacés au sein de cette profession.» Pour lui, arborer la Thin Blue Line ne veut pas dire «prendre parti pour un mouvement politique ou de promouvoir une idéologie spécifique». Vendredi après-midi, une des images litigieuses avait disparu de sa page d’accueil.
Population capable de faire la différence?
Reste que la Fédération suisse des fonctionnaires de police appelle au respect de l’interdiction vaudoise de l’écusson polémique. Et ce, même si le concept de base était «tout à fait légitime et d’esprit positif», précise auprès de Blick sa présidente, Johanna Bundi Ryser.
Sur le fond, pour cette agente de la police fédérale proche de l'Union démocratique du centre (UDC), la Thin Blue Line n’est d’ailleurs pas devenue problématique. À ses yeux, la population est tout à fait capable de faire la différence entre une utilisation «correcte» et une utilisation «illégale» du logo.
Tout le monde n’est pas de cet avis. Dans une interview au sujet de la Thin Blue Line publiée par Blick en juin, la députée vaudoise Mathilde Marendaz (Ensemble à Gauche) estimait que «le doute subsisterait toujours au sujet des intentions du fonctionnaire qui [la] porte».