Affaire Mike Ben Peter
«Mon fils policier est traumatisé parce qu'on le traite de meurtrier!»

Avant la dernière audience du procès de six policiers lausannois soupçonnés d'avoir provoqué la mort du Nigérian Mike Ben Peter, trois supporters des agents étaient là, ce lundi matin, devant le Tribunal de Montbenon. La mère d'un des accusés s'est confiée à Blick.
Publié: 19.06.2023 à 17:07 heures
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Dernière mise à jour: 19.06.2023 à 21:10 heures
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Aux pieds du Guillaume Tell en marbre de Carrare, deux hommes et une femme ont fini par accepter de discuter avec moi.
Photo: Amit Juillard
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Amit JuillardJournaliste Blick

À 7h30 ce lundi, en chemin pour Montbenon, je ne sais pas qui je vais rencontrer. Je ne sais pas si manifestation il y aura. Je ne sais pas que je vais recueillir le témoignage de la mère de l’un des six policiers prévenus d’homicide par négligence. Tous sont soupçonnés d’avoir provoqué la mort du Nigérian Mike Ben Peter, décédé après une intervention musclée lors d’un contrôle antidrogue en 2018, à Lausanne.

Revenons d'abord sur nos pas. Jeudi 15 juin, troisième jour du procès. À 11h12, un appel à soutenir les agents en marge des plaidoiries est lancé. Le texte, diffusé par la page Facebook «Soutien à la police municipale de Lausanne», récolte près de 400 «likes» et est partagé quelque 80 fois en quelques jours.

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Ce 19 juin, vers 7h45, il faut bien chercher pour trouver ces supporters. Là! Sur un T-shirt noir, un logo du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale française). Aux pieds du gars, des chaussures tactiques. Aux pieds du Guillaume Tell en marbre de Carrare, qui tourne le dos au palais de justice de la capitale vaudoise, deux hommes et une femme.

«Mon fils, policier, est traumatisé»

L’accueil est froid. Critiques envers les médias «partiaux» dans cette affaire. Méfiance. Pas de photos, pas de noms. «Les journalistes doivent se renseigner et faire leur travail, assurer une équité dans le traitement, je n’en dirai pas plus.» «Et aussi, nous trouvons que Mike Ben Peter était un homme parfait.» Ironie. Quelques échanges. La conversation s’enclenche. L’ambiance se réchauffe.

Pascal* — grand, mince, la quarantaine ou la cinquantaine — finira par avouer qu’il est la plume qui chatouille le clavier derrière le groupe Facebook responsable cette micro-mobilisation. Jacqueline* — fumeuse à la chaîne, cheveux courts, la soixantaine — est la maman d’un des agents assis sur le banc des accusés.

«Mon fils est très touché, toute cette histoire impacte aussi durement sa famille, confie-t-elle. Il est traumatisé et secoué parce qu’on le traite de meurtrier. C’est quelqu’un de sensible, il fait son métier pour aider la population. Il n’avait pas l’intention de faire du mal.» Sa crainte principale: un jugement «politique», «porté par la rue et les médias».

«J’ai peur qu’il aille en prison»

Ses sèches se consument, pas son anxiété: «Pour moi aussi, c’est difficile. J’ai peur qu’il aille en prison. Vous savez, je ne suis pas une grande amoureuse de la police, de l’autorité. Mais quand il y a un contrôle, on se laisse contrôler. Dans la famille, on n’est pas des racistes. Mon fils s’était rendu sur place pour aider ses collègues, pas pour 'se faire' une personne de couleur.» L’argumentaire résonne avec le discours, tenu par une partie du camp adverse, selon lequel le racisme systémique gangrène la police et serait ainsi en partie responsable de la mort de Mike Ben Peter.

N’y a-t-il pas un problème, quand un policier pose le pouce levé à côté d’un graffiti en hommage à Mike Ben Peter? Le racisme n’existe-t-il pas au sein des forces de l’ordre? «Il peut y avoir des moutons noirs, comme partout, mais ils sont vite sanctionnés!»

Une banderole dans la nuit

Un homme en polo blanc, bouc au menton, s'arrête d'abord sans piper mot. Il remercie Pascal pour le soutien sur Facebook: «Ça fait du bien, parce que… c’est dur». Je l'apprendrai plus tard: c’est l’un des prévenus.

Pascal, «retraité dans la fleur de l’âge», ou rentier de l’assurance invalidité, a même accroché, jeudi, dans la nuit, une banderole sur la fontaine de la Justice, à la place de la Palud. En lettres bleues et noires sur fond blanc: «All cops are brothers» («tous les policiers sont des frères»). Un détournement du slogan d’ultragauche «ACAB», pour «All cops are bastards» («tous les policiers sont des bâtards»).

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Sur le fond, il ne croit pas que le plaquage ventral ait pu causer la mort de Mike Ben Peter. Le cœur de cette affaire. «En France, dans un cas similaire, un homme a fait son malaise pendant le trajet vers le poste de police, avant de décéder. Dans le cas présent, il est mort le lendemain, au CHUV (ndlr: Centre hospitalier universitaire vaudois).»

«La seule autre option, c’est le taser»

Pour mémoire, le père de famille de 39 ans avait perdu connaissance le 28 février 2018 après avoir été immobilisé ventre contre terre durant plusieurs minutes — trois selon le procureur Laurent Maye, six selon Simon Ntah, avocat de la famille de la victime, rappelle «24 heures» dans son suivi minute par minute des audiences. Après une nuit à l’hôpital, son décès avait été constaté à 10h39.

Selon l’acte d’accusation, cité par «Le Temps», cet arrêt cardiaque est dû à des causes multifactorielles. Comme l’obésité de la victime, des troubles du rythme cardiaque, le stress causé par la situation ou encore l’association de tous ces facteurs avec une position «en décubitus ventral» et une compression thoracique par phases.

Quid de cette technique d’immobilisation risquée et controversée, qu’une commission ad hoc du Conseil communal de Lausanne aimerait interdire? «Comment voulez-vous immobiliser quelqu’un qui se débat violemment sans le mettre à plat ventre?, rétorque Pascal. Et, en Suisse, on n’appuie pas sur le cou ou le dos. La seule autre option, ç'a été dit en audience, c’est le taser. Je ne suis pas sûr que ce soit mieux…»

On cache la Thin Blue Line

Durant la conversation, Eric*, posé à ses côtés, également rentier AI, intervient peu: «Je suis passionné par la photo, le sport et les forces de l’ordre. Je suis juste venu apporter mon soutien, mais un gendarme m’a conseillé d’enlever mes badges de ma veste.»

Le dernier visage du trio arborait la Thin Blue Line, symbole de la solidarité entre les polices du monde entier, qui a été récupéré par l’extrême droite étasunienne. L’emblème, interdit dans plusieurs pays, était autorisé dans le canton de Vaud depuis 2017. Une autorisation suspendue après qu’un membre du dispositif de sécurité du procès l’a porté mercredi, provoquant une polémique.

Comme ses compères, Eric espère un acquittement: «S’ils étaient condamnés, ça donnerait de la force aux dealeurs et Lausanne finirait comme Marseille, en France! On discréditerait la profession.»

Le Ministère public demande l’acquittement

Pascal abonde: «La police n’arrive plus à recruter. Une condamnation aggraverait encore les choses. Et puis, tous ceux qui sont en fonction n’oseraient plus intervenir sur des personnes de couleur.»

Plus tard dans la matinée, une bonne surprise les attend. Le procureur Laurent Maye abandonne l’accusation initiale d’homicide par négligence, pour requérir l’acquittement. Dans la foulée, Simon Ntah, avocat de la famille de Mike Ben Peter, plaide finalement l’homicide par négligence. Le verdict est attendu ce 22 juin.

*Prénoms d’emprunt

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