La serveuse du Café Wilson, à la Rue des Pâquis à Genève, est tout sourire, ce mardi 19 mars vers dix heures du matin, sur fond de vitrine criblée d’impacts de balles. Quatre ou cinq personnes sont déjà postées à des machines à jeux, dans ce PMU. D’autres sont assises à une table en train de siroter leur café (ou leur bière matinale).
Tout se passe — presque — comme si rien de particulier ne s’était produit ici. Si ce n’est pour les traces des tirs (dix, d’après nos observations), encore présentes sur les vitres du troquet, mais qui ne sont visibles que de l’intérieur. L’extérieur étant recouvert de panneaux blancs. Et puis quelques boutades ne tardent pas à retentir, un client lance par exemple à la serveuse: «J’espère que t’as mis ton gilet pare-balles ce matin!»
«C’est très bizarre…»
De prime abord calme et indifférente, la clientèle fidèle de l’établissement sait en réalité très bien ce qu’il s’est passé, dans la nuit de dimanche. Pour rappel, le «Café Wilson by Dahlak» à la rue des Pâquis, à Genève, a été criblé de tirs vers 4h du matin le dimanche 17 mars. Un suspect de 19 ans a été interpellé le jour même. Présumé innocent, il aurait dérobé l’arme du crime, un pistolet-mitrailleur SIG Sauer MPX, dans une voiture de police stationnée dans le quartier. Des investigations sont en cours.
Blick s’est rendu au Café Wilson mardi matin, afin d’assister à la réouverture. Les quelques clients présents nous ont tous confié leur surprise: «C’est très bizarre, ce qu’il s’est passé… D’autant plus que le tireur est jeune, alors qu’il y a plutôt des personnes plus âgées qui viennent jouer ici», souligne par exemple un homme.
Il aurait raté le tireur de peu
Au bar, sur le point de se lever pour activer une machine à jeux, un autre badaud qui vient «tous les jours» miser au Café Wilson raconte: «Je travaille dans la restauration, avec des horaires irréguliers. La nuit des faits, je suis rentré chez moi vers 3h40 du matin, en passant devant le Café Wilson. Tout était calme, à ce moment-là! Si j’avais su ce qu’il se passerait quelques minutes plus tard…»
L’homme affirme n’avoir vu personne traîner devant la pinte, à ce moment-là. «En revanche, un jeune homme m’avait demandé une cigarette quelques minutes auparavant, au bout de la rue de la Navigation, un peu avant que je n’arrive à la hauteur du Café Wilson. Mais il n’avait pas d’arme, même pas de sac où il aurait pu la cacher, à ma connaissance!»
Sur les traces de l’auteur présumé
L’estaminet appartient à un couple d’origine turque, qui exploite aussi d’autres établissements à Genève, d’après le registre du commerce. Dont un Kebab, et plus récemment une boîte de nuit, pour ce qui est de la femme.
Contactée par téléphone lundi puis mardi, Yasemin*, la patronne, se dit «choquée» par les événements. «Tout le monde dans le quartier est au courant, j’ai reçu tellement d’appels dans la journée de dimanche… Les gens se demandent ce qu’il a bien pu se passer». Lorsque nous l’appelons mardi matin, elle assure ne pas encore avoir remis les pieds sur place, depuis les coups de feu.
Une question clef demeure: quel est le profil du coupable, et quel serait son motif? D’après des informations obtenues par «Le Temps», le jeune auteur présumé, qui nie pour l’heure les faits, «aurait déjà eu un contentieux avec le patron de l’établissement». Interrogée à ce sujet, Yasemin affirme qu’elle n’en sait pas plus que nous, pour l’heure. «La police refuse, pour le moment, de nous communiquer l’identité de la personne interpellée», précise-t-elle.
La patronne a ses soupçons
Néanmoins, la cheffe a ses soupçons: «Je ne suis sûre de rien, il faut prendre ce que je dis avec des pincettes, mais si vous voulez mon avis, je pense que l’auteur des tirs est un jeune Turc sans papiers et accro à la drogue, que mon mari connaît depuis pas très longtemps, via notre communauté. Il venait parfois prendre des cafés chez nous. Vous savez, les Turcs de Genève se connaissent plus ou moins tous…»
Si, par hasard, il s’agit bien de cette personne, qu’est-ce qui pourrait l’avoir motivée à voler une arme (et pas des moindres) dans une voiture de police, avant d’aller déglinguer la vitrine du café en pleine nuit? La patronne rétorque: «Franchement, je n’en ai aucune idée. Mais s’il s’agit bien de lui, c’est une personne mentalement dérangée, il prend beaucoup de drogues».
Un habitué des lieux nous glisse quant à lui à l’oreille qu’un individu correspondant à cette description aurait travaillé dans l’établissement cet été, avant de disparaître. Confrontée à cette allégation, la patronne réfute le fait que la personne qu’elle soupçonne ait travaillé dans son établissement. Également confronté à ces éléments, le Ministère public genevois n’a pas répondu à nos sollicitations.
*Nom d’emprunt. Identité connue de la rédaction.