Aujourd'hui à la retraite, François Nordmann a longtemps œuvré pour la diplomatie suisse. C'est donc tout naturellement que cet ancien ambassadeur et diplomate a suivi la conférence internationale pour la paix en Ukraine qui s'est tenue le week-end dernier au Bürgenstock (NW). À l'heure du bilan, il livre à Blick ses impressions. Interview.
François Nordmann, est-ce que, comme l’a dit à Blick le conseiller national UDC Pierre-André Page, ce sommet pour la paix n’a servi à rien?
Il le disait avant même que le sommet ait débuté… Pour moi, ce sommet est un demi-succès. Il y a eu, bien sûr, des déceptions, avec l’absence de pays importants du BRICS ou leur représentation à un niveau inférieur. Forcément, l’absence du président Biden a déçu aussi, même s’il avait rencontré Zelensky l’avant-veille au G7, en Italie.
Des absences qui avaient contraint la Suisse à revoir ses ambitions.
Oui, d’abord, on avait évoqué une médiation classique en présence des deux parties impliquées, la Russie et l’Ukraine. Ce sommet est devenu une manifestation de solidarité contrôlée vis-a-vis de l’Ukraine avec l’idée de consolider sa position, sa souveraineté territoriale et de renforcer sa volonté d’établir une paix basée sur les règles de l’ONU. On peut tout de même s’interroger sur le timing de cette conférence.
C’est-à-dire?
Alors que l’heure est, pour les principales puissances européennes industrialisées, au renforcement de l’Ukraine sur le plan militaire, on peut se demander si la date était vraiment opportune.
Certains reprochent d'ailleurs une organisation précipitée avec, en filigrane, l’idée que les conseillers fédéraux Viola Amherd et Ignazio Cassis auraient surtout cherché à redorer leur blason.
Il est certain qu’ils ont accepté l’organisation de cette conférence dans l’idée d’en tirer un certain prestige. Et il est normal qu’ils aient joué cette carte. Mais il ne faut pas oublier que c’était surtout l’Ukraine qui pressait à l’organisation d’une telle rencontre. À partir du moment où la Suisse a accepté d'orchestrer cette manifestation de soutien à l’Ukraine, elle a tout mis en œuvre pour le faire le plus rapidement possible. Dire que c’était précipité me paraît exagéré. Entre la décision et la réalisation se sont écoulés plusieurs mois de tractations, de négociations, de voyages diplomatiques afin d’obtenir la venue d’un maximum de participants.
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Pour revenir au résultat de cette conférence. Le communiqué final a été signé par 84 États et institutions. Aucun membre des BRICS, proche de Moscou, ne figure parmi eux. Alors, échec ou réussite?
C’est un entre-deux. Un des objectifs de Zelensky était d’obtenir le soutien des pays du Sud, y compris celui des BRICS. Ça lui a été refusé. Notamment en raison de l’absence de la Russie. Mais que se serait-il passé si elle avait été là?
D’après vous?
La Russie serait venue avec ses exigences, des exigences complètement incompatibles avec celles de l’Ukraine. Je ne vois pas comment il aurait été possible de concilier le plan de paix de Zelensky avec celui de Poutine. D’autant plus, avec les conditions posées vendredi dernier par le Russe. (NDLR: Vladimir Poutine avait proposé l'arrêt des combats et l’ouverture de pourparlers de paix avec l’Ukraine, moyennant qu'elle retire ses troupes de quatre régions partiellement occupées par la Russie et qu'elle renonce à son projet d’adhérer à l’OTAN.)
La Suisse n’a-t-elle pas commis un impair diplomatique en ne tentant même pas d’inviter la Russie à ce sommet?
Oui. Mais si on invitait la Russie, on perdait l’Ukraine. Comme la Suisse était partie dans une aventure commune avec l’Ukraine, il a fallu faire un choix. Ce qu’elle a fait tout en se berçant d’illusions en imaginant qu’elle pourrait inviter la Russie une autre fois. Or, dans le communiqué final ne figure aucune mention d’une quelconque suite ou suivi allant dans ce sens.
Quel bilan tirer de ce sommet pour la diplomatie suisse?
Un bilan positif en termes d’organisation déjà. La Suisse s’est démenée. La participation a été honorable malgré quelques lacunes. Un texte de déclaration a été amendé, un texte qu’il a fallu modifier pour tenir compte de la position ukrainienne. Les participants eux-mêmes ont déclaré que c’était un succès. Permettre de se réunir pour entrevoir les perspectives de paix au lieu de parler d’armement et de guerre est, en soi, un service rendu à la communauté internationale. Un premier essai honorable.
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Un premier essai et un accord sur trois points: la sécurité nucléaire, la sécurité alimentaire et la libération des prisonniers de guerre ainsi que le rapatriement des enfants ukrainiens enlevés par la Russie. Est-ce satisfaisant?
Ces trois points avaient déjà été abondamment discutés au Conseil de sécurité de l’ONU. Disons que le sommet n’a pas réinventé la roue. Mais ces points s’imposaient, car ils ont une valeur universelle. Ce qu’on remarque tout de même est l’absence de mention du droit humanitaire dans la déclaration finale. J’aurais imaginé d’une conférence parrainée par la Suisse qu’elle mette en valeur et en relief l’aspect humanitaire. Vous noterez d’ailleurs que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) était absent même si, paraît-il, il avait demandé à ne pas être invité pour ne pas perturber ses efforts en Russie.
Peut-on dire que ce sommet a permis un premier pas vers la paix?
Un tout petit pas. La position de l’Ukraine, tournée vers la paix, a été consolidée. Avec l’idée de présenter ces conclusions à la Russie… qui n’en a rien à faire. Elle est prête à parler de capitulation, mais pas de paix. En ce sens, la solidarité de la Suisse envers l’Ukraine avait donc toute sa valeur.