Sepp Bircher, 80 ans, est éleveur de bétail à Oberbürgen (LU). Il a un avis bien tranché sur la rencontre qui se déroulera ce week-end devant sa porte, en haut du Bürgenstock: «Ce qui me réjouit le plus? Que tout ça soit bientôt terminé», confie-t-il à Blick.
Le Conseil fédéral a d'autres attentes en ce qui concerne ce soi-disant «sommet de la paix» dans la station de luxe: la présidente de la Confédération Viola Amherd et ses collègues espèrent que leur sommet laisse une empreinte forte et qu'il permette même, dans le meilleur des cas, de mettre rapidement fin à la guerre.
Mais la Suisse est peut-être sur le point de perdre sa réputation de puissance diplomatique avec ce sommet. Elle n'a qu'une seule petite chance que le tête-à-tête géopolitique de ce week-end au Bürgenstock ne se transforme pas en échec le plus total.
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Quid du plan de Poutine en dix points?
Dès le début, la rencontre est placée sous de mauvais auspices: le président américain Joe Biden, que l'on aurait voulu accueillir en tant qu'invité de haut rang, préfère faire la quête en Californie plutôt que de s'occuper de la paix dans le monde, à Nidwald. Des voix importantes comme celles de la Turquie, du Brésil, de la Chine, de l'Afrique du Sud ou de l'Arabie saoudite sont absentes de la table ronde qui se tient au-dessus du lac des Quatre-Cantons. La Russie n'a même pas été invitée – à juste titre – car l'Ukraine exclut catégoriquement toute discussion avec Vladimir Poutine avant que son plan en dix points soit réalisé.
C'est précisément de ces dix demandes qu'il aurait dû être question lors du sommet de paix. Les deux plus importantes – le retrait de toutes les forces armées russes de l'ensemble du territoire ukrainien et la mise en place d'un tribunal spécial pour Vladimir Poutine et tous les autres criminels de guerre russes – ne figurent toutefois pas au menu du Bürgenstock.
La Suisse est à l'écart
Le groupe de personnes partageant les mêmes idées ne discuteront que de la sécurité nucléaire, de la sécurité alimentaire ainsi que du retour des prisonniers de guerre ukrainiens et des enfants enlevés en Russie. Ce sont sans aucun doute des sujets extrêmement importants. Mais le communiqué attendu au mieux à la fin du sommet ne changera absolument rien à la réalité tragique de la guerre en Ukraine.
Cette dernière a toujours besoin d'armes, de munitions et d'un soutien financier pour éviter l'effondrement économique. C'est ce qu'a montré la joie de Volodymyr Zelensky à propos du nouvel accord de sécurité avec l'Amérique que Joe Biden et lui ont signé en milieu de semaine lors du sommet du G7 en Italie, et qui doit garantir la coopération militaire entre Kiev et Washington pour une durée provisoire de dix ans.
Et cela s'est également manifesté en début de semaine lors de la Conférence sur la reconstruction à Berlin. La Banque mondiale estime que la reconstruction du pays coûtera au moins 486 milliards de dollars. L'Ukraine devrait recevoir un gros coup de pouce des puissances du G7. Ils veulent faire parvenir à l'Ukraine les bénéfices des avoirs russes gelés (estimés à 50 milliards de dollars) sous forme de prêt. La Suisse n'est pas décidée à s'aligner à cette décision.
Le temps d'un nouveau serment du Grütli
Avec le sommet de la paix, la Confédération, de plus en plus à l'écart en ce qui concerne l'Ukraine, tente une dernière fois de se mettre en avant. Près de 4000 soldats ont été mobilisés pour protéger les illustres invités, et pourtant pas un seul casque ni une seule cartouche n'ont été livrés à l'Ukraine. On continue de se draper dans le manteau blanc de la neutralité et d'ignorer, avec succès, l'appel du monde libre à repenser fondamentalement notre politique étrangère face à la tyrannie russe.
Ce serait toutefois le moment idéal pour se rappeler l'action des ancêtres helvétiques. Non loin du Bürgenstock, sur une prairie escarpée au bord du lac d'Uri, les Confédérés se sont déjà réunis une fois pour une conférence de paix et se sont juré en «considérant la malice des temps... secours, appui et assistance, de tout leur pouvoir et de tous leurs efforts, sans ménager ni leurs vies ni leurs biens contre celui et contre tous ceux qui, par n’importe quel acte hostile, attenteraient à leurs personnes ou à leurs biens» – et ce explicitement «dans leurs vallées et au dehors» (tiré du «Pacte fédéral»).
C'était en 1291. En 2024, la «malice des temps» n'a pas diminué. Un nouveau serment du Grütli serait nécessaire. La sécurité de nos vallées est gravement menacée par le régime russe, avec ses massacres de sang-froid à l'Est et ses menaces incessantes d'extermination à l'Ouest. Les combattants ukrainiens qui font le sale boulot pour nous méritent plus d'honneur qu'un communiqué boiteux lu dans la salle de presse poussiéreuse d'un complexe hôtelier de luxe.
Abandon d'une neutralité rigide
La Suisse devrait oser la rupture et annoncer devant une foule d'invités internationaux réunis au Bürgenstock qu'elle renonce à sa neutralité rigide. Des livraisons d'armes indirectes et une augmentation de l'aide économique (par exemple par l'utilisation des avoirs russes gelés dans le pays) seraient un bon début. Si la Suisse ose franchir le pas et actionne l'interrupteur à Nidwald, le sommet du Bürgenstock restera peut-être à jamais dans les mémoires comme un tournant dans la guerre en Ukraine. Si l'on s'en tient au communiqué sur les trois points du plan de paix, l'espoir du paysan Sepp Bircher deviendra rapidement réalité et «tout sera bientôt terminé». Sauf la guerre.