Bruxelles dit non à Berne
Les Européens veulent-ils encore comprendre la Suisse?

A la suite des révélations de Blick sur le refus de la Commission européenne d'accorder à la Suisse une clause de sauvegarde en matière de libre-circulation, la question se pose: nos partenaires ont-ils encore envie de nous comprendre?
Publié: 05.10.2024 à 08:00 heures
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Dernière mise à jour: 05.10.2024 à 09:27 heures
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La rencontre entre Ursula von der Leyen et Viola Amherd à Genève mardi 1er octobre a-t-elle été fructueuse ? Pas sûr du tout.
Photo: Keystone
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Richard WerlyJournaliste Blick

Fini. Terminé. Au moins sur le papier. Révélé par Blick le 3 octobre, et confirmé depuis à Bruxelles, le compte rendu fait par la Commission européenne aux 27 États membres de l’Union — avant la visite de Ursula von der Leyen à Genève le 1er octobre — révèle ce que la diplomatie suisse redoutait, mais qu’une bonne partie du personnel politique helvétique refuse de voir et d’accepter: nos interlocuteurs ont aussi leur «ligne rouge».

Celle-ci, en l’état, concerne la libre circulation des travailleurs, pilier du grand marché unique européen. Si la Suisse persiste à exiger une clause de sauvegarde unilatérale en la matière, pour protéger son marché du travail en cas d’afflux massif hypothétique de la main-d’œuvre européenne, les négociations bilatérales en cours seront suspendues. Il s’agit «d’un pas de trop» pour la Commission, qui en a donc informé les États membres.

Attention toutefois à ne pas tomber dans l’alarmisme. Dès que Blick a été en possession du document de la Commission, nous l’avons immédiatement soumis à plusieurs familiers du dossier, coté Union européenne (UE). Leur réponse a été unanime: l’Union ne fermera jamais la porte à la Confédération, alors que celle-ci avait choisi de le faire le 26 mai 2021, en rejetant de façon unilatérale le défunt projet d’accord institutionnel alors bouclé.

Aucun chantage

«Les Suisses doivent être informés que nous ne faisons aucun chantage», explique un ancien eurodéputé, fin connaisseur des arcanes helvétiques. «Nous défendons juste l’un de nos biens communautaires les plus précieux. Notre marché de 500 millions de consommateurs n’est pas une auberge où la Suisse peut décider de coucher une journée, quand ça l’arrange, puis d'en repartir avant d'y revenir».

La notion de chantage est importante. Il est facile, vu de Suisse, de penser que nos voisins font monter les enchères. La réalité est que chacune des parties a des impératifs avant de poser sa signature au bas du nouveau paquet d’accords bilatéraux qu’il est pour le moment encore possible de boucler d’ici fin 2024.

Blick avait dûment informé le Département fédéral des Affaires étrangères, avant publication, de la nature du document de la Commission européenne. La réponse, formulée jeudi 3 octobre par son porte-parole Nicolas Bideau a été la même lors de plusieurs entretiens: la négociation est «dans les derniers mètres. On ne peut pas présager du résultat».

Face à un mur

La difficulté est que les diplomates suisses savent qu’ils font aujourd'hui face à un mur. Leurs interlocuteurs européens affirment, noir sur blanc, qu'ils ne cèderont pas à l’exigence d’une clause unilatérale de sauvegarde, même limitée dans le temps. L’UE exige aussi que la Suisse accepte de contribuer de manière récurrente au financement de sa politique de cohésion, c’est-à-dire à l’intégration économique des nouveaux États Membres.

La Commission va-t-elle tenir cette ligne dure ? La version officielle d'une réunion «constructive» entre Ursula von der Leyen et Viola Amherd, le 1er octobre en marge du 70e anniversaire du CERN, montre que le fossé est réel. D'autant que le seul levier helvétique, à savoir la participation suisse au programme Horizon pour la recherche, n’est plus vraiment en mesure d’influer sur la décision. Les premiers appels d’offres ont déjà été lancés. Les universités helvétiques sont demandeuses. La capacité de financement suisse en la matière ne peut plus faire pencher la balance en faveur de la Confédération.

Reste donc l’argument politique brandi par les négociateurs helvétiques: l’obligation, pour la Suisse, de conclure un paquet d’accords bilatéraux «vendable» au peuple, puisqu’il y aura référendum. Selon nos informations, c’est derrière cet argument référendaire que se retranchent les diplomates suisses emmenés par le négociateur en chef Patrick Franzen. Impossible, selon eux, qu’une majorité des électeurs suisses disent oui à ces «bilatérales III» s’ils ne ramènent pas de Bruxelles une dérogation, bref, une exception. 

Vague nationale populiste

Or cet argument ne pèse plus rien. Non pas parce que les diplomates suisses mentent ou déforment la réalité. Mais parce que les Européens, eux-mêmes confrontés à des problèmes démocratiques et à la montée nationale populiste, ne veulent plus faire de concessions.

Ils savent que la Suisse, obligée d’adopter les sanctions communautaires contre la Russie, n’a plus les marges de manœuvre commerciales et diplomatiques qu’elle avait jadis. Ils savent aussi que toute exception concédée à la Suisse en matière de libre circulation des travailleurs sera aussitôt exploitée par les partis de droite et de gauche radicales qui prospèrent dans les États membres. Pas question d’ouvrir à un pays tiers une brèche qui deviendra une faille.

Les révélations de Blick prouvent simplement que les Européens ne veulent plus comprendre la Suisse. Bruxelles souhaite fortifier son grand marché avec un partenaire dynamique tel que la Confédération, qui demeure l’un de ses principaux partenaires commerciaux. Les pays voisins de la Suisse veulent une stabilité juridique pour leurs échanges et leurs frontaliers. Tout cela est désormais OK.

L’idée que la Suisse, en revanche, revienne toujours à la charge pour exiger une exception ne passe plus à Bruxelles et dans les capitales, surtout dans les grands pays membres comme la France, l’Allemagne ou l’Italie. L’intérêt supérieur helvétique redevient donc une question… nationale.

Nous c’est nous, vous c’est vous

C’est aux diplomates, négociateurs, d'avoir le courage de dire la vérité au Conseil fédéral, aux chambres et aux politiciens. Et c’est à ces derniers de décider, ou non, de s’impliquer dans une campagne pour défendre ou saborder, s'il voit le jour, le futur paquet d’accords bilatéraux devant le peuple souverain.

«Que feraient les pays européens s’ils avaient comme nous la démocratie directe et des référendums? La liberté de circulation ne passerait jamais la rampe de leur opinion», s’énervait récemment devant nous un familier de ce dossier Suisse-UE.

La question mérite d’être en effet posée. Elle est légitime. Mais les Européens viennent de répondre: «Nous c’est nous, vous c’est vous».

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