Faire un saut à Londres pour l’Ascension, passer le week-end de Pentecôte à Majorque… Les vols court-courriers sont en plein boom. L'aéroculpabilité – où «Flygskam», selon le terme suédois popularisé par la bien connue activiste Greta Thunberg – est-elle bel et bien enterrée? Encore élu en 2019 comme l’un des mots suisses de l’année, ce terme a depuis été rangé au placard.
En témoigne la nouvelle commande de la compagnie aérienne irlandaise low cost Ryanair, qui vient de commander 300 nouveaux avions au constructeur américain Boeing. Ceux-ci devraient prendre les airs d’ici à 2033. Ryanair s’attend à une période dorée pour le secteur de l’aviation, s'enthousiasme-t-elle.
Voler malgré les remords
Pourtant, il y a quelques années encore, on annonçait la mort des compagnies aériennes face au réchauffement climatique et à la pandémie. Est-ce contradictoire? «Nous ressentons encore l’effet de rattrapage post-Covid-19», explique Florian Eggli, professeur de tourisme à la Haute école de Lucerne (HSLU). Et le boom des voyages ne se manifeste pas seulement dans les aéroports, où les files d’attente s’allongent à nouveau. On le remarque aussi dans les gares, souligne l'expert. «Les trains de nuit et autres voyages en train sont actuellement très chargés», révèle Florian Eggli.
La honte de l’avion serait donc encore dans le vent, selon lui. «On continue à s’offrir des voyages en avion – mais avec mauvaise conscience», appuie le professeur. L’expert en tourisme observe ainsi que de nombreuses personnes partent plus longtemps, et moins souvent, assure-t-il. Il avance qu’on prendrait plutôt l’avion pour des occasions particulières, comme les voyages de noces.
Les voyages en train ne peuvent pas rivaliser en termes de prix
Les courts séjours à l’Ascension et à la Pentecôte sont-ils encore socialement acceptés? Cela dépendrait avant tout de l’environnement social. Les encarts publiés un peu partout sur les prix cassés de l’Ascension et de la Pentecôte mettent par exemple Lina Vogt très en colère. Cette militante s’engage corps et âme dans la grève pour le climat. «Je ne comprends pas comment on peut partir en Turquie pour un week-end», tonne la jeune femme de 20 ans.
Son but n’est pourtant pas de pointer du doigt ceux qui partent en voyage sur le long terme. «Les principaux responsables de la crise climatique ne sont bien sûr pas les individus qui prennent l’avion une fois par an pour partir en vacances, souligne-t-elle. Ce sont les grandes entreprises et la Confédération.» Pourquoi? Parce qu’ils pourraient par exemple subventionner les trajets en train pour pouvoir rivaliser en termes de prix avec les voyages en avion, assène-t-elle.
«Le besoin de voyager ne va pas partir en fumée»
Florian Eggli appuie son propos. Les agences de voyage seraient bien avisées de développer dès maintenant des offres plus durables, ajoute l’expert en tourisme. «Le besoin de voyager ne va pas partir en fumée, argumente-t-il. Mais le besoin de découvrir de nouveaux horizons de manière durable pourrait, lui, augmenter.»
Au lieu de se contenter d’acheter de nouveaux avions, les compagnies aériennes devraient investir dans des technologies respectueuses du climat comme des carburants plus durables, recommande-t-il. Et proposer dès aujourd’hui aux voyageurs des alternatives plus écologiques. Comment? Par exemple, au moyen de paiements compensatoires et de certificats environnementaux, en attendant que ceux-ci soient commercialisables, propose-t-il.
Il refuse de penser que l’écologie est une mode. «Le débat sur la durabilité n’est pas un feu de paille!, s’indigne le professeur. Il nous occupera encore pendant des décennies.» Et tant pis pour les compagnies aériennes, les agences ou les hôtels qui refusent de l’entendre, conclut l’expert. Ils finiront forcément par rester à quai.