C'est un lundi ordinaire à la caserne de Frauenfeld, dans le canton de Thurgovie. Comme chaque matin, la recrue E., âgée de 20 ans, manipule son fusil d'assaut. Mais cette fois, au moment du traditionnel contrôle de sécurité habituel, E. tire la culasse trop loin vers l'arrière, armant accidentellement le percuteur. Pour tenter de résoudre le «problème», il pointe son arme vers un mur et presse la détente. À seulement 5h45, le coup part. La veille, le jeune homme avait consommé du cannabis et de la cocaïne.
Le même soir, une autre détonation retentit plus loin, du côté de Schwytz. Cette fois, c'est le soldat I., 24 ans, qui pointe son arme vers une porte, avant d'appuyer sur la détente, sans doute pour plaisanter. Le tir traverse une porte, et les deux soldats qui se trouvent à côté de I. se plaignent d'un léger acouphène, qui a toutefois rapidement disparu. Quant à l’origine de la balle restante dans l’arme, aucune explication claire n’a pu être donnée.
Il y a enfin le cas du soldat S., 23 ans, qui a dû avoir la peur de sa vie. Et pour cause. Alors qu'il souhaitait glisser son fusil d'assaut de son ventre à son dos. L'arme s'est accrochée et un coup est parti. Le soldat avait auparavant commis une erreur en chargeant son arme, le levier de sécurité n'étant pas enclenché. «Ce n'est que par hasard qu'aucune personne n'a été blessée», écrira par la suite le juge militaire dans sa décision.
Les chiffres sont rares
Dans les cas mentionnés, les sanctions infligées ont été relativement légères, malgré le fait que des vies aient été mises en danger. Les trois militaires impliqués ont écopé de 10 jours-amende à 100 francs et de 26 jours-amende à 80 francs pour non-respect des prescriptions de service, toutes assorties du sursis. Dans l’un des cas, une peine supplémentaire de dix jours d’arrêts a été imposée, tandis que dans un autre, une amende de 400 francs a été ajoutée.
Mais combien de coups de feu incontrôlés retentissent dans les casernes suisses? Quel est le véritable danger des soldats qui ne maîtrisent pas leurs armes ? Aucune statistique officielle n’existe sur ce sujet, car les délits ne sont pas systématiquement répertoriés individuellement. Les ordonnances pénales de la justice militaire suisse fournissent néanmoins un aperçu.
Blick a passé en revue toutes les décisions rendues sur une période d’un mois. Sur les 23 ordonnances pénales examinées, trois concernaient des tirs involontaires. La majorité des condamnations étaient toutefois liées à des accidents ou des délits routiers.
Les données de l’assurance-accidents Suva permettent également de mieux cerner le phénomène. En 2022, deux militaires ont été blessés par balle en service. En 2023, ce chiffre a grimpé à six. Sur les 140 accidents survenus cette année-là, 80 ont impliqué des lésions dentaires, principalement causées par des chocs avec les fusils lors de l’entrée ou de la sortie d’un véhicule. Les lésions auditives arrivent en deuxième position, avec 41 cas signalés en 2023.
L'armée mise sur la formation
Interrogée à ce sujet, l'armée précise que «la formation et la sensibilisation à une utilisation sûre sont de la plus haute importance». Mais il n'y a pas que des formations: il y a aussi des règlements. Les détenteurs d'armes ont par exemple l'obligation de toujours considérer toutes les armes comme chargées ou de «ne jamais pointer une arme sur quelque chose que l'on ne veut pas toucher». Le contrôle de l'arme est également obligatoire.
«Lors de l'instruction de base, on s'entraîne plusieurs fois par semaine aux manipulations de l'arme», assure Mathias Volken, porte-parole de l'Armée suisse. Cette dernière a par ailleurs lancé une campagne d'affichage sur le sujet.
Mais ce n'est pas toujours le maniement de l'arme à proprement parler qui pousse les juges à agir. Dans certains cas en effet, les incidents sont liés à un stockage non conforme des fusils d'assaut. On parle ici d'armes chargées ou accessibles à d'autres personnes. Un employé des CFF a ainsi signalé un fusil d'assaut oublié sur un quai de gare, donnant lieu à une amende de 400 francs pour le soldat qui s'était montré négligent.
La meilleure idée n'était pas assez bonne
Mais les techniques de rangement prétendument bonnes et sûres ne remplissent pas toujours leur objectif. Un médecin genevois a par exemple rangé son arme dans l'emballage d'un kit publicitaire pour futures mères, qu'il a laissé dans son cabinet médical.
Mais lorsqu'une employée du cabinet a fait le ménage, notamment pour jeter les médicaments périmés, le kit publicitaire avec l'arme à l'intérieur a disparu pour toujours. Le médecin, qui était également le lieutenant-colonel, a dû répondre de la disparition de son arme devant la justice militaire. Chaque arme disparue est une arme de trop, martèle l'armée. Raison pour laquelle les soldats sont également sensibilisés au rangement des fusils et des pistolets.