Bertrand Piccard nous parle d'hydrogène et d'électricité
«Le gaspillage énergétique dans le monde coûte 4600 milliards par an»

Près de 203'000 automobiles purement électriques étaient immatriculées en 2024, soit 4,2% des voitures de tourisme. Mais le rythme des ventes régresse. Bertrand Piccard, utilisateur convaincu de la voiture électrique, propose des pistes pour relancer l’engouement.
Publié: 01.02.2025 à 14:11 heures
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Dernière mise à jour: 04.02.2025 à 15:15 heures
Bertrand Piccard est ambassadeur des voitures électriques et à hydrogène de la marque coréenne Hyundai.
Photo: Hyundai
Sandrine Spycher
Sandrine SpycherJournaliste L'illustré

Avec sa Fondation Solar Impulse, Bertrand Piccard s’efforce depuis presque dix ans de promouvoir des technologies plus écologiques. Sur le plan de la mobilité individuelle, l’explorateur est un partisan et un usager convaincu des automobiles 100% électriques. «L'illustré» l'a interviewé sur la situation de la mobilité électrique en Suisse. 

Après quelques années d’engouement, notamment en Suisse, pour la voiture électrique, les ventes stagnent, voire diminuent. Comment expliquez-vous cette tendance?
Les gens oublient souvent que la voiture électrique ne répond pas seulement à la question du CO2, mais aussi à celle de la pollution de l’air, et qu’elle est plus agréable à conduire en termes de silence, d’accélération et de tenue de route! Il y a aussi le fait que, aujourd’hui, les Chinois ont pris beaucoup d’avance sur l’Europe. L’industrie européenne n’arrive pas à compenser ce retard, ni la différence de prix avec les voitures chinoises. Beaucoup de gens hésitent, car ils ne veulent pas favoriser l’industrie chinoise. Or, même dans les véhicules européens, ce sont des batteries chinoises. En plus, les voitures européennes sont moins bonnes que les américaines et les asiatiques. Donc s’ils préfèrent rester dans le marché européen, ils devront acheter un véhicule thermique.

Et la voiture électrique subit également des critiques plus virulentes que jamais...
Oui, il y a aussi une campagne de communication extrêmement négative contre les voitures électriques orchestrée par l’industrie des moteurs thermiques. Les consommateurs se laissent prendre par cette communication de l’industrie automobile, qui est aux abois parce que sa plus-value était le moteur thermique avec la boîte à vitesses. Or, si on achète une voiture électrique, il n’y a plus toute cette mécanique. 

Le manque de bornes de recharge et les difficultés pour en installer découragent aussi les consommateurs. Que pourrait-on faire pour améliorer cela?
L’indisponibilité des bornes de charge représente en effet un grand désavantage. A l’échelle du public, il n’y a pas assez de chargeurs. Je pense qu’il faut intégrer la voiture électrique dans l’écosystème général, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Vous achetez une voiture électrique avec une batterie, vous l’utilisez 5% du temps et le reste du temps elle est parquée. Pour qu’elle soit vraiment utile dans un écosystème général, elle devrait être connectée quand elle est parquée, de manière à pouvoir se charger avec tout l’excédent de solaire ou d’éolien. En revanche, quand tout le monde rentre chez soi en fin de journée, il y a habituellement un pic de consommation: on allume la télévision, les lumières, le chauffage, le four, les plaques de cuisson, etc. Ce qui serait intéressant à ce moment-là, ce serait de décharger les voitures électriques sur le réseau.

Et que manque-t-il aujourd’hui pour exploiter ce potentiel régulateur des véhicules électriques?
Il faudrait disposer de bornes de recharge bidirectionnelles un peu partout. C’est une infrastructure à mettre en place. Mais ce système, qui s’appelle car-to-grid, de la voiture au réseau, n’est pas permis en Suisse. L’Etat devrait pourtant développer une telle infrastructure permettant de stocker l’énergie quand il y en a assez et de la réinjecter dans le réseau quand il y a une grosse demande. La voiture électrique passerait alors 5% de son temps à rouler, puis 95% de son temps à servir à «tamponner» le réseau.

Le prix moyen élevé des voitures électriques n’aide pas non plus à stimuler les ventes, n’est-ce pas?
Ces véhicules ont en effet été positionnés à des niveaux plus luxueux que les petites voitures diesel ou à essence. Le prix de la plus petite Tesla est le même que celui d’une BMW Série 3. Et on ne trouve guère de modèles électriques au niveau de la VW Polo, par exemple. Face à cette cherté, il faut développer un système de finance dans lequel les gens achetant une voiture électrique paieraient le kilomètre parcouru plutôt que la propriété du véhicule. Ou alors vous achetez la voiture, et ensuite vous louez la batterie en fonction des kilomètres. Tout comme on pratique le leasing pour les moteurs thermiques, on proposerait un système de location de batterie au kilomètre pour les électriques.

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Le gaspillage énergétique dans le monde coûte 4600 milliards de dollars par an
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Quel avantage technique prépondérant attribuez-vous au moteur électrique par rapport au moteur thermique?
Son bien meilleur rendement. Quand on parle du rendement d’un moteur thermique, on compare la quantité d’énergie qu’on met dans le réservoir à celle qui est effectivement transformée en propulsion de la voiture. Quand le moteur est chaud, à régime constant, on est à peu près à 27% de rendement. Mais quand on va au boulot et qu’on ne roule que 5 km, on n’arrive jamais avec le moteur chaud à régime constant et le rendement est de l’ordre de 15 à 20%. Ce qui signifie que 80% de l’énergie est gaspillée. Pour un plein d’essence à 100 francs, vous perdez donc 80 francs à cause du mauvais rendement thermodynamique du moteur. Sur un moteur électrique, le rendement s’élève en revanche à 97%!

Il y a deux mois, vous avez participé à la COP29 à Bakou, une conférence climatique de nouveau très peu enthousiasmante pour les observateurs avertis. Qu’en avez-vous vous-même pensé?
Les débats ont piétiné parce que les choses sont mal définies. Parler de décarbonation fait craindre à tous les pays qu’il s’agit d’abord d’un sacrifice, que c’est cher, que c’est un obstacle à leur économie. Il faudrait plutôt parler de modernisation des infrastructures et des sources d’énergie, car ce sont les infrastructures obsolètes qui polluent et qui gaspillent de l’énergie, des ressources et de l’argent.

Quand on sait que le gaspillage énergétique dans le monde coûte 4600 milliards de dollars par an, il n’y a pas besoin d’être génial pour comprendre qu’économiser de l’énergie, c’est économiser de l’argent, et pas seulement du CO2. Dans cet esprit, l’initiative que nous avons lancée avec la Banque européenne d’investissement et la Commission européenne vise à développer un système financier offrant aux petites et moyennes entreprises un accès à des technologies propres, sans avoir besoin d’investir. Il s’agirait par exemple de mettre à disposition des camions électriques pour des entreprises qui ne paieraient, comme je l’évoquais avant, que les kilomètres.

Et la mobilité à l’hydrogène, qu’en pensez-vous, vous qui avez lancé, il y a un an, le projet d’avion à hydrogène Climate Impulse?
Je pense que la batterie électrique va se généraliser sur les véhicules légers et que, pour les véhicules lourds, l’hydrogène sera probablement une bonne solution. S’il faut transporter 3 tonnes de batteries dans un camion, ce n’est pas efficace, alors que l’hydrogène est beaucoup plus léger. Je dirais que, jusqu’à un certain poids, la batterie est plus efficiente et, à partir d’un certain poids, l’hydrogène devient plus pratique.

Un article de L'illustré

Cet article a été publié initialement dans le n°05 de L'illustré, paru en kiosque le 30 janvier 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°05 de L'illustré, paru en kiosque le 30 janvier 2025.

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