Au milieu de la conversation, Martin Meili, 69 ans, jure à haute voix: «Jésus-Christ! Il y a assez d’argent, tout le monde sait ce qui doit être fait. C’est un état d’urgence, et nous devons agir maintenant», s’emporte ce médecin de famille à la retraite. Pour une fois, il ne s’agit pas du coronavirus, mais du climat. La question nous occupera pendant des décennies après la fin de la pandémie, les frères Meili en sont convaincus.
Daniel Meili, 65 ans, tente d’expliquer pourquoi nous sommes parvenus à bouleverser nos comportements lors de l’arrivée du Covid-19, alors que dans le cas de l’urgence climatique, nous sommes incapables d’agir. «Les humains ne sont pas faits pour penser et agir à long terme, explique le psychiatre. La plupart des gens n’ont pas l’imagination nécessaire pour le faire, ils n’agissent que lorsque les choses se compliquent. Dans le cas du changement climatique, cela pourrait être bien trop tard.»
Déclencher un mouvement
C’est pourquoi les frères veulent faire prendre conscience qu’il est urgent d’agir pour le climat. Pour y parvenir, ils ont créé la Fondation Clima Now ce printemps. L’urgence du problème se reflète dans le nom qu’ils ont choisi. L’action «Spotlight» sert à attirer davantage l’attention du public. Une trentaine d'initiatives en faveur du climat ont été proposées. Les gagnants recevront 100’000 francs suisses pour concrétiser leur idée.
«Nous voulons déclencher un mouvement», déclare Daniel Meili. Une personne seule n’a pas suffisamment de poids, il faut que les gens s’unissent. L’objectif: lutter contre le changement climatique et inciter les héritiers à faire quelque chose de significatif avec leur argent.
Un héritage qui tombe à pic
La Fondation Clima Now dispose actuellement d’une fortune de dix millions de francs. Les avoirs devraient croître rapidement: «Nous n’avons pas encore besoin de 100 millions de francs – mais dans un an, ce serait bien», précise Daniel Meili. Il calcule d’où pourrait provenir l’argent: «Chaque année, environ 95 milliards de francs sont hérités en Suisse. Si seulement un pour mille de ce montant était versé à la fondation, cela représenterait 95 millions par année!»
L’héritage que les frères Meili ont mis dans la fondation provient de leur père. Il avait fondé Cerberus, la société qui a mis sur le marché la première alarme incendie automatique. Ses fils ont su comment investir la fortune de leur paternel.
Dès les années 1970, l’aîné des frères Meili a été sensibilisé à la cause climatique lors d’un échange aux États-Unis. «J’ai participé à la toute première Journée de la Terre, et c’est comme ça que j’ai entendu parler du changement climatique», raconte Martin Meili.
D’abord dispersé, puis focalisé
Avant la création de la fondation, l’argent du père a d’abord été investi dans divers projets socioculturels comme des cinémas, des maisons d’édition, un hôtel et déjà des projets environnementaux.
«Nous avons gagné suffisamment d’argent pour vivre de nos propres professions. Nous voulions faire quelque chose de significatif avec notre héritage», soutient Daniel Meili. Ainsi les millions n’ont pas été gaspillés dans des chalets, des voitures de luxe ou des yachts, rigolent les frères.
Il a fallu 20 ans pour que la paire réalise que se concentrer sur une seule cause pouvait faire la différence: «Avec la fondation, nous disposons d’un levier beaucoup plus important pour faire la différence dans la lutte contre le changement climatique», explique Daniel. Toutefois, les fondateurs ne se font aucune illusion: «Nous ne pouvons pas sauver le monde, nous ne sommes qu’un petit rouage dans une grande lutte.»
Investir dans l’avenir
Martin Meili est devenu grand-père cette année: «Je veux pouvoir regarder mon petit-fils dans les yeux sans rougir.» C’est pour cela que la fondation soutient divers projets climatiques déjà existants, comme Climeworks, qui s’efforce de filtrer le CO2 dans l’air.
De nombreux espoirs reposent sur de nouveaux projets. Il y a par exemple ce système de chauffage intelligent qui reconnaît les pièces vides et réduit la température en conséquence. La ferme d’algues Ocean Rainforest près des îles Féroé, le projet «Slow Grow» visant à promouvoir l’agriculture régénérative ou encore une poudre de lait à base de plantes qui permet d’économiser l’énergie et les coûts de transport. Ces projets ont tous en commun l’objectif de réduire les émissions de CO2. Il s’agit même du critère de décision pour recevoir le soutien de la fondation.
Si les projets sont un jour rentables, l’argent sera reversé à la fondation. «Nous finançons et nous soutenons des solutions qui réduisent ou absorbent le CO2 ou des initiatives qui contribuent à changer les consciences», résume Martin Meili. Un objectif vraiment ambitieux pour un problème plus qu’urgent.