Depuis deux ans, Andreas Zünd est juge à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Il doit donc impérativement porter la toge, mais il ne l’apprécie guère. Il attache laborieusement les différents boutons et fermetures éclair de l’habit, puis tourne l’écharpe sur son épaule gauche. «La robe crée une distance. Ce n’est pas nécessaire dans un tribunal. Tout le monde devrait être sur un pied d’égalité», explique-t-il.
La CEDH à Strasbourg a déjà condamné la Suisse à plusieurs reprises. Dernièrement, lorsque des réfugiés bénéficiant de l’aide sociale n’ont pas pu faire venir leur famille en Suisse. Ou parce que l’athlète hyperandrogène Caster Semenya n’a pas trouvé de tribunal qui examine effectivement sa discrimination.
Il existe en plus la plainte des aînées pour le climat qui veulent que la Suisse fasse plus pour la protection de la planète. Un jugement devrait être rendu vers la fin de l’année. Andreas Zünd y aura son mot à dire, mais il ne peut pour l'instant pas donner d'informations sur ce sujet.
Que ressentez-vous lorsque vous condamnez la Suisse?
Andreas Zünd: Je ne me sens pas mal. C’est peut-être une condamnation, mais chaque jugement est un gain pour la Suisse, car il fait avancer le droit.
Quel est l'impact pour la Suisse si elle se fait condamner?
Je me souviens d’un cas où il s’agissait du droit de garde de parents séparés. Trois tribunaux suisses n’ont pas jugé nécessaire d’entendre le témoignage du père en personne. Ce n’est pas une situation normale. Un jugement de la CEDH n'a que peu d'impact sur la Suisse, mais les gens ont besoin d'avoir le sentiment que les juges les prennent au sérieux.
Les cas impliquant la Suisse sont-ils particuliers pour vous?
(Hésite longtemps) Bien sûr, je suis proche de mon pays. Mais cela n’influence pas ma décision. Avec chaque jugement, je veux améliorer l'application des droits de l’homme.
Lorsque vous étiez au Tribunal fédéral, vous avez annulé l’expulsion d’un criminel macédonien, ignorant ainsi l’initiative sur le renvoi.
Ce n’était pas une décision politique. Nous avons simplement retenu que la Suisse a signé la Convention des droits de l’homme – et que celle-ci s’applique donc aussi aux tribunaux suisses. Cela signifie que les tribunaux doivent procéder à une évaluation au cas par cas.
Comment votre appartenance à un parti influence-t-elle vos décisions?
Je partage les valeurs du PS. Cependant, dans la salle d’audience, le parti n’est pas un sujet, je n’ai aucune obligation envers lui. En Suisse, il faut presque être membre d’un parti pour obtenir un poste de juge. A Strasbourg, cela fait de vous une exception.
Vous vous exprimez néanmoins sur le plan politique – et avez critiqué le mécanisme de règlement des différends dans l’accord-cadre Suisse-UE prévu.
J’ai longuement réfléchi avant de m’exprimer sur ce sujet. Je suis juge, la question concerne spécifiquement la justice. Je n’ai pas dit que j’étais pour ou contre un accord-cadre, mais j’ai seulement critiqué le mécanisme qui place les juges suisses dans une situation moins favorable.
Andreas Zünd a fait de la politique à la table des habitués du restaurant Engel à Niederwil (AG). «Souvent, j’étais seul dans ma position politique, se souvient-il. C’était une bonne école.»
Le juge habite à Strasbourg, il n’est en Suisse plus que pour des conférences. Mais il n’est pas un «juge étranger» pour autant. «Je suis un citoyen suisse. Et je ne suis pas isolé, au contraire, je reçois beaucoup de visites de mon pays.» Pour prouver, il montre un jeu de cartes qu’un groupe de visiteurs du canton d’Uri lui a offert.
Pour Andreas Zünd, le droit est plus qu’un simple travail. On le sent lorsqu’il disserte sur des cas passés en se tenant courbé, sautant de thématiques comme la liberté d’expression en Bulgarie à la vidéosurveillance en Russie. Il est important pour lui que les tribunaux soient accessibles à tous. Mais le chemin vers la justice est semé d’embûches.
Andreas Zünd a fait de la politique à la table des habitués du restaurant Engel à Niederwil (AG). «Souvent, j’étais seul dans ma position politique, se souvient-il. C’était une bonne école.»
Le juge habite à Strasbourg, il n’est en Suisse plus que pour des conférences. Mais il n’est pas un «juge étranger» pour autant. «Je suis un citoyen suisse. Et je ne suis pas isolé, au contraire, je reçois beaucoup de visites de mon pays.» Pour prouver, il montre un jeu de cartes qu’un groupe de visiteurs du canton d’Uri lui a offert.
Pour Andreas Zünd, le droit est plus qu’un simple travail. On le sent lorsqu’il disserte sur des cas passés en se tenant courbé, sautant de thématiques comme la liberté d’expression en Bulgarie à la vidéosurveillance en Russie. Il est important pour lui que les tribunaux soient accessibles à tous. Mais le chemin vers la justice est semé d’embûches.
En Suisse, de nombreuses personnes ne peuvent pas se permettre d’aller devant un tribunal.
Les frais de justice et les honoraires d’avocat sont un obstacle majeur. En Suisse, il y a l’assistance judiciaire gratuite, ce qui atténue un peu les choses. Mais pour les gens de la classe moyenne, c’est effectivement extrêmement coûteux.
Dernièrement, votre tribunal a pourtant protégé la Suisse sur une affaire de ce type.
Dans cette affaire, il s’agissait d’un voleur. Tous les tribunaux suisses lui ont refusé l’assistance judiciaire gratuite. A Strasbourg, les juges n’étaient pas d’accord. Ils ont néanmoins rejeté les recours, car l’avocat n’a pas laissé tomber l’accusé et a continué à travailler pour lui. Personnellement, je n’ai pas trouvé cela juste. L’Etat ne doit pas se décharger de sa tâche sur les avocats, et surtout: chacun doit avoir droit à un procès équitable.
(Adaptation par Lliana Doudot)