La veille de sa mort, Kelly pensait être enfin libérée de l’emprise de Bojan* — son petit ami depuis trois ans. «Le lundi soir, on riait toutes les deux, assises sur le canapé du salon. Et vingt-quatre heures plus tard, mon monde s’est écroulé», soupire Karin, la mère de la disparue. Elle nous reçoit chez elle, à Bussigny, pour évoquer la mémoire de sa fille, supposément égorgée par son ex-compagnon, le soir du mardi 23 mai 2023, à Lausanne.
«Je suis heureuse, maintenant que c’est fini entre nous. Je vais à nouveau pouvoir faire ce que je veux, quand je veux.» Tels sont les derniers mots que Karin dit avoir entendu de la bouche de sa fille de 23 ans. «Pour Kelly, son histoire avec Bojan était déjà terminée depuis des semaines, bien avant les faits. Mais lui n’acceptait pas cette décision, justement… Donc la séparation traînait en longueur.»
Pour l’anniversaire du décès de Kelly, Karin organise, fin mai à Bussigny, une marche blanche commémorative en petit comité, avec ses amies et ses proches. Elle ne souhaite pas en dire plus: «J’ai peur que des individus malveillants, peut-être des proches de Bojan, ne viennent perturber l’événement, si je vous donne tous les détails.»
Elle a en revanche accepté de nous ouvrir les portes de son foyer et de son cœur, pour sa fille, dit-elle. «Je veux raconter son histoire. Je veux que les gens sachent que ça peut arriver à n’importe qui, n’importe quand. Je veux qu’on se souvienne d’elle.» La quinquagénaire serre les dents, retient ses larmes, avant de dérouler le récit du drame de sa vie — celui de la perte de son enfant.
Le féminicide est, par définition, le meurtre d'une femme ou d'une fille en raison de son genre.
Un mot qui n’est pas encore entré dans le droit suisse. Il n'existe donc pas vraiment d'organisme officiel qui enregistre les féminicides et tient des statistiques.
Mais, d'après un grand format de la RTS, qui se base principalement sur des données de 2022, «en Suisse, la violence masculine fait une victime toutes les 2 à 3 semaines. Un chiffre qui stagne depuis des années, malgré les mesures.» En 2022, 18 femmes ont été tuées par une personne de leur entourage (partenaire, ex ou parent) en Suisse.
Plus récemment, «en 2023, 25 personnes ont été tuées dans le cadre de violence domestique, dont 20 personnes de sexe féminin», peut-on lire sur le site web de l'Office fédéral de la statistique (OFS).
Le féminicide est, par définition, le meurtre d'une femme ou d'une fille en raison de son genre.
Un mot qui n’est pas encore entré dans le droit suisse. Il n'existe donc pas vraiment d'organisme officiel qui enregistre les féminicides et tient des statistiques.
Mais, d'après un grand format de la RTS, qui se base principalement sur des données de 2022, «en Suisse, la violence masculine fait une victime toutes les 2 à 3 semaines. Un chiffre qui stagne depuis des années, malgré les mesures.» En 2022, 18 femmes ont été tuées par une personne de leur entourage (partenaire, ex ou parent) en Suisse.
Plus récemment, «en 2023, 25 personnes ont été tuées dans le cadre de violence domestique, dont 20 personnes de sexe féminin», peut-on lire sur le site web de l'Office fédéral de la statistique (OFS).
Une jeune femme prometteuse
Le féminicide présumé de Kelly avait fait la une des médias, il y a un an. Pour mémoire, ce fameux mardi de mai, la police était intervenue peu avant 19 heures pour une jeune femme grièvement blessée au couteau dans sa voiture, dans le quartier lausannois d’Isabelle-de-Montolieu. L’auteur présumé de l’attaque, un ressortissant Serbe de 23 ans, avait lui-même averti les forces de l’ordre, avant de se rendre.
Kelly avait alors été transportée à l’hôpital. Victime d’une mort cérébrale par la suite, elle a lâché son dernier souffle quatre jours plus tard, le 27 mai 2023. Sa mère indique que l’enquête est toujours en cours. Elle attend une décision de justice. L’auteur présumé, Bojan, serait toujours en détention dans l’intervalle. Il est présumé innocent.
L’appartement de Karin est un véritable sanctuaire. Ici, des photos encadrées aux objets du quotidien, tout rappelle la jeune victime, qui travaillait dans un CMS tout en suivant une formation d’aide-comptable. Elle était aussi, depuis peu, sapeuse-pompière en formation au Service de défense incendie et de secours de Sorge (SDIS). Elle se réjouissait de recevoir, en fin d'année, son casque «yellow», réservé aux pompiers qui peuvent intervenir sur un sinistre.
Karin se souvient: «C’était quelqu’un de joyeux, qui aimait la vie… quand elle n’était pas avec lui. Elle était assez discrète sur ses relations avec les garçons, mais à ma connaissance, Bojan était sa première relation vraiment sérieuse. En tout cas c’est le seul petit ami qu’elle m’ait présenté.»
Emprise et isolement
Kelly et Bojan se rencontrent entre 2020 et 2021, introduits par des amis communs. Elle vit avec sa mère et son frère à Bussigny, lui avec sa mère et ses sœurs à Lausanne. Son profil? Karin le brosse à gros traits, la voix amère: «Il ne faisait pas grand-chose de sa vie. Il commençait sans cesse des apprentissages, sans en mener un seul à terme.»
Kelly séjourne souvent chez son ami, au cours de leur relation, mais le couple n’a jamais fait ménage commun, précise Karin. «Au début, il n’y avait rien de bien étrange. Bojan semblait juste timide, réservé, mais normal…»
Mais, peu à peu, Karin commence à se méfier. «Il avait de plus en plus d’emprise sur elle. Très vite, elle n’a plus eu le droit de voir ses amis, pour fréquenter uniquement son entourage à lui. Il ne supportait pas qu’elle ait une vie sociale en dehors de leur relation…» Au fil des mois, Kelly se referme de plus en plus sur son couple.
Relation toxique en cercle vicieux
Puis, les premières disputes éclatent. Karin est témoin de quelques scènes de ménage chez elle, et s’en inquiète. Elle soupçonne des violences physiques, «mais Kelly ne m’a jamais rien avoué à ce propos». Du peu qu’elle voit et de ce qu’elle sait — car sa fille reste toujours assez secrète — elle n’a pas peur de parler d'une «relation toxique», qui devrait cesser.
Selon sa maman, Kelly finit par partager son constat, après plus de deux années passées sous l’influence de Bojan. Peu à peu, la jeune femme tente de prendre ses distances, de retrouver sa vie. «Mais il ne la laissait pas partir. À chaque fois, il revenait, il demandait pardon pour tout, il faisait du chantage affectif, et il recommençait à avoir de l’emprise sur elle.»
Cette relation inextricable finit tout de même par s’essouffler, quelques semaines avant le coup de couteau fatal. Kelly s’éloigne peu à peu de Bojan. Karin se souvient: «Kelly recommençait à voir du monde. Quelques semaines avant les faits, elle était partie en camping avec ses amis, en Italie. Et elle s’impliquait de plus en plus chez les pompiers volontaires. Je pense que lui, il ne supportait pas tout ça.»
«Elles lui ont dit de ne pas y aller»
Pourquoi Kelly s’est-elle rendue au domicile de Bojan, le mardi 23 mai 2023, alors qu’ils n’étaient a priori plus ensemble? «Je ne le sais pas, et je ne le saurai jamais», murmure Karin. Les larmes montent, par vagues, dans ses yeux bleu-vert. Elle marque une pause, respire profondément avant de poursuivre: «Ce jour-là, j’étais au travail. Kelly ne m’a pas dit qu’elle y allait. Mais selon certaines de ses amies, c'était pour récupérer des affaires. Je sais qu’elles lui ont dit de ne pas y aller. Ou du moins pas seule. Elles voulaient l’accompagner, mais elle a refusé.»
Alors que Karin est encore au travail, en fin de journée, un ami de Kelly l'appelle. «Il m’a dit qu’il s’inquiétait, parce qu’elle ne répondait pas au téléphone depuis un moment. J’ai essayé de l’appeler à mon tour, idem. D’habitude, même si elle ne répondait pas tout de suite, elle le faisait relativement rapidement.»
Vous, ou l'une de vos proches, êtes victime de violences de la part d'un partenaire ou d'un proche? Voici les ressources auxquelles vous pouvez faire appel.
En cas de situation urgente ou dangereuse, ne jamais hésiter à contacter la police au 117 et/ou l'ambulance au 144.
Pour l'aide au victimes, plusieurs structures sont à votre disposition en Suisse romande, et au niveau national.
- Solidarité Femmes Bienne
032 322 03 44
9-12h et 14-20h
Mercredi: 14-20h
Samedi: 10-12h
Dimanche: 17-20h - Solidarité Femmes et Centre LAVI Fribourg
info@sf-lavi.ch
026 322 22 02 9-12h et 14h-18h
Ligne de nuit 19h-7h
Weekends et jours fériés: 11–17h - AVVEC Genève
info@avvec.ch
022 797 10 10 - Au cœur des Grottes, Genève
022 338 24 80
Lu-Ve 8h30-12h - Ligne d’écoute en matière de violence domestiques Genève
0840 11 01 10 - Centre d’accueil Malley Prairie, Lausanne
021 620 76 76
Non—stop - Maison de Neuchâtel SAVI
savi.ne@ne.ch
032 889 66 49 - SAVI La Chaux-de-Fonds
savi.cdf@ne.ch
032 889 66 52 - Unité de médecine des violences (UMV)
Consultation médico-légale - Bureau fédéral de l’égalité
- LAVI. Aide aux victimes d’infractions
- Fédération solidarité femmes Suisse
- Brava – ehemals TERRE DES FEMMES Schweiz
076 725 91 21
Lundi à Mercredi 14h-16h
Vous, ou l'une de vos proches, êtes victime de violences de la part d'un partenaire ou d'un proche? Voici les ressources auxquelles vous pouvez faire appel.
En cas de situation urgente ou dangereuse, ne jamais hésiter à contacter la police au 117 et/ou l'ambulance au 144.
Pour l'aide au victimes, plusieurs structures sont à votre disposition en Suisse romande, et au niveau national.
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Mercredi: 14-20h
Samedi: 10-12h
Dimanche: 17-20h - Solidarité Femmes et Centre LAVI Fribourg
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026 322 22 02 9-12h et 14h-18h
Ligne de nuit 19h-7h
Weekends et jours fériés: 11–17h - AVVEC Genève
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Lundi à Mercredi 14h-16h
C’est seulement en soirée que la famille apprend la funeste nouvelle, apportée à sa porte par des policiers. Départ vers l’hôpital, où Kelly est plongée dans le coma. Karin ne peut plus retenir ses larmes, mais poursuit son récit: «Du mardi soir, jusqu’à son décès samedi, je suis restée à ses côtés, je n’ai pas lâché sa main. Lorsqu’on nous a annoncé que c’était fini, qu’on ne pouvait plus rien faire, lorsqu’ils l’ont débranchée, j'ai eu l'impression de partir avec elle.»
Aujourd’hui, elle tente de remonter la pente, mais elle refuse d’«oublier» Kelly. «Ma fille est partout avec moi, en tout temps, je le sais, mais j’ai besoin de matérialiser ça. J’ai besoin de mon autel dans le salon, avec ses photos et ses objets. Je vais au cimetière tous les jours, en temps normal. Si je ne faisais pas tout ça, j’aurais l’impression de trahir le souvenir de mon enfant.» Nous quittons le canapé gris, ce même canapé où la mère et la fille se sont adressées leurs derniers mots. La porte se ferme sur Karin et son regard vide, comme fatigué de contempler l’absence.