Les dangers de l'addiciton
Un Oui pour l'alcool à la Migros serait délétère, jugent des experts

La consommation d'alcool est en baisse dans le pays. Pourtant, les experts en addiction critiquent la volonté de Migros de vendre de l'alcool. Notre rapport à la boisson a changé. Blick revient sur cette évolution.
Publié: 18.05.2022 à 08:46 heures
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Dernière mise à jour: 18.05.2022 à 09:17 heures
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Les chiffres sont clairs: les Suisses sont deux fois moins nombreux à boire quotidiennement qu'il y a 30 ans.
Photo: Keystone
Julia Klavins et Benno Tuchschmid

La Migros doit-elle vendre de l'alcool? Depuis lundi, 2,3 millions de coopérateurs peuvent déposer leur bulletin de vote dans les magasins et se positionner sur la vente d'alcool chez le géant orange. Il y a encore peu de temps, c'était une idée inimaginable: l'absence d'alcool à la Migros était gravée dans l'identité de l'entreprise.

A l'occasion de ce débat qui agite tout le pays, Blick saisit l'opportunité de se demander: comment la Suisse boit-elle? Pourquoi Migros décide-t-elle maintenant de vendre de l'alcool? Quelles pourraient en être les conséquences pour la société? Nous répondons à toutes ces questions.

Deux fois moins de buveurs quotidiens en Suisse

Tout d'abord, concernant la consommation d'alcool dans le pays, les chiffres sont très sobres: En moyenne, les Suissesses et les Suisses boivent de moins en moins. Entre 1992 et 2017, la part de la population qui boit quotidiennement de l'alcool est passée de 20,4% à 10,9%. C'est chez les 35-64 ans que la baisse est la plus forte. Même constat chez les jeunes: le nombre des 11-15 ans qui boivent de l'alcool de temps en temps a diminué de moitié depuis 1994. Et les mineurs qui s'enivrent sont également de moins en moins nombreux. Ce sont donc des bonne nouvelles. Même les experts en addiction parlent d'une évolution globalement positive. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes? C'est un peu plus compliqué que cela

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Une chose est sûre: autrefois, l'alcoolisme était un problème social beaucoup plus profond. Au milieu du 19e siècle, des «épidémies d'eau-de-vie» et des «vagues d'alcool» secouaient le pays. Pour les combattre, le jeune État fédéral suisse a créé en 1887 la Régie fédérale des alcools (RFA). À leur apogée, les organisations de tempérance comme la Croix Bleue comptaient plus de membres que les syndicats. Dans les années 1930, la RFA estimait qu'il y avait environ 140'000 distillateurs privés et commerciaux d'alcool en Suisse. La RFA a tenté, par des campagnes, d'inciter la population à préférer manger des fruits plutôt que de les distiller. L'interdiction de l'alcool par Migros découlait également de cet esprit du temps. Elle est entrée en vigueur en 1928, Migros se préoccupant alors de la «santé publique».

L'alcool, un problème individuel et non plus de société

Mais l'orientation de la politique suisse en matière d'alcool et le regard de la société sur la boisson ont fondamentalement changé depuis cette époque. Juri Auderset, professeur assistant à l'Institut d'histoire de l'Université de Berne et spécialiste de l'histoire des drogues et des stimulants, explique: «Depuis les années 1970, la prévention en matière de santé relève de plus en plus de la responsabilité de chaque citoyen». Autrement dit, l'alcoolisme est considéré comme un problème individuel et non plus comme un problème de société.

«Si l'alcool est considéré comme un bien de consommation comme un autre, l'idée d'autoriser la vente d'alcool à la Migros est en quelque sorte cohérente. Mais seulement dans cette perspective: car les problèmes causés par la consommation d'alcool sont toujours bien là», continue l'historien.

Et comment. Même si la tendance en matière de consommation d'alcool est à la baisse, les problèmes causés par l'alcool sont toujours massifs en Suisse:

  • 250'000 à 300'000 personnes sont dépendantes de l'alcool en Suisse.
  • L'abus d'alcool entraîne des coûts annuels d'environ 2,8 milliards de francs.
  • En 2017, l'alcool a provoqué 1553 décès en Suisse.

La solitude des personnes concernées

Les experts en addiction alertent: choisir de vendre de l'alcool à la Migros n'est pas anodin. Le sociologue Harald Klingemann a été pendant de nombreuses années directeur de recherche à l'Institut suisse de prévention de l'alcoolisme et autres toxicomanies. Selon lui, «plus l'accès à l'alcool est large, plus les problèmes qui lui sont liés augmentent». La vente d'alcool par Migros représente donc un risque pour la santé publique.

L'Office fédéral de la santé publique s'exprime dans le même sens. Le porte-parole de l'OFSP Daniel Dauwalder assure que les personnes à risque devraient être exposées au moins de stimuli possible. «Cela inclut l'étalage dans un magasin ainsi que la publicité pour les boissons alcoolisées, qui est aujourd'hui omniprésente en Suisse». Si les chiffres sont bons, de nombreuses problématiques liées à l'alcool restent donc à l'ordre du jour en Suisse.

(Adaptation par Thibault Gilgen)

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