Albert Rösti était un député apprécié au Palais fédéral, avant de devenir conseiller fédéral en décembre 2022. A 57 ans, il est à présent à la tête du puissant département des infrastructures et de l'environnement, le Detec, et cette nomination a mis un coup à sa popularité. Le Bernois est passé du statut de «everybody's darling» à celui d'homme qui donne le la au gouvernement. Qu'il s'agisse de ses positions au sujet de la chasse des loups, de la SSR, ou de la situation climatique, les avis marqués de Rösti ont tendance à échauffer les esprits. Cette semaine, il a annoncé vouloir ouvrir de nouvelles centrales nucléaires en Suisse.
Aussi sur le nucléaire
Les journalistes de Blick ont suivi l'homme politique le plus controversée du pays à l'heure actuelle de Berne à Zurich, dans la limousine du Conseil fédéral. Albert Rösti avait en effet une apparition à faire dans l'émission de télévision «Arena».
En raison des embouteillages sur l'A1, le voyage a duré trois heures et demie: le temps d'interviewer le conseiller fédéral sur ses positions sur le nucléaire.
Monsieur le Conseiller fédéral, à quel point êtes-vous encore démocratique?
Pourquoi cette question?
Vos critiques se plaignent du fait qu'avec votre décision sur la construction de nouvelles centrales, vous ne respecteriez pas le référendum de 2017 qui voulait sortir du nucléaire avec la Stratégie énergétique 2050. Par ailleurs, vous torpillez aussi la loi sur l'électricité que vous avez vous-même préconisée.
Seul le peuple peut modifier ou annuler un référendum. Je suis bien sûr un démocrate! C'est pourquoi cette critique n'est pas pertinente. Un Conseil fédéral est justement tenu de se renouveler et de soumettre des propositions à la population, en cernant les situations qui ne sont plus d'actualité.
Qu'est-ce qui a changé alors?
Principalement, les objectifs climatiques plus stricts et les nouvelles incertitudes géopolitiques. Je n'assumerais pas mes responsabilités de conseiller fédéral si je n'évoquais pas le risque de pénurie d'électricité suite à la décision de sortir des énergies fossiles, mais il reste encore beaucoup d'incertitudes sur le chemin à suivre. C'est pourquoi je soumets cela au débat. Pour l'instant, la seule tâche demandée est de répondre à l'initiative…
L'initiative dite «Blackout», qui vise à lever l'interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires.
Exact. Et maintenant, une consultation est lancée, où chacun peut prendre position. Le Parlement pourra par la suite en débattre, et annoncer ce que le Conseil fédéral doit ou non faire. Et à la fin, c'est le peuple qui décidera.
Encore une fois: la stratégie énergétique a été discutée pendant deux ans au Parlement, et le peuple l'avait approuvée. Entre-temps, les centrales nucléaires sont devenues encore plus chères. Quelles conditions vous ont amenées à changer d'avis?
Il s'agit de cinq facteurs.
Parlez-en-nous.
Premièrement, la décarbonisation a été décidée, avec ce que l'on appelle l'objectif net zéro. Il y a donc un besoin nettement plus important de sources d'énergie non fossiles. Deuxièmement, nous avons une guerre en Europe que personne n'avait prévue. Je me souviens très bien d'une phrase qui a fait le tour du Parlement à l'époque: il y aura toujours assez d'électricité en Europe. L'attaque russe contre l'Ukraine en 2022 nous a malheureusement prouvé le contraire. Troisièmement, les centrales à gaz, tant qu'elles fonctionnent à l'énergie fossile, ne sont plus une option.
Et quatrièmement?
On partait à l'époque du principe que la population suisse atteindrait neuf millions d'habitants d'ici 2050. Aujourd'hui, nous savons que cette estimation était trop faible. Nous nous dirigeons vers plus de dix millions. Et qui dit plus de personnes dit plus de consommation d'électricité. Le cinquième point est que de nombreux projets, comme les installations solaires alpines, sont bloqués par des recours et des retards, malgré la votation de cet été. Tout cela, nous ne le savions pas en 2017.
Il est facile de parler d'une nouvelle centrale nucléaire lorsqu'elle ne se trouve pas dans sa propre commune. Pourriez-vous imaginer qu'une centrale nucléaire se trouve dans votre localité d'Uetendorf?
Non, j'ai du mal à l'imaginer. Et ce n'est pas parce que ce serait à Uetendorf, où j'habite.
Pourquoi donc?
Aujourd'hui, je partirais du principe qu'une nouvelle centrale nucléaire devrait être construite sur les sites actuels. Ne serait-ce que pour des raisons d'acceptation par la population. Je pourrais imaginer que nous en construisions une nouvelle à Mühleberg par exemple. Il est intéressant de noter que lors du 50e anniversaire de Leibstadt, la population a fait savoir qu'elle était contente de la centrale. Elle en a vécu pendant des décennies et la perçoit de manière tout à fait positive, y compris en termes de production d'emplois. En revanche, une centrale nucléaire aurait beaucoup plus de mal à s'implanter sur un nouveau site. Sauf, peut-être, si le Small Modular Reactor réussit à percer, ce qui, selon les spécialistes, pourrait arriver dans les dix prochaines années.
Vous imaginez-vous vivre quelque part où vous voyez une tour de refroidissement depuis votre salon?
Je pourrais l'imaginer, oui. Mais il va de soi que l'on préfère avoir une autre vue. Je le dis aussi en tant que Bernois de l'Oberland. Mais vous évoquez peut-être aussi la peur. Habiter à proximité d'un barrage peut également comporter des risques. Mais la sécurité est toujours la priorité absolue. Toujours. Je vais peut-être le dire ainsi: je préfère vivre à côté d'une centrale nucléaire plutôt que de devoir faire face à une pénurie d'électricité.
En ce qui concerne le site, vous avez oublié un aspect: l'opinion étrangère. Nos voisins allemands, notamment le Bade-Wurtemberg ne devraient pas apprécier vos projets.
Le gouvernement du Bade-Wurtemberg est peut-être critique. Mais je me souviens du gouvernement bavarois, qui était tout à fait satisfait lorsque nous exportions de l'électricité. L'hiver dernier, l'Allemagne a dû importer de l'électricité de Suisse à trois reprises. Notre politique est donc aussi d'intérêt européen.
Comment la Suisse peut-elle financer une nouvelle centrale nucléaire?
Il est absurde de discuter du financement alors qu'aucun projet n'a été présenté. De mon point de vue, on ne pourra discuter de cette question que lorsqu'une entreprise viendra et voudra effectivement construire une centrale. Ce ne sera jamais à la Confédération de financer. En ce qui concerne les coûts, il faudra alors vérifier à combien ils s'élèvent par rapport aux alternatives.
Votre modèle politique est l'ancien conseiller fédéral Adolf Ogi. Celui-ci a su convaincre le public de manière étonnante avec son discours à côté d'un sapin. Vous devriez peut-être tenir un discours sur le tunnel du Lötschberg, vous aussi.
Copier quelqu'un d'aussi charismatique que l'ancien conseiller fédéral Ogi ne serait pas bien vu. Je ne sais pas aujourd'hui si le contre-projet passera. Mais je pense qu'au final, ce sont les faits qui comptent. Je me laisserai d'ailleurs volontiers détromper si les énergies renouvelables fournissent un jour vraiment assez d'électricité. Mais avant de prendre le risque de remplacer une technologie, l'autre doit vraiment prouver qu'elle est suffisante.
En tant que politicien, il vous arrive de prendre des décisions choquantes, comme le loup, la taxe Serafe ou l'arrêt de Strasbourg. Le faites-vous consciemment?
(Il réfléchit) Derrière tout cela, il y a mes convictions personnelles et bien sûr l'intérêt de la population. Et il faut toujours d'abord une majorité au Conseil fédéral. J'essaie de participer autant que possible à l'organisation de ce pays, de défendre mes convictions. Et si une majorité me soutient au Conseil fédéral, c'est une bonne chose. D'ailleurs, j'ai aussi essayé plusieurs propositions qui n'ont pas abouties. C'est probablement aussi un peu un hasard si les questions qui divisent actuellement la population ressurgissent sous mon mandat.
Pourquoi?
Je ne pensais pas que l'interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires serait à nouveau débattue à mon époque politique, et que les facteurs changeraient à ce point. Il y a trois ans, personne n'aurait prévu que l'on puisse être confronté aussi soudainement à une pénurie d'électricité en Europe. Quant au loup, personne n'avait prévu que sa population se développerait de manière aussi exponentielle. Mon prédécesseur, Simonetta Sommaruga, aurait sans doute agi de la même manière si elle était encore en fonction. Dans mon cas, cela se remarque peut-être davantage parce que je viens d'un autre milieu.
Vous êtes considéré comme l'homme fort du gouvernement. Que ressentez-vous face à cette distinction?
Il est dangereux de penser ou de dire cela de soi-même. Ce genre de situation évolue toujours. Par exemple, la session du Conseil fédéral de la semaine prochaine pourrait tout modifier. C'est pourquoi je ne me fais pas d'illusions. Mais je n'ai pas non plus à rougir: il est réjouissant de faire passer les affaires de son propre département de temps à autre.
Les critiques vous accusent d’écouter les lobbyistes de manière quelque peu unilatérale.
Non, je suis un conseiller fédéral UDC et j'ai une conviction fondamentale. Celle-ci est bien sûr inscrite dans une dimension bourgeoise, dont je ne me cache pas. Mais nous avons besoin des lobbyistes pour se procurer des informations supplémentaires. Au final, il s'agit d'une décision du Conseil fédéral qui a fait l'objet d'intenses discussions, et non une simple décision d'Albert Rösti. A cela s'ajoute un autre aspect: une interdiction de technologie ...
... qui n'a jamais vraiment existé...
... entraîne le risque qu'à un moment donné, nous n'ayons plus du tout de personnel qualifié dans ce domaine.
La transition énergétique est-elle un échec?
Je préfère ne pas parler d'échec. La population a pris cette décision à la majorité, en tenant compte des prémisses de l'époque. C'est ce que mettons en œuvre aujourd'hui. Je dis simplement qu'à long terme, nous devrons être préparés à des solutions alternatives, et cela ne vaut pas seulement pour le domaine de l'énergie.