Alain Berset se bat désormais pour la paix en Géorgie plutôt que pour la réforme des retraites
«Le Conseil de l'Europe n'est pas un centre de bien-être»

Depuis cent jours, Alain Berset est Secrétaire général du Conseil de l'Europe. Dans cette interview, il évoque les différences avec son travail de conseiller fédéral, la manière dont il veut désamorcer le conflit en Géorgie et s'il existe des zones sûres en Ukraine.
Publié: 28.12.2024 à 06:01 heures
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Dernière mise à jour: 28.12.2024 à 11:12 heures
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Depuis cent jours, Alain Berset est secrétaire général du Conseil de l'Europe.
Photo: Philippe Rossier
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Tobias Bruggmann et Philippe Rossier

Le peu de Suisse qu'Alain Berset a emporté avec lui dans son bureau de Strasbourg (F) est caché dans un coffret en bois. L'ancien conseiller fédéral en sort fièrement trois cristaux de roche et les pose sur la table.

Des souvenirs remontent à la surface: Adolf Ogi, qui avait sauvé du fiasco une visite d'Etat chinoise en Suisse en 1999 avec de tels cristaux. Alain Berset n'a pas encore décidé s'il voulait reprendre la tradition d'Adolf Ogi. Mais après avoir quitté le Conseil fédéral, il s'occupe depuis maintenant une centaine de jours de la politique européenne et mondiale en tant que Secrétaire général du Conseil de l'Europe. Il y a quelques semaines, il a mené une mission en Ukraine et vient de rentrer de Géorgie. 

Alain Berset, le Conseil de l'Europe compte 46 Etats membres, chacun avec son propre gouvernement. En quoi votre poste est-il nécessaire?
Le Conseil de l'Europe est la plus grande organisation multilatérale entièrement européenne. Nous défendons des valeurs européennes fortes, qui sont d'ailleurs aussi des valeurs suisses, comme les droits humains, la démocratie et l'Etat de droit.

Est-ce que cela vous frustre que l'on ait plus parlé de la villa que de votre travail avant votre élection?
C'est avant tout un lieu de travail, par exemple pour des réceptions ou des réunions. La dernière fois, j'ai accueilli un membre du Parlement et ancien ministre. La veille, j'ai eu un déjeuner de travail avec le président de la Bulgarie. J'y fais toutes les séances et réceptions avec les 46 ambassadeurs et les ambassadrices qui représentent leur pays à Strasbourg.

La Géorgie est un Etat membre du Conseil de l'Europe. Avant et après les élections législatives, la population y a manifesté, les protestations et l'opposition ont été réprimées... Ce n'est pas très démocratique.
La semaine dernière, j'ai passé trois jours à Tbilissi, la capitale de la Géorgie. J'ai parlé avec tous les acteurs concernés: les autorités, l'opposition et la société civile. J'ai constaté une situation politiquement très complexe et sensible, avec beaucoup de violence et de tensions. J'ai rappelé à tous qu'appartenir à une organisation comme le Conseil de l'Europe impose des devoirs. Le Conseil de l'Europe n'est pas un centre de bien-être. J'ai fait passer très clairement les messages suivants au gouvernement: les droits humains, la démocratie et l'Etat de droit doivent être respectés à chaque instant. Nous devons garder le pays dans notre famille européenne. C'est d'une importance capitale pour la population géorgienne.

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Les droits de l'homme, la démocratie et l'État de droit doivent être respectés à chaque instant
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Comment comptez-vous y parvenir concrètement?
Tout d'abord en allant sur place et en discutant avec les différents acteurs. La Géorgie est un Etat membre du Conseil de l'Europe, mais pas de l'UE. Quelle serait l'alternative? Rester dans mon bureau à Strasbourg et attendre sagement qu'éventuellement les choses se calment? Ce n'est pas ma façon de résoudre les problèmes.

D'ailleurs, qu'apportent de telles visites d'Etat à la population?
Ma visite a eu plusieurs résultats. Premièrement, le gouvernement s'est engagé à enquêter rapidement sur tout usage disproportionné de la force pour disperser les manifestations, à libérer rapidement toutes les personnes détenues administrativement et à mener des enquêtes indépendantes, transparentes et efficaces sur les incidents survenus lors des manifestations. En outre, nous avons convenu d'un agenda pour travailler en étroite collaboration pour une évolution positive de la Géorgie au sein de la famille européenne. La situation actuelle rend le travail de la société civile beaucoup plus difficile. J'espère que cette visite aura des effets positifs. Il s'agit toutefois d'un processus, je ne suis pas naïf.

Dans son bureau, peu de choses rappellent le passé en Suisse.
Photo: Philippe Rossier

Vous êtes rentré d'Ukraine il y a quelques semaines. Quelles impressions en avez-vous retirées?
C'est la troisième fois que je me rends en Ukraine en l'espace d'un an, mais la première fois que j'y suis resté plusieurs jours. Les 100 personnes de notre bureau qui travaillent pour le Conseil de l'Europe à Kiev vivent chaque jour l'horreur de la guerre. Il ne doit pas y avoir d'impunité et il faut un système qui le garantisse.

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Tous les crimes de guerre doivent être traités légalement. Nous sommes une organisation qui peut faire quelque chose dans ce domaine
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Tous les crimes de guerre doivent être jugés. Je représente une organisation qui peut faire quelque chose dans ce domaine. Nous avons développé un registre des dommages au sein du Conseil de l'Europe, qui a en déjà enregistré plus de 13'000. Cela permettra de demander réparation par la suite.

D'où doit venir l'argent? La Russie a été exclue du Conseil de l'Europe.
A juste titre! Un tel travail en Ukraine n'est possible que si la Russie n'en fait plus partie. La question de savoir d'où viendra l'argent est encore un point de discussion pour le moment. Il y a beaucoup d'avoirs gelés dans toute l'Europe, mais ce sera une discussion difficile, nous le savons. Nous allons maintenant mettre en place un mécanisme complet d'indemnisation, y compris le registre des dommages. Dans ce domaine, nous avons également besoin du soutien des pays du G7.

En Suisse, on discute actuellement de la possibilité de ne plus accorder le statut de protection S à tous les Ukrainiens, mais uniquement aux personnes originaires de régions occupées par la Russie ou dans lesquelles des combats ont lieu. Cela doit vous déranger du point de vue des droits de l'homme?
La réponse à cette question devra être donnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), si une plainte devait lui parvenir. Mais lors de ma visite en Ukraine, j'ai assisté à plusieurs reprises à des alertes et des raids aériens, de jour comme de nuit. Le pays tout entier est engagé dans une guerre contre la Russie, qui est une puissance nucléaire. Tout le pays, pas seulement une partie. Il n'y a pas de zones sûres en Ukraine en ce moment.

Le Conseil de l'Europe : la nouvelle patrie d'Alain Berset.
Photo: Philippe Rossier

Revenons en Suisse. Quand on entend parler du Conseil de l'Europe en Suisse, c'est généralement négatif. Que ce soit parce que votre tribunal condamne la Suisse, parce qu'elle ne fait pas assez pour lutter contre le changement climatique ou parce que votre organisation demande plus d'engagement contre la corruption.
Mais vous ne mentionnez ici que les voix négatives. Beaucoup de gens voient positivement ce que fait le Conseil de l'Europe. En tant que conseiller fédéral, j'ai souvent été confronté à des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme. Mais je l'ai toujours vu de manière positive. Comme une garantie à ce que les droits humains d'un concitoyen soient préservés. Au Conseil fédéral, j'ai parfois dû me dire: «Attention, il y a ici quelque chose qui ne fonctionne pas.» Et ensuite, nous l'avons corrigé.

Souvent, les décisions ne sont pas appliquées pendant longtemps, par exemple pour la rente de veuve.
Non, je ne suis pas d'accord. A l'époque, en tant que ministre de l'Intérieur, j'étais responsable de l'adaptation de la loi et nous avons commencé le travail rapidement. Mais il faut bien sûr du temps pour développer une solution stable, en particulier dans une démocratie directe.

Actuellement, le processus politique est en cours, la gauche et les Verts critiquent les plans de démantèlement, le président de l'UDC Marcel Dettling demande un deal. Une chute de la réforme ne semble pas non plus exclue.
C'est le processus parlementaire, cela en fait partie. Il peut aussi y avoir un référendum, c'est légitime. Mais si, à la fin, le peuple décide de ne rien changer, c'est évidemment ce qui s'applique. L'arrêt a permis d'en discuter, et c'est une impulsion positive.

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J'ai travaillé avec passion pendant douze ans au Conseil fédéral et j'ai donné tout ce que je pouvais pour notre pays. J'ai tourné la page
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Dans le cas de l'arrêt sur le climat également, la Suisse maintient qu'elle le respecte déjà.
Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe veille à l'exécution des arrêts de la CEDH. La Suisse a maintenant remis un rapport. Celui-ci y sera traité et une première discussion pourra être menée. C'est rarement une décision noire ou blanche.

Mais cela ne nuit-il pas à la réputation de la Cour si la Suisse est condamnée de la même manière que la Russie, qui a un autre standard en matière de droits de l'homme?
Oh, je pense que les gens font très bien la différence. Ce serait comme être jugé pour un excès de vitesse sur l'autoroute ou pour avoir tué quelqu'un, ce n'est pas comparable.

En tant que conseiller fédéral, vous pouviez prendre des décisions et gouverner. N'étiez-vous pas beaucoup plus puissant avant?
J'ai travaillé avec passion pendant douze ans au Conseil fédéral et j'ai donné tout ce que je pouvais pour notre pays. Mais désormais, je travaille différemment au niveau européen. J'ai tourné la page. En tant que Secrétaire général du Conseil de l'Europe, je dirige une organisation multilatérale et je veux la faire évoluer. Je ne travaille plus dans un contexte collégial comme avant. Mais en même temps, il y a 46 Etats membres, une énorme diversité de langues et de cultures. C'est très varié et cela rend les choses extrêmement intéressantes, mais pas moins compliquées.

Mais revenons à la villa, est-elle déjà aménagée?
Je n'ai rien changé et je ne peux d'ailleurs pas le faire! C'est avant tout un lieu de travail et il est aménagé comme tel. En fin de compte, j'ai dû rapidement commencer à travailler à plein régime. Et je ne suis pas souvent à Strasbourg, j'ai été à New York, Luxembourg, Bakou, Kiev ou Tbilissi et bien sûr, je suis encore souvent en Suisse. J'y ai fêté Noël.

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