Qu'un juge se retrouve une fois sur le banc des accusés est déjà exceptionnel. Le fait qu'il doive répondre d'un viol est carrément un scandale, lequel fait des vagues dans le canton des Grisons depuis sa révélation en 2022.
Il faut dire que le juge Manuele G.* a continué à travailler pendant toute une année au tribunal administratif des Grisons, comme si de rien n'était. Ce n'est que grâce aux recherches du portail en ligne Inside Justiz.ch, des journaux «SonntagsZeitung» et «Südostschweiz» ainsi qu'à une plainte pénale que ce juriste respecté a fini par tomber.
Le procès de l'ex-juge s'ouvre donc ce jeudi. Le prévenu doit être jugé pour viol, contrainte sexuelle et pour avoir profité d'une situation de détresse. En Suisse orientale, la question de savoir si le juge grison devait vraiment être jugé devant un tribunal grison a déjà fait couler beaucoup d'encre.
Il lui aurait d'abord offert du thé
Rares sont les informations révélées par le tribunal régional de Plessur, à Coire, chef-lieu du canton des Grisons, avant le procès. L'acte d'accusation, un document important dans une procédure pénale, n'a été remis aux journalistes que peu avant le début du procès.
Blick a pu consulter la plainte pénale rédigée en mars 2022 par l'avocate de la plaignante. Selon la version relatée dans ce document, le juge a convoqué la femme dans son bureau le soir du 13 décembre 2021. Il aurait indiqué vouloir discuter avec elle de certains cas qui devaient encore être traités.
Il lui aurait offert du thé, puis aurait tiré les rideaux. L'homme aurait abordé dans un premier des questions professionnelles, privées et semi-privées. Puis, la porte d'entrée du tribunal se serait ensuite refermée, laissant le juge et la stagiaire seuls.
Après l'acte, les jambes lui ont fait défaut
Immédiatement, le juge aurait commencé à embrasser la jeune femme de 24 ans et à mettre la main sous son T-shirt. La victime explique qu'au moment où elle a souhaité marquer son opposition, l'homme avait déjà ouvert son pantalon sans qu'elle ne l'ait remarqué. «Il a glissé sa main dans son slip de manière inattendue, tout en se masturbant lui-même avec l'autre main», peut-on lire dans la plainte.
La femme lui aurait indiqué que cela n'était pas possible et aurait tenté de quitter le bureau dans le bureau. Mais le juge lui aurait barré la route. Puis, pressant ses poignets contre la porte du bureau, il l'aurait violée. Par respect pour la victime présumée, Blick a décidé de ne pas exposer le récit détaillé des événements, tel qu'il figure dans la plainte pénale.
«Ses jambes ont lâché»
Une fois la scène terminée, la jeune femme aurait immédiatement voulu quitter le bureau. «Mais ses jambes ont lâché et elle s'est effondrée au sol», explique l'avocate de la stagiaire en décrivant l'incident dans la plainte pénale. Alors que la victime était assise par terre, tremblante, Manuele G. aurait fait comme si de rien n'était. «Il lui a demandé quelle était sa chanson préférée, lui a montré ses playlists et lui a parlé des concerts auxquels il avait assisté.»
Après s'être un peu ressaisie, la jeune femme aurait quitté le bureau, pris son sac et serait sortie en courant du tribunal. Avec son ami, elle s'est rendue à l'hôpital afin de préserver les preuves. Selon Inside Justice, l'ADN du juge a été retrouvé dans l'abdomen de la jeune.
Dans les jours qui ont suivi, le prévenu aurait expliqué à la plaignante qu'elle était consentante au moment de l'agression. Puis, dans un autre message, le juge l'aurait notamment poussée à demander l'aide d'une psychiatre et à se mettre en congé maladie: «J'aurais envie de recommencer», aurait-il fait savoir.
Le harcèlement qui aurait duré des mois
Si l'on en croit la plainte, la jeune femme était harcelée sexuellement par le juge administratif pendant les mois précédant le viol. Les compliments et les allusions auraient été presque quotidiennes. Il lui aurait également envoyé des messages plus que suggestifs via des applications en ligne.
En outre, le juge aurait déjà tenté d'embrasser le jeune femme à plusieurs reprises avant les faits et aurait même essayé de frotter ses parties génitales contre elle. Il lui aurait également proposé de s'asseoir sur ses genoux. La stagiaire aurait systématique refusé «en reculant ou en le repoussant».
Des juges «intouchables»
La peur de perdre son poste de stagiaire et de voir sa carrière professionnelle compromise l'aurait empêchée de dénoncer les faits. De plus, le juge lui avait déjà expliqué trois mois avant les faits, que les juges du canton des Grisons étaient «intouchables», lit-on dans la plainte. Selon les informations relayées tribunal régional de Plessur, le ministère public retient que la stagiaire judiciaire se trouvait dans un rapport de dépendance avec le prévenu. Il est ainsi reproché à ce dernier d'avoir profité de la situation de détresse de sa stagiaire.
En outre, le ministère public du canton des Grisons reproche à l'ex-juge d'avoir envoyé des lettres anonymes de menace à la stagiaire en septembre 2023. Dans ces lettres, il aurait menacé la jeune femme de tout faire pour qu'elle ne réussisse pas son examen d'avocat. Ni le prévenu, ni la victime présumée n'ont souhaité répondre aux questions de Blick avant le début de l'audience. Le juge et son avocate ont nié les accusations auprès du média en ligne inside-justiz.ch. Selon lui, le contact sexuel aurait été consenti. La présomption d'innocence s'applique.
* Nom connu modifié