Après Taylor Swift, le stade du Letzigrund à Zurich s'apprête à recevoir un autre événement de taille. De vendredi à dimanche, les Témoins de Jéhovah occuperont le complexe sportif zurichois. La communauté religieuse attend environ 20'000 visiteurs du monde entier lors de son congrès. Ils prêcheront, donneront des conférences et chanteront.
La ville de Zurich a pris la décision d'accueillir la communauté religieuse dans le stade du Letzigrund. Par «égalité de traitement non discriminatoire», explique la ville. Les Témoins de Jéhovah s'en réjouissent. «Nous apprécions la collaboration avec les autorités et la direction du stade«, déclare Dominic von Niederhäusern, porte-parole des Témoins de Jéhovah suisses.
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Controversés, mais reconnus dans les pays voisins
Pour les experts, il est incompréhensible que la ville ait autorisé le congrès. «Les Témoins de Jéhovah dénient à leurs membres des droits humains fondamentaux», déclare Regina Spiess de l'association JZ Help.
Pendant longtemps, la communauté religieuse a eu l'image d'une église libre, stricte, mais jugé inoffensive. En Allemagne, les Témoins de Jéhovah sont considérés depuis 2017 comme une collectivité de droit public. En Autriche, ils forment une religion reconnue par l'État.
Pourtant, leur réputation s'effrite depuis le début du millénaire. De plus en plus d'anciens membres se manifestent publiquement et révèlent des abus psychiques et parfois physiques. Comme le montrent les chiffres des États-Unis, deux tiers des personnes ayant grandi dans la communauté quittent le navire. «Ceux qui ont quitté la communauté sont une voix forte contre l'image d'une religion pacifique», explique Regina Spiess.
Depuis leur plus jeune âge, les membres s'intéressent à la fin des temps
Pour Christian Rossi, spécialiste des religions et de la Bible chez Infosekta, la décision de la ville de Zurich est discutable. L'expert a lui-même été membre de la communauté. Il est devenu témoin de Jéhovah à l'adolescence. «On est submergé d'amour et d'attention», explique-t-il. «Quand on est jeune, c'est quelque chose de beau.» Le fait que la communauté ait été persécutée à l'époque nazie l'a marqué: «Ils étaient prêts à sacrifier leur vie pour leur foi.» Les parents de Christian Rossi n'ont jamais fait partie de la communauté, il s'est distancié d'eux pendant son adhésion. Peu à peu, il aurait ensuite réalisé que les Témoins de Jéhovah lui mentaient et le manipulaient. «Je suis devenu gravement dépressif, je me sentais seul», dit-il. Une dizaine d'années après son entrée dans la communauté, il a quitté l'église.
Dans le monde entier, plus de huit millions de personnes sont membres de l'église, qui a été fondée aux Etats-Unis à la fin du 19e siècle. Selon ses propres indications, elle compterait environ 20'000 membres en Suisse. Ses adeptes croient en la fin des temps biblique, lorsque Dieu descendra sur terre et punira les non-croyants. Les guerres et le changement climatique sont également interprétés comme des signes. «Je ne suis sauvé que si je fais partie de l'organisation», explique Regina Spiess.
Ainsi, les enfants sont confrontés à l'Armageddon dès leur plus jeune âge. Par des images et des films sanglants, des chants, des cours bibliques ainsi que par le journal interne «La Tour de Garde». Les contenus et les règles sont contrôlés par un «corps dirigeant» depuis le siège principal à New York, aux Etats-Unis. Les différentes branches, dirigées par des «anciens», mettent en œuvre les directives dans le monde entier.
Chez les Témoins de Jéhovah, le patriarcat règne en maître
Les rôles sont clairement répartis. Les hommes dirigent, les femmes suivent. Les relations sexuelles avant le mariage sont mal vues. Le divorce n'est possible que si une personne trompe l'autre. Les relations homosexuelles sont strictement interdites. «Les Témoins de Jéhovah sont homophobes et transphobes», affirme Christian Rossi.
Les jeunes qui ont grandi en tant que Témoins de Jéhovah se retrouvent souvent en conflit au cours de leurs années de développement. «Pour eux, c'est terrible», s'indigne Regina Spiess. «Ils peuvent être exclus à cause d'une relation amoureuse ou sexuelle et mis au ban de la famille.» Cette forme de rejet serait aussi la grande différence avec les autres églises libres.
A cela s'ajoutent de nombreux rapports sur la dissimulation d'abus sexuels au sein de la communauté. En 2015, une enquête australienne a révélé qu'au sein de l'organisation, 1006 membres des Témoins de Jéhovah ont été accusés dans le monde entier depuis 1950 d'avoir abusé sexuellement de 1800 enfants. Aucun des auteurs n'a été dénoncé par l'organisation.
La pression sociale conduit à des règles plus souples
Un obstacle majeur réside dans la règle dite des deux témoins. Ainsi, les abus ne sont reconnus que si deux personnes observent l'auteur des faits. «Les Témoins de Jéhovah affirment qu'ils se conforment ainsi à la Bible», explique Christian Rossi. Dans l'Ancien Testament, la loi mosaïque établit des règles en cas de viol. «Les Témoins de Jéhovah appliquent également ce passage aux abus sexuels sur les enfants.»
Entre-temps, la règle a toutefois été discutée. Dorénavant, une deuxième victime du même agresseur pourrait également être considérée comme un deuxième témoin. «En raison de la pression sociale extérieure, les règles sont partiellement adaptées.»
Selon le porte-parole Dominic von Niederhäusern, la communauté religieuse déplore les reproches et les déclarations d'anciens Témoins de Jéhovah. Selon lui, la Cour européenne des droits de l'homme a réfuté les reproches et confirmé à plusieurs reprises que les Témoins de Jéhovah sont une «religion connue aux activités totalement pacifiques». Dominic Von Niederhäusern ne précise toutefois pas à quel jugement il se réfère.