Valérie Dittli est déjà en retard de 15 minutes. La grande argentière du Canton de Vaud a une bonne excuse: sa séance s’éternise. Voilà qui ne fait pas mes affaires. J’ai rendez-vous avec la conseillère d’Etat à la brasserie de Montbenon pour y manger et, surtout, l’interviewer.
Les plaisirs de la table poussent à la savoureuse confidence. Régulièrement, Blick invite une personnalité dans le restaurant de son choix pour la cuisiner. Une occasion rare pour aborder des thématiques intimes, originales ou d'actualité.
Les plaisirs de la table poussent à la savoureuse confidence. Régulièrement, Blick invite une personnalité dans le restaurant de son choix pour la cuisiner. Une occasion rare pour aborder des thématiques intimes, originales ou d'actualité.
Il est 20h45. Le photographe qui m’accompagne, Gabriel Monnet, devra shooter la ministre de tout juste 30 ans à la vitesse de l’éclair. Sinon, notre réservation risque de nous passer sous le nez. Et, avec, les confidences de l’élue du Centre sur sa vie personnelle que j’espère nombreuses.
Se sent-elle seule au sein de l’Exécutif cantonal? Arrive-t-elle toujours à sortir en boîte de nuit comme n’importe quelle personne de son âge? Quelle relation entretient-elle avec sa sœur aînée, qui vient d’être élue au Conseil d’Etat zougois? La voilà! Soupir de soulagement. «Clic», «clic», «clic». L'Alémanique d’origine, en poste depuis à peine plus de cent jours au sein du gouvernement de son canton d'adoption, prend la pose sous les flashs.
Vite! A l’accueil du restaurant, choisi par notre invitée du soir! Une serveuse bienveillante nous installe et nous confie aux bons services de l'un de ses collègues. Il est l’heure de se mettre à table. Au sens propre comme au figuré.
Qu’est-ce que vous aimeriez qu’on dise de vous à vos funérailles?
Hmm… Avant aujourd’hui, je ne m’étais jamais posé cette question. Quand mon heure sera venue, je crois que j’aimerais que les personnes qui restent puissent simplement me dire «merci».
Pourquoi ce besoin de reconnaissance?
Parce que je ne fais pas les choses uniquement pour moi. Je les fais surtout pour les autres, d’ailleurs. C’est mon moteur en politique. Et si les gens me remercient après ma mort, ça voudra dire que j’ai bien fait mon travail. Ne pas y arriver, c’est l’une de mes craintes aujourd’hui. Mais j’arrive à gérer la pression et je dors plutôt bien la nuit!
Le serveur arrive, nous tend la carte. Pour l’apéro: une carafe d’eau et deux bières brassées en Valais. «Le reste du repas devra être vaudois», insiste Valérie Dittli. Message reçu 5/5, Madame la Ministre des Finances et de… l’Agriculture.
Vous avez peur de vous vautrer, de ne pas être à la hauteur de votre fonction de conseillère d’Etat?
Oui, bien sûr… Parfois. Pas seulement à cause de mon rôle de ministre et de tout ce que ce travail implique. Mais aussi parce que mon niveau d’exigence est élevé. Je suis exigeante avec les personnes qui m’entourent, mais encore plus avec moi-même. Mon objectif est d’arriver à faire tout ce que je voulais dans la journée.
Et quand ça vous arrive de douter, comment est-ce que vous dealez avec tout ça?
Je me remets en question. J’essaie de tirer un bilan objectif de ma journée. Qu’est-ce que j’ai apporté à la séance du Conseil d’Etat? Etait-ce satisfaisant? Est-ce qu’il y a des choses que j’aurais dû faire différemment? Lesquelles? J’apprends de mes erreurs et de mes succès.
Globalement, après 100 jours au gouvernement, vous avez pris vos marques?
Les choses se mettent en place, mais ça prend du temps. Je crois que c’est normal au début. Il y a, sincèrement, encore des choses très compliquées que je ne connais et ne comprends pas. Je suis humaine. Mais ça va de mieux en mieux!
Nos bières et notre eau sont là. Valérie Dittli commande une salade verte à l’huile de colza de Cuarnens, en entrée, et un vol-au-vent aux champignons des bois, à la crème et aux épinards en plat. Pour moi, ce sera la salade de féra fumée de la Pêcherie d’Ouchy à l’huile de noix du Moulin de Sévery. Je la rejoins sur le vol-au-vent. L’élue choisit le vin: trois décis d’un très sympathique Pinot noir de La Côte. On trinque. Une gorgée de mousse et on reprend.
Politiquement, vous êtes la seule élue du Centre au Conseil d’Etat alors que vous n’avez aucun représentant au Grand Conseil. Vous vous sentez seule, parfois?
Il faut distinguer les choses. Au gouvernement, chacun défend son département, mais on finit par parler d’une seule voix. Même si c’est un peu chacun pour soi au quotidien, nous avançons ensemble. Au Parlement, c’est différent. Les contacts que j’ai avec les députés sont importants. Et j’en ai beaucoup! J’essaie de parler avec tout le monde, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite. Malgré ça, certains préjugés persistent.
Des préjugés?!
On dit, y compris certains journalistes — suivez mon regard (rires)… — que je suis forcément incompétente parce que je n’ai pas d’expérience politique. Que je ne sais pas penser toute seule et que je suis la marionnette de la droite. Que je suis trop jeune pour savoir de quoi je parle. Que je parle mal le français… Je continue?
Ces mots vous blessent?
Ça peut parfois être le cas. Puis, je prends de la distance. Sans doute que moi aussi, je me méfierais d’une personne qui a peu d’expérience. Et c’est vrai que je ne maîtrise pas aussi bien le français que l’allemand. Je suis moins précise lorsque je m’exprime dans cette langue et la forme peut parfois laisser penser que je ne suis pas très au clair avec le fond. Je le sais et j’y travaille. Tout ça me donne en réalité beaucoup de force.
C’était justement pour apprendre le français que vous êtes venue terminer vos études de droit à l’Université de Lausanne, il y a une petite dizaine d’années?
Oui, ça n’avait rien à voir avec la politique. Quand on fait du droit en Suisse — c’est ma vraie passion, je ne supporte pas l’injustice — il est bien de parler au moins deux langues nationales. A l’école et au gymnase, j’avais aussi étudié le latin et l’italien, mais je n’aimais pas trop mon prof de français! (Rires) Ça ne partait donc pas très bien. Et puis, j’ai fait le grand saut. Ça n’était pas tous les jours facile… Ma famille me manquait beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Voilà les entrées. Je me retiens de m’enfiler une livre de pain! Il est près de 22h, il fait très faim. «Vivement le vol-au-vent», sourit la conseillère d’Etat. Je suis d’accord: même ma serviette en tissu devient appétissante.
Vous êtes très proches de vos parents, de votre sœur et de votre frère?
Oui, ce sont des personnes importantes dans ma vie!
En même temps, maintenant que votre sœur, Laura Dittli, vient d’être élue au Conseil d’État de Zoug, ça ne doit pas être facile de réunir deux ministres pour un repas de famille…
(Rires) On y arrive encore. On a de la peine à réaliser, ce qu’on vit est une première en Suisse! C’est complètement fou. D’autant plus qu’une législature dans le canton de Zoug dure quatre ans contre cinq dans le canton de Vaud. Donc, sur le papier, l’occasion pour nous d’être élues la même année ne se présente que tous les vingt ans!
Une fille élue ministre à 29 ans en Suisse romande et une seconde dans votre canton d’origine à 31 ans. Vos parents doivent être très fiers, non?
(Elle sourit) Chacun d’eux a une manière différente de l’exprimer. Ma mère, le soir de mon élection, était très tendre… Quant à mon père, qui est agriculteur, il a demandé à ses vaches de faire un peu moins de lait cette nuit-là (rires). C’était sa manière de dire qu’il espérait un peu moins de travail pour pouvoir passer un peu plus de temps avec nous.
Ça ressemble à quoi, les discussions de deux sœurs conseillères d’Etat? Vous ne parlez que de forfaits fiscaux et de taux d’imposition à chaque fois que vous vous voyez?
La vie serait triste si c’était le cas, non? Mais c’est vrai, on se conseille, on se donne des idées… Par exemple: la blockchain. On en parle et je trouverais très intéressant d’implémenter cette technologie au sein de l’administration vaudoise. Ça serait vraiment plus transparent! Sinon, avec ma sœur, on essaie de trouver le temps pour faire des choses simples en famille. Comme aller aux champignons.
Je sais que vous arrivez aussi à trouver du temps pour faire la fête, comme n’importe quelle personne de notre âge. Je vous ai même vue en boîte de nuit, il y a quelques jours...
C’était pour fêter mes 30 ans! Avec mes amis, nous avons commencé la soirée au Lacustre, au bord du lac à Ouchy. Puis, quelqu’un a eu l’idée d’aller en boîte. J’étais épuisée, mais j’ai décidé de ne plus l’être et de profiter. Nous sommes allés danser à l’ancien Buzz, qui s’appelle maintenant le Liquors. C’était super!
Les plats sont sur la table, ouf! On se jette dessus. Délicieux! La suite de la discussion peut bien attendre un peu. On mâche, on mâche, on mâche… Allez, essuyons-nous la bouche, goûtons ce rouge et replongeons dans les nuits de la capitale vaudoise.
C’est quoi vos endroits préférés pour sortir à Lausanne?
Franchement, quand on est bien accompagnée, l’endroit est secondaire. Donc tant que je suis avec mes copines, tout me va.
Mais vous avez bien vos habitudes?
Quand j’étais étudiante, j’aimais beaucoup aller au Buzz ou au No Name les mardis et les jeudis soirs. La semaine, l’ambiance est différente du week-end. Il y a moins de monde, l’atmosphère est paradoxalement plus festive et les gens sont aussi peut-être plus détendus. Mais tout ça me paraît bien lointain, presque remonter à une autre vie…
Vous n’aimez plus sortir en boîte la semaine?
Ce n’est pas l’envie qui manque, mais l’énergie! Mes journées commencent très tôt et se terminent très tard. Et puis, vous savez, avec ma sœur, quand on sort, on sort vraiment. On a d’ailleurs une théorie. Dans la vie, il y a deux types de personnes: celles qui rentrent à une heure plus ou moins décente et les autres. Ma sœur et moi faisons partie de la deuxième catégorie. On est sûres que c’est génétique! (Rires) Il nous manque le gène de la rentrée. Et d’un côté, heureusement: les choses commencent vraiment à devenir intéressantes en after, non?
Ce n’est pas moi qui vais vous dire le contraire… Vous commencez à quelle heure demain?
Ma première séance a lieu vers 7h. Vous comprenez pourquoi je dois lutter contre ma génétique! (Rires) Mais ce travail est une chance: il est passionnant et les équipes formidables.
Et votre journée se terminera à quelle heure?
Quand le travail sera achevé…
Alors, avant de demander l’addition, une dernière question: être ministre, ça doit certainement être assez grisant mais c’est pas un peu frustrant de devoir troquer les boîtes de nuit lausannoises contre la foire à la saucisse de Pétaouchnok ou la fête des vendanges d’un énième petit village?
(Rires) Pas du tout! Notre terroir est riche et j’ai à cœur de le valoriser. J’adore aller dans les communes pour profiter des fêtes locales. Ce sont de vraies respirations dans ma routine. J’y rencontre plein de gens et on peut discuter sans détour. C’est important, ce genre de moments! Il faut savoir rester accessible. Un agenda très chargé n’est jamais une excuse pour éviter d’aller au contact de la population.