On passe le contrôle de sécurité. Efficace. A peine le temps de régler les flashes avec Darrin, notre photographe. Voilà Gilbert Ghostine. Le patron de Firmenich nous rejoint en bras de chemise pour la photo. Affable, le tutoiement facile, le Libanais de 62 ans remet sa veste et prend la pose pour Blick.
Gilbert Ghostine est arrivé il y a huit ans à la tête de l’entreprise familiale, leader mondial de la parfumerie. Il la quittera au cours du premier semestre de 2023, quand la fusion annoncée récemment avec le géant hollandais DSM sera effective.
«Son» entreprise, deviendra alors DSM-Firmenich et emploiera 28’000 personnes, contre 11’000 aujourd’hui. Gilbert Ghostine peut par ailleurs se targuer d’avoir fait progresser le chiffre d’affaires de Firmenich de 2,8 à 4,7 milliards de francs depuis 2014. Un sacré bilan.
En marge de ses récentes nominations aux Conseils d’administration de Danone et Four Seasons, Gilbert Ghostine inaugurait aujourd’hui le tout nouveau campus dans lequel Firmenich a investi 200 millions de francs.
Pour vous rejoindre dans votre bureau, on a dû passer par un contrôle de sécurité. Quels secrets protégez-vous?
Nous sommes une industrie de science qui investit plus de 400 millions de francs chaque année dans la recherche et le développement. La plupart des technologies qui sont entre ces murs ne sont pas encore brevetées. On ne veut pas que nos concurrents aient accès au fruit de notre travail avant qu’il ne soit protégé.
Le secret bien gardé, ça a été celui de votre fusion avec le géant hollandais DSM. Est-ce que vous permettez qu’on vous pose quelques questions un peu directes sur ce sujet?
Allez-y.
Lors de l’annonce, tout le monde s’est voulu rassurant. La nouvelle entité, DSM-Firmenich, serait suisse, les emplois seraient conservés… C’est la vérité, ou c’est de la diplomatie pour faire passer la pilule?
Si nous nous parlons, c’est parce que nous inaugurons aujourd’hui notre tout nouveau campus pour la création de parfums, d’arômes et d’ingrédients. Pour assurer notre compétitivité, nous avons investi 200 millions de francs, ici à Genève, dans des laboratoires à la pointe de la digitalisation et de l’intelligence artificielle, qui respectent les critères les plus stricts en matière de durabilité. Ça vous semble vraiment de la diplomatie?
Certaines annonces sont pleines de sens. En coupant le ruban de son tout nouveau campus à Satigny, dans la banlieue genevoise, Firmenich a dans un seul geste rassuré les personnes qui craignaient de la voir tourner le dos à Genève suite à sa fusion avec le Hollandais DSM, et montré qu’elle avait les moyens de ses ambitions.
La plus grande société privée de parfums et d’arômes au monde compte en effet investir 200 millions de francs suisses dans le centre de production et de recherche ultramoderne qu’elle a inauguré aujourd’hui en présence de nombreux officiels. Par le biais d’un communiqué de presse, la société souligne que cet investissement «confirme l'importance de Genève sur le long terme».
«Notre campus ultramoderne sera un élément clé pour accélérer l'innovation et favoriser notre expansion mondiale, s’est réjoui Gilbert Ghostine, PDG de Firmenich. Ce nouveau campus à Genève est notre site le plus important dans le monde et l'un des plus avancés dans le secteur en matière de technologie, digitalisation, innovation, science et produits naturels.»
«Cet investissement de près de 200 millions de francs suisses est le plus important que Firmenich n'ait jamais réalisé sur un seul site, a appuyé Patrick Firmenich, Président du Conseil d'administration. Ce site intègre des technologies de pointe, nourrit l'innovation et cherche à repousser les limites de la recherche scientifique. Avec ce projet industriel unique, nous renforçons notre centre d'excellence à Genève pour notre croissance à long terme.»
Le nouveau campus à Genève compte notamment trois usines de production, ainsi que des laboratoires adjacents pour la création de parfums, d’arômes et d'ingrédients; une plateforme logistique et un entrepôt automatisé; une usine pilote de recherche et développement en biotechnologie.
Dans son communiqué de presse, Firmenich affirme que le campus est conçu pour avoir un impact limité sur l'environnement, «grâce à une construction innovante et à des stratégies d'éco-gestion intelligentes. Les nouveaux bâtiments bénéficient d'une réduction des besoins en énergie pour le chauffage et la climatisation. Un système intelligent d'enveloppes thermiques réduit considérablement les pertes de chaleur, tandis que les sources d'énergie renouvelables, telles que les pompes à chaleur et les forages géothermiques, sont intégrées pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles.»
Certaines annonces sont pleines de sens. En coupant le ruban de son tout nouveau campus à Satigny, dans la banlieue genevoise, Firmenich a dans un seul geste rassuré les personnes qui craignaient de la voir tourner le dos à Genève suite à sa fusion avec le Hollandais DSM, et montré qu’elle avait les moyens de ses ambitions.
La plus grande société privée de parfums et d’arômes au monde compte en effet investir 200 millions de francs suisses dans le centre de production et de recherche ultramoderne qu’elle a inauguré aujourd’hui en présence de nombreux officiels. Par le biais d’un communiqué de presse, la société souligne que cet investissement «confirme l'importance de Genève sur le long terme».
«Notre campus ultramoderne sera un élément clé pour accélérer l'innovation et favoriser notre expansion mondiale, s’est réjoui Gilbert Ghostine, PDG de Firmenich. Ce nouveau campus à Genève est notre site le plus important dans le monde et l'un des plus avancés dans le secteur en matière de technologie, digitalisation, innovation, science et produits naturels.»
«Cet investissement de près de 200 millions de francs suisses est le plus important que Firmenich n'ait jamais réalisé sur un seul site, a appuyé Patrick Firmenich, Président du Conseil d'administration. Ce site intègre des technologies de pointe, nourrit l'innovation et cherche à repousser les limites de la recherche scientifique. Avec ce projet industriel unique, nous renforçons notre centre d'excellence à Genève pour notre croissance à long terme.»
Le nouveau campus à Genève compte notamment trois usines de production, ainsi que des laboratoires adjacents pour la création de parfums, d’arômes et d'ingrédients; une plateforme logistique et un entrepôt automatisé; une usine pilote de recherche et développement en biotechnologie.
Dans son communiqué de presse, Firmenich affirme que le campus est conçu pour avoir un impact limité sur l'environnement, «grâce à une construction innovante et à des stratégies d'éco-gestion intelligentes. Les nouveaux bâtiments bénéficient d'une réduction des besoins en énergie pour le chauffage et la climatisation. Un système intelligent d'enveloppes thermiques réduit considérablement les pertes de chaleur, tandis que les sources d'énergie renouvelables, telles que les pompes à chaleur et les forages géothermiques, sont intégrées pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles.»
Ça, c'est aujourd’hui. Mais fin juin 2023, la nouvelle entité sera cotée à la bourse d’Amsterdam, avec des investisseurs qui voudront du rendement, comment pouvez-vous être si rassurant, notamment sur l’emploi?
Je peux l’être, car la famille Firmenich possédera 34,5% des parts de la nouvelle entité et sera impliquée à long terme dans ce partenariat. La direction de nos activités de Parfumerie et de Beauté, ainsi que de la recherche mondiale pour la parfumerie, les ingrédients et l’alimentaire seront toutes gérées depuis Genève et les trois usines vont rester ici. Seules certaines positions dans le management seront impactées, car le siège de la nouvelle entité sera à Kaiseraugst, en Argovie.
Garantir l’emploi, ça n’est pas garantir que tous les employés conserveront leur travail…
Bien sûr, mais ce que vous dites là, c’est la réalité du monde de l’entreprise en général. On ne peut jamais garantir à une personne qu’elle conservera son emploi toute sa vie, car il se trouve que certaines travaillent bien et d’autres moins…
Mais une fusion, ça crée des vagues, peut déstabiliser même les meilleurs. Que répondez-vous à un collaborateur qui s’inquiète pour son employabilité?
Je suis moi-même le produit d’une fusion. J’avais 37 ans quand le groupe Grand Metropolitan et Guinness ont fusionné pour créer Diageo. Dans ce genre de situation, il y a toujours les cyniques et ceux qui se disent «wow, je vais rejoindre la plus grande entreprise de mon industrie, ça va m’aider à aller de l’avant sur le plan professionnel». Les employés de Firmenich sont 11’000 aujourd’hui et ils vont intégrer ce qui deviendra le leader mondial de la branche avec 28’000 employés. Les collaborateurs qui ont confiance auront de belles opportunités.
Vous l’avez dit, le siège de DSM-Firmenich sera en Argovie. La famille n’était manifestement pas assez forte pour imposer Genève…
Ça n’est pas la bonne manière de voir les choses. Il faut plutôt souligner que DSM renonce à son statut de société néerlandaise pour un statut de société Suisse avec un siège principal en Suisse. Ça n’est pas rien. En plus nous formons un partenariat a long terme et une fusion d’égaux.
Le canton d’Argovie impose à 17%, Genève à 13%, pourquoi…
… ça n’est pas ce qui a été observé. De toute manière, avec les critères de l’OCDE, on va vers l’imposition d’un taux à 15% un peu partout. Nous avons recherché des solutions pragmatiques. Or, il se trouve que DSM a déjà 2300 employés en Argovie et Firmenich 1450 à Genève. C’est plutôt une solution pragmatique issue des négociations.
Est-ce que cette fusion était vraiment inéluctable?
Si l’on veut rester compétitifs? Oui! Notre industrie se consolide. Elle a connu 65 acquisitions ces 5 dernières années dont 14 ont été opérées par Firmenich. Il y a 8 ans, quand j’ai rejoint cette entreprise, notre métier était la parfumerie et les arômes. On y a ajouté la beauté et la nutrition. Cette industrie, qui pesait 25 milliards, en pèse désormais 100. Depuis sa création en 1895, Firmenich a toujours voulu être leader. C’est ce que cette fusion avec DSM permet. Nous devenons le leader mondial, établi en Suisse, pour la nutrition, la beauté et le bien-être qui sont trois tendances majeures de consommation.
Les autorités du canton n’ont pas été impliquées dans les réflexions de Firmenich. Pourquoi?
Pourquoi l’auraient-elles été? Nous sommes une entreprise privée qui n’est pas subventionnée par l’Etat. Nous pouvons prendre nos décisions en toute autonomie.
Donc, vous ne leur devez rien…
Au contraire, on doit beaucoup à Genève, c’est pour cela que nous avons mis au courant les autorités de la fusion.
Oui, sauf la ministre de l’Économie, Fabienne Fischer, qui ne savait rien. Comment doit-elle l’interpréter?
Il n’y a rien à interpréter. Nous avons informé Serge dal Busco, le président du Conseil d’Etat, ainsi que Nathalie Fontanet, la ministre des Finances. Donc les personnes qui devaient être au courant l’étaient.
Quand vous entendez que les autorités genevoises veulent «ralentir la machine économique genevoise», ça vous donne des boutons?
Je n’ai pas entendu les autorités dire ça.
Okay, c’était plus précisément un conseiller d’Etat, Antonio Hodgers.
Ma foi, chaque personne a le droit d’avoir son point de vue. Les politiciens font de la politique et nous approchons des élections. Nous, nous nous soucions de l’économie. Nous innovons, nous créons des emplois, nous faisons de l’argent et nous payons des taxes. Faut-il freiner cette chaine de valeur? Je ne pense pas.
Mais vous êtes quand même inquiet, puisque vous présidez désormais la toute nouvelle Fondation pour l’attractivité économique de Genève. Qu’est-ce qu’il manque à Genève? Qu’est-ce qui menace sa prospérité?
Soyons clair: les conditions cadre à Genève se détériorent. C’est ce que l’étude que nous avons lancée démontre clairement. Il y a trois piliers qui doivent faire l’objet d’une attention particulière: la qualité de vie et l’éducation, les infrastructures et la durabilité, et enfin la fiscalité. La mobilité n’est pas assez bonne à Genève, et il est difficile de trouver des logements adéquats.
Qu’est-ce que cela a comme impact immédiat et concret?
Tout cela freine notre compétitivité, car cela nous empêche d’attirer les talents dont nos industries ont besoin. Genève peut être fière de ce qu’elle a accompli, mais elle doit continuer à se battre pour être une des dix villes les plus attractives au monde du point de vue durabilité, qualité de vie, fiscalité. C’est ce qui nous permettra de continuer à créer de la valeur pour ce canton.
Rester attractif, c’est aussi valable pour la Suisse. Qu’est-ce que notre pays devrait faire concrètement?
Regarder attentivement ce qui se fait autour de lui. Depuis cinq ans, dans le cadre du projet «Choose France», le président français Emmanuel Macron fait une promotion économique active de son pays au Château de Versailles. Cet été, il a invité 180 patrons d’entreprises étrangères et 70 chefs de grandes entreprises et de licornes françaises. Singapour le fait trois fois par an. Il faut donc soigner nos conditions cadre, comme je viens de vous le dire, mais également promouvoir plus activement nos atouts. Nous vivons dans un monde extrêmement compétitif.
Depuis 12 ans, l’OMPI classe notre pays comme le plus innovant au monde, devant les États-Unis. Comment se produit ce petit miracle?
La Suisse a la chance d’être un petit pays. Si Firmenich est classée par Lexis Nexis comme une des 100 sociétés les plus innovantes aux mondes, aux côtés de géants comme Google, c’est parce que nous avons toutes les ressources à proximité et que nous travaillons étroitement avec nos partenaires. Nous travaillons avec l’Université de Genève et l’EPFL, ce qui nous permet de créer un écosystème puissant. C’est d’ailleurs pour cela que Genève est devenue la Silicon Valley de la parfumerie.
Avec de tels atouts, que peut-il arriver de mal à la Suisse?
En 62 ans d’existence et 36 ans de mariage, j’ai changé 21 fois de domicile avec ma femme et vécu sur quatre continents, ce qui fait que j’ai quelques points de comparaison. Nous vivons à Genève depuis 8 ans, nous adorons la Suisse et Genève pour leur qualité de vie et leur stabilité. Mais dans un monde qui change aussi vite, il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers.
C’est-à-dire?
Pour conserver ce «Swissness», nous devons être encore plus tournés vers l’avenir, mieux fédérer nos forces, nous entraider pour continuer à nous réinventer, notamment en matière de digitalisation.
La Suisse n’est pas assez bonne en matière de digitalisation?
La Suisse est bonne, mais dans le monde dans lequel on vit, on ne peut pas juste être bon, on doit être exceptionnel. Nous sommes les premiers en matière d’innovation, nous devons le devenir dans la digitalisation. C’est une responsabilité que partagent les leaders politiques et les patrons d’entreprises. On doit être les meilleurs pour attirer les meilleurs talents. C’est cela qui assurera la prospérité de notre pays.
Qui fait mieux que nous dans le monde? Quels sont les modèles à suivre?
J’ai eu la chance de vivre six ans à Singapour et j’ai été impressionné par le dynamisme de ce petit pays. Ce que fait Israël en terme d’innovation, de science et de digitalisation est également impressionnant. Encore des petits pays qui démontrent qu’on doit travailler de manière inclusive.
Inclusive, qu’est-ce que vous entendez par là?
Travailler ensemble. A l’échelle d’un pays, d’une région, et aussi de l’entreprise. Je ne gère pas Firmenich tout seul. Il y a sept ans, nous avons lancé les «Change Makers», des employés qui font une présentation au comité exécutif chaque trimestre. Ils pitchent leurs idées de ce qu’on doit faire différemment. C’est ce genre d’initiative qui nous permet de négocier les nombreux virages que nous aurions pu rater en matière de science, de digitalisation, de développement durable. Sur ce dernier point, il faut avoir la volonté de faire ce qui est juste.
Et vous faites juste?
A la COP21 de Paris, j’ai annoncé que Firmenich opérerait avec 100% d’électricité renouvelable d’ici 2020. Quand je suis rentré à Genève, mes collègues étaient en panique. On m’a dit: «Qu’est-ce que tu as promis, c’est impossible!» Je leur ai demandé si c’était la chose juste à faire, ils m’ont dit oui, alors on s’est mis à chercher comment on pouvait le faire. En février 2020, nous avons informé que Firmenich opérait avec 100% d’électricité renouvelable partout dans le monde. Dans la période que nous traversons, je vous laisse imaginer l’avantage que ça représente.