Défendre la cigarette pour protéger les familles défavorisées? Politiquement, il y a des terrains glissants sur lesquels mieux vaut ne pas s'aventurer... Mardi 1er octobre, un débat qui s'avérait a priori simple a fini en flop pour la Municipalité (exécutif) de Lausanne et son syndic, le socialiste Grégoire Junod.
Posons le contexte. L'élu communal (législatif) et coprésident des Vert-e-s de Lausanne Ilias Panchard aimerait interdire la cigarette aux abords des places de jeu et des écoles. Pour protéger les enfants des dangers de la fumée passive, il a déposé un postulat en ce sens... en 2018! Six ans plus tard, la Municipalité y a répondu défavorablement. Mardi dernier, Grégoire Junod défendait ce refus en séance.
Les pauvres préfèrent leurs vices à leurs enfants?
L'un des motifs avancés? Les gros fumeurs sont souvent issus de classes sociales défavorisées. Ces parents risqueraient de moins emmener leurs enfants aux aires de jeu si la cigarette y est bannie, estime le syndic dans son préavis. «Or, le partage de l’espace public et son accès pour toutes et tous est un point crucial auquel la Municipalité tient», assure-t-il.
Que faut-il comprendre? Que les pauvres font passer leurs vices avant leurs enfants? «Je suis resté posé et respectueux, mais j'ai été clair. La position est scandaleuse, ultra-condescendante», déplore Ilias Panchard, qui confie venir d'un milieu populaire. L'élu écologiste s'étonne: «Ni experte, ni expert ne semble avoir été consulté pour rédiger cette réponse.»
Chômeurs et mères célibataires
L'édile socialiste cite l'Office fédéral de la statistique et la Revue française de sociologie pour étayer son propos. Le premier nous apprend que 43% des 25-44 ans sans formation post-obligatoire fument. Les personnes au bénéfice d'une formation tertiaire, elles, ne sont que 27% à cloper.
La revue, dans un article daté de 2016, va dans le même sens: les chômeurs et les mères célibataires ont plus de risque d'être accro au tabac. «Une interdiction de fumer aux abords des places de jeux ciblerait donc des familles potentiellement déjà fragilisées», en conclut Grégoire Junod.
Ilias Panchard souligne «la belle divergence idéologique» entre le syndic et lui. Pour l'élu écolo, la protection de la jeunesse est un sujet plutôt évident. «Genève a interdit la cigarette aux arrêts de bus et aux abords des écoles, la France l'a bannie de certains parcs, rappelle-t-il. Je ne demande pas à ce que les gens longent les murs pour cacher leurs cigarettes, simplement de nouvelles mesures pour protéger les plus vulnérables, soit les enfants.»
«Aucune étude» sur la fumée passive et les enfants
Mais voilà, dans sa réponse, le syndic ne propose pas de solution nouvelle. Il liste en revanche celles qui existent déjà. Concernant spécifiquement la cigarette: Lausanne en interdit la publicité autour des établissements scolaires, et des programmes de lutte contre le tabagisme existent depuis des années dans les écoles et l'espace public, accompagnés de flyers pour les parents.
Enfin, «aucune étude n’est à ce jour parue qui démontre des effets notables [de la fumée passive] sur la santé des enfants et des jeunes», écrit Grégoire Junod. Une affirmation «assez inquiétante» pour Ilias Panchard. Il poursuit: «quel que soit le milieu socioéconomique des parents, je pars du principe que tout le monde a le même attachement à ses enfants et fait passer leur santé avant toute autre considération. La cigarette est un poison, tout le monde est d'accord», tonne le coprésident des Vert-e-s de Lausanne.
La lutte continue
Pour lui, il faut agir au-delà du prix du paquet ou de la publicité. Et à part interdire, il ne voit pas d'autres mesures, ne serait-ce que pour éviter le mimétisme des jeunes qui observent des fumeurs partout, tout le temps. L'écologiste aurait été prêt à entendre n'importe quelle piste de travail.
Mardi, la réponse de la Municipalité a été refusée par le Conseil communal. Cette prise de position, non contraignante, est un symbole sur le territoire de Philip Morris. Ilias Panchard a tendu la main à ses collègues intéressés à lutter contre le tabagisme des jeunes, et déposera sous peu un nouveau postulat.