Après les suites politiques, les suites judiciaires! Le député socialiste Sylvain Thévoz a dénoncé l’Union internationale des transports routiers (IRU) au Ministère public genevois, annonce-t-il à Blick ce jeudi.
Pour mémoire, la puissante faîtière — qui regroupe plus de 80 associations nationales de camionneurs professionnels — est assise sur un tas d’or, mais ne paie pas un franc sur les 400 millions qu’elle a en caisse, avions-nous révélé en juillet. Fondée en 1948 et basée à Genève, elle est exemptée d’impôts par le Canton depuis 2009. Comment est-ce possible? Jusqu’ici, personne n’a été capable de nous l’expliquer.
Questions offensives
À la suite de cette enquête, Sylvain Thévoz avait interpellé le Conseil d’État avec une liste de dix questions offensives, le 29 septembre. Dont: «Pour quelles raisons le fisc genevois a-t-il exonéré d’impôt l’IRU?»
Mais aussi: «Le Conseil d’État entend-il prendre des mesures pour que [ces 400 millions] serve[nt] à rattraper les impôts non payés par l’IRU ces 15 dernières années?» Ou encore: «Le Conseil d’État considère-t-il comme légal d’exonérer une association qui accumule des réserves financières bien supérieures à celles nécessaires à son fonctionnement?»
Secret fiscal invoqué
La prise de position du collège est tombée le 15 décembre. «Sans surprise, le Conseil d’État invoque le secret fiscal, déplore le politicien. Toutes les questions pertinentes, soulevées par l’article édifiant de Blick, reste donc sans réponse.»
L’élu a envoyé sa lettre au procureur général Olivier Jornot ce mercredi. «Pour que toute la lumière soit faite. C’est également dans l’intérêt de l’IRU: si elle n’a rien à se reprocher, il faut que ce soit clair.»
Des critères clairs et transparents sont établis pour pouvoir prétendre à l’exonération — toute association étant en principe soumise à l’impôt. Parmi les exigences: une entité exonérée d’impôt n’a ni le droit de thésauriser ni d’exercer une activité lucrative et doit affecter ses fonds à ses buts, qui doivent être d’utilité publique.
Jusqu’à 1,9 milliard d’actifs
L’IRU remplit-elle bien ces conditions? «Quand on lit les critères permettant une exonération fiscale, on est en droit de se demander si l’IRU en remplit ne serait-ce qu’un seul», constate Sylvain Thévoz. Mais les règles pourraient être bien plus compliquées que cela, à lire la réponse du gouvernement cantonal.
Reste que la réalité étonne. Par le passé, l’institution a gagné jusqu’à 100 millions de francs par an. Résultat, l’IRU a amassé jusqu’à 1,9 milliard d’actifs en 2015. Grâce à son activité principale: la vente de carnets TIR, business juteux jusqu’il y a peu. Ce système permet aux camionneurs de passer les frontières sans payer les frais de douane ou subir de contrôle, alors que les marchandises transportées sont assurées par ces mêmes carnets.
En juillet, John Kidd, porte-parole de l’IRU, avait argumenté que les carnets TIR «ne sont pas de nature commerciale». Et que l’IRU est bel et bien une association à but non lucratif.
Le communicant avait également précisé que l’IRU devait «disposer de réserves suffisantes pour […] le système TIR et couvrir toute responsabilité potentielle». Et avait assuré que «tout excédent généré par les activités opérationnelles ou les investissements financiers est réinvesti pour permettre à l’IRU de continuer à remplir sa mission […].»
Conseil fédéral aussi interpellé
Le 29 septembre, un autre front politique s’était ouvert, à Berne. Le conseiller national valaisan Jean-Luc Addor avait interpellé le Conseil fédéral. L’élu de l’Union démocratique du centre (UDC) s’était attaqué à un autre volet de cette affaire, qui concerne l’Autorité de surveillance des marchés financiers (FINMA).
En principe, celle-ci surveille les banques et les assurances. Mais l’IRU et son système TIR, décrit comme un «schéma d’assurance» dans son rapport annuel 2022, ne figure pas dans la liste. Normal, la FINMA ne considère pas l’IRU comme une assurance, a répondu, en substance, le Conseil fédéral le 22 novembre.
Intervention de l’autorité de surveillance
Jean-Luc Addor s’interrogeait aussi sur un autre point: celui de l’indépendance réelle de la Fondation IRU, par rapport à l’IRU elle-même, sa fondatrice. Ladite fondation, qui serait le «bras commercial» de l’IRU, aurait vu le jour pour des raisons fiscales, selon le «Tages Anzeiger». En clair, si l’indépendance de la Fondation ne pouvait être démontrée, il se pourrait que l’exonération fiscale de l’IRU vacille.
Circulez, il n’y a rien à voir! Là encore, le Conseil fédéral ne voit pas de problème. «La loi n’interdit pas à une personne morale, en sa qualité de fondatrice, de se réserver, dans l’acte de fondation, le droit de désigner une ou plusieurs personnes pour la représenter au conseil de fondation. Depuis la création de la Fondation IRU, les statuts prévoient des sièges au conseil de fondation pour les membres qui ont un lien avec la fondatrice, soit l’IRU.»
Le gouvernement fédéral rappelle toutefois que l’Autorité fédérale de surveillance des fondations (ASF) est intervenue et qu’elle a ordonné des mesures à l’encontre de la Fondation. «Elle a notamment révoqué tous les membres du conseil de fondation et nommé deux commissaires, écrit le Département des finances. Une partie des mesures qu’elle a ordonnées ne sont pas encore entrées en force, car des procédures sont en cours devant le Tribunal administratif fédéral.»